Ils l’ont dit à la radio
Après divers échanges à partir des chroniques déjà diffusées (entre autres), je souhaite ce mois-ci insister sur un point peut-être insuffisamment développé jusque-là ou qui a pu ne pas retenir l’attention. Quand j’écris ici (comme ailleurs), quand je m’exprime, quand je propose un retour à ce qui m’est dit, confié, il n’y a strictement rien dans mes mots à recevoir, à considérer, à comprendre comme « vérités absolues », ni comme simples remarques méritant une exclamation du genre « il a raison ! » (Elle n’est pas plus féconde que de déclarer tout de go : « Il a tort ! »)
Dans ce cas, ce qui a été entendu n’est plus qu’une croyance supplémentaire, une donnée mentale venant encombrer inutilement notre « réserve » de croyances foisonnantes. « Tu dis que ce que l’on craint advient », me rappelait un jour une personne, « Et je ne me sens pas à l’aise avec ça car j’ai notamment peur de l’avenir !… »
Elle n’avait pas entendu que je parlais des peurs inconscientes, de l’intérêt à les conscientiser (une invitation !), ni simplement considéré le contexte, mais elle s’était surtout emparée de la chose pour en faire une croyance… Prenons un autre exemple !
J’entends régulièrement des déclarations de ce genre : « Mon psy m’a dit que j’ai encore un gros problème non réglé avec ma mère », « Mon astrologue m’a expliqué que j’ai intérêt cette année à me méfier de mes amis », « Je manque d’énergie, d’après mon acupuncteur », « Je sais bien que je ne suis pas facile à vivre, c’est ma femme qui me l’a dit »…
Dire ici que ce ne sont là que des croyances (adoptées) n’exclut pas la possibilité que l’une et/ou les autres revêtent une forme de réalité, mais nous n’avons rien atteint sans assumer seul et pleinement l’idée émise.
Si je conscientise vraiment « mon problème avec ma mère » (pour garder le premier exemple de la liste), comme effet d’une introspection personnelle ou après que quiconque me l’ait suggéré, je l’évoquerai probablement sans m’appuyer sur quelque « autorité » extérieure. En d’autres termes, ce que je dis renvoie, soit à une croyance, soit à une expérience.
Si ce que vous lisez ou entendez a pour vous suffisamment d’intérêt (c’est le cas quand vous êtes prompt à en faire une croyance), voyez votre possible tendance à croire parfois simplement, aisément, et voyez si vous pouvez faire un pas de plus : tester la chose, la vérifier en vous, la ressentir. Cela implique comme de