La disposition à voir
Selon les partages reçus de quelques abonnés, la lecture des chroniques précédentes a permis à ces derniers d’identifier notamment l’un ou l’autre de leurs fonctionnements, l’une ou l’autre de leurs croyances, et d’apprécier alors la « prise de conscience » et une meilleure compréhension de leur propre conditionnement. En effet, certains font régulièrement une telle expérience en lisant une chronique, un livre, en écoutant une conférence…, au moyen de l’introspection directe (seuls ou en se faisant aider) à partir de la circonstance problématique à laquelle ils se retrouvent davantage confrontés ponctuellement.
Dans ces moments-là, privilégiés, on est prêt à « voir », à reconnaître, à accepter ce qui est, ce qui se joue, se rejoue en soi. C’est une disposition manifestement efficace. Elle est normalement celle d’une personne qui me consulte et quand la personne n’y a pas accès d’emblée, il convient que nous nous en occupions en tout premier lieu :
« Maintenant que tu m’as raconté la chose, veux-tu continuer d’y réagir, donc d’en souffrir, ou as-tu de l’intérêt, soit pour voir (découvrir) ce qui se répète là, soit pour juste le percevoir, le reconnaître, le permettre ? »
C’est bien sûr une façon simple de présenter les choses. Quoi qu’il en soit, tôt ou tard, régulièrement ou à des moments propices, la personne se dispose à voir et elle voit. Les jugements et autres considérations mentale font place à la « perception exclusive ». C’est à chaque fois l’occasion d’une libération, d’une appréciation ressentie et exprimée. Le simple fait de poser authentiquement les choses permet cet effet.
Bref, il nous arrive incontestablement de relâcher une angoisse ou tout autre douleur, au cours d’une consultation ou autrement, et c’est bon, n’est-ce pas ? On souffle, on lâche, on retrouve de l’espace, de la légèreté… du bien-être. Et puis, quelques jours, quelques heures ou parfois quelques minutes plus tard, voici que surgit un nouveau problème, un nouveau malaise. Pas grave : on va peut-être y rester collé plus ou moins longtemps, mais on va surtout finir par pouvoir le soumettre à l’introspection et découvrir de quoi s’offrir une nouvelle libération évidemment bienvenue. (Et ça, bien sûr, c’est dans le meilleur des cas !)
Me suivez-vous jusque-là ? Savez-vous de quoi je parle ? Pouvez-vous vous représenter la disposition à voir que j’ai évoquée ? Reconnaissez-vous que c’est elle qui fait la différence, qui permet les compréhensions, le lâcher-prise, la libération ? Que pourrions-nous dire ou tenter de dire à propos de cette disposition manifestement heureuse ? Assurez-vous d’avoir une idée de ce que j’entends par « disposition à voir », sans quoi ce que j’ai à cœur de partager ne sera pas reçu.
Oui, au lieu de nous arrêter sur l’un ou l’autre de nos comportements, sur l’un ou l’autre de nos vécus douloureux, certes pour percevoir et libérer quelque chose de notre conditionnement, si nous essayions pour une fois d’aborder davantage cet « état » favorable qui le permet ? Il s’agit d’accorder de l’attention à la condition préalable à la dissipation de la souffrance. C’est encore parler du « regard qui transforme ».
Que se passe-t-il, le plus souvent, quand je fais une prise de conscience (libératrice), quand je vois un pan de mon conditionnement, quand je vis une expansion de conscience, quand, plus simplement, je finis par retrouver la paix ? Eh bien, à ce moment-là, je suis juste intéressé à voir, à sentir, à observer. Pour cela, je suis nécessairement sans jugements, sans pensées qui m’embarquent, sans prétendre savoir quoi que ce soit ; je suis dans l’accueil, dans la non-résistance à ce qui est ; je suis présent en conscience, directement conscient, pleinement attentif ou en éveil, ouvert, disponible…
Pour le dire encore autrement, dans ces instants avantageux (quand il y a libération ou paix retrouvée par exemple), il y a perception directe, il y a présence en conscience, il y a accueil de ce qui est ; ce qui est… est accepté, pleinement accepté, juste accepté. Je veux dire qu’il n’y a même pas de « je », pas un « quelqu’un » qui ferait quoi que ce soit (on y revient ci-dessous). Il y a ce qui apparaît et la permission incontournable que cela apparaisse. Oui, c’est nécessairement permis. En fait, tout est toujours permis, avec ou sans résistance. Or, dans ces mêmes instants privilégiés, même la résistance est permise et la permission reconnue ne tarde pas à dissiper la résistance. Cela aussi est incontournable : ce qui n’est pas retenu passe.
Quand je note qu’il n’y a pas de « je », qu’il n’y a pas quelqu’un qui fasse quoi que ce soit, je me réfère à une réalité que l’on peut reconnaître en observant ce qui se passe avec ses pensées. On croit penser, être celui qui pense, celui qui produit les pensées, mais ne serait-ce pas plutôt que les pensées apparaissent simplement ? Qui peut dire ce que sera sa prochaine pensée et montrer ainsi qu’il y a effectivement un « je » qui pense, qui produit chaque pensée ? Reliées à un conditionnement, les pensées apparaissent et disparaissent. D’une façon ou d’une autre, elles sont simplement observées, mais encore souvent exploitées… pour souffrir. En somme, tout comme « je » ne pense pas, je ne suis pas présent ; il n’y a pas une personne présente, il y a juste la présence, juste la conscience, juste l’amour… Le « quelqu’un », le « je » dépend des pensées, des souvenir, du passé.
Jusqu’ici, nous pouvons retenir qu’il y a le cas échéant une circonstance problématique – laquelle pourra être l’occasion d’une libération – et il y a surtout ce que je viens de tenter de « définir » (un « état intérieur », une « ouverture du cœur ») qui permettra la libération, qui l’invitera, qui la laissera être. Autrement dit, pour faire plus simple, pour résumer, il y a le problème ou le monde extérieur et il y a la perception pure du problème ou du monde ; il y a le problème et il y a la perception. Il y a le monde et il y a la conscience. Ultimement, monde et conscience ne font qu’un, tout comme font un la vague et l’océan.
Donc, quand on s’occupe d’un problème de façon tout à fait utile, efficace, est-on conscient « d’utiliser » la perception ou, pour mieux dire, d’être cette perception pure ? On n’est pas le « je », le « quelqu’un », mais la conscience elle-même, la présence, la source, l’être. Ordinairement, une préoccupation est dramatisée (mentalisée) par le « je » identifié à un « quelqu’un » qui subit et d’autres fois, plus rares, le tout est simplement observé, reconnu comme ce qui est, qui apparaît, qui passe. D’un côté l’implication, l’identification, l’illusion, et de l’autre la conscience, à savoir ce qui perçoit, ce en quoi tout apparaît.
Pour poursuivre ce bref développement, j’en appelle à notre authenticité, en fait à notre aptitude à voir, à admettre les choses, à nous remettre en question. Quand se présente n’importe quel problème, n’est-ce pas vrai que nous sommes longtemps davantage intéressés à y réagir qu’à voir ce qu’il veut nous dire, ce qu’il peut nous révéler ? Et quand nous finissons par consentir à « ouvrir un peu les yeux » (ceux du cœur), à voir la façon dont nous sommes directement concernés (y compris quand nous avons d’abord et longtemps blâmé le monde), n’est-ce pas encore avec une attente de résultat plus ou moins forte ?
C’est humain, habituel, « normal », mais comprenons qu’être dans l’attente, qu’avoir une attente n’est pas être présent, dans la simple reconnaissance de ce qui est. N’empêche que, comme évoqué précédemment, il arrive bel et bien que toute attente disparaisse et que demeure seulement l’espace de plein accueil, à savoir la présence, la lumière, ce que j’ai aussi nommé la « perception pure » (ou ce qui la permet).
Or, très communément, ou bien on fait seulement appel à l’état de présence, d’accueil pour tenter de se dégager de la dernière épreuve émotionnelle, ou bien on dépend d’une invitation spirituelle reçue par exemple d’un livre pour se tourner vers l’intérieur. Donc, quand il s’agit des contrariétés, soit nous déplorons le problème du moment (ce que nous interprétons d’ailleurs comme tel), soit nous consentons à l’accepter pleinement, à sentir ce qui est à sentir, retrouvant du même coup la présence, mais nous n’optons « jamais » pour la présence sans préalable ni attente. En somme, le préalable est plus généralement le problème, l’attente sa solution. Sans la confrontation avec quelque épreuve, la possibilité d’être encore présent ne nous intéresse pas, la plupart du temps, ne nous vient pas, et C’EST LÀ NOTRE SEUL VRAI PROBLÈME, ce qui attire de quoi éprouver les circonstances comme problématiques et qui cultive la souffrance.
Par exemple, pourrions-nous de temps à autre nous dire ou admettre ce qui suit : « Mon « problème », ma difficulté véritable n’est pas mon état de santé, ni telle circonstance récurrente à laquelle je suis confronté, ni telle personne par qui je me sens traité comme je me suis toujours senti traité, etc. Mon problème principal, c’est mon oubli de la présence, mon déni, mon ignorance de l’être ou mon dédain de la conscience ». Et, notons-le tout de suite, toutes les épreuves sont les effets de l’oubli, du déni, de l’ignorance ou du dédain de l’Essentiel. Et ces effets nous y ramènent à chaque fois. Combien nous faudra-t-il encore de ces effets pour donner enfin la priorité à l’Essentiel ?
Certes au moyen de l’introspection appropriée, ce sont les épreuves qui nous permettent de retrouver des instants de pleine présence, de conscience directe, d’éveil. N’est-ce pas particulièrement intéressant de reconnaître cela ? Autrement, donc en dehors des circonstances éprouvantes, nous laissons toute notre attention être absorbée par le monde extérieur, soit pour le négliger ou lui être utile (abandonnés), soit pour en être captivés ou dégoûtés (dévalorisés), soit pour s’y étaler, s’y exhiber ou le juger (maltraités), soit pour s’en emparer, le conquérir, l’accaparer ou l’accuser (rejetés), soit pour s’en tenir à l’écart, l’éviter, le fuir ou l’idéaliser (trahis).
Considérons justement ce dont il est question au moyen de l’attention. Ayez à l’esprit une contrariété, quelque chose qui peut affecter votre humeur. Quand vous êtes ainsi perturbé, vous êtes pris émotionnellement (mentalement). Autrement dit, c’est votre attention qui est prise. Elle est prise par la situation en cause. Ensuite, quand vous vous disposez à voir ce qui se passe en vous, par exemple à reconnaître simplement ce que vous éprouvez, vous dirigez votre attention sur le ressenti. Quelque chose change alors, mais aujourd’hui, laissons cela.
Dans le premier cas, votre attention est PRISE ; dans le second, elle est ACCORDÉE. Percevez-vous la différence ? Dans le premier cas, vous êtes la proie des pensées et des émotions, vous êtes « victime », vous subissez la situation ; vous êtes objet, vous êtes effet ; vous êtes pris dans le cauchemar. Dans le second cas, vous regardez, vous voyez, vous comprenez ; vous êtes sujet, vous êtes cause (source), vous êtes la présence ; vous êtes libre. Forts de cette connaissance, qu’est-ce qui pourrait nous empêcher d’opter régulièrement pour la conscience (directe), pour la présence, de la préférer aux pensées, aux interprétations plaquées compulsivement sur les circonstances existentielles ?
Plutôt que de nous rappeler principalement l’instant présent, la paix intérieure, l’amour inconditionnel, plutôt que de goûter à quelque aspiration heureuse, nous continuons intensément de vouloir (désirer, envier, exiger, revendiquer ou espérer) et de réagir à ce qui est (nous résigner, nous soumettre, nous plaindre, nous rebeller ou nous apitoyer sur notre sort). Dans les chroniques précédentes, nous avons vu ce qui nous anime dans ce sens et ce qui est expliqué dans ce texte ne doit évidemment pas nous culpabiliser. Oui, c’est une explication et une invitation à comprendre ce qu’est notre difficulté fondamentale et en rien une culpabilisation. Quand nous voyons que nous avons fait « fausse route », le chemin de retour peut encore être plus ou moins long, mais il est au moins emprunté !
Qu’est-ce qui est prioritaire ? Selon notre fonctionnement ordinaire, ce n’est certainement pas l’instant présent. Or, pourrait-on sérieusement croire que le passé et le futur lui sont supérieurs alors même qu’ils n’existent pas ? Il s’agit juste de savoir et de se rappeler que nous finirons toujours par éprouver une insatisfaction sous une forme ou sous une autre tant que nous n’accorderons pas la première place à l’instant présent, au « maintenant », à la vie, à la présence, à l’essentiel.
Comprenez que tous ces mots et d’autres pointent vers la même réalité qui est nôtre (qui est ce que nous sommes). On peut aussi l’appeler la source, la cause, l’être. Par ailleurs, percevez et retenez qu’une invitation n’est pas un « il faut », une injonction, ni un reproche déguisé, que le rappel de l’essentiel aboutit tôt ou tard à la libération de toutes les entraves et qu’avant cela, cette compréhension nous permet de vivre nos réactivations émotionnelles dans moins de souffrance, de retrouver la paix de façon toujours plus facile et rapide. Telle est mon expérience.
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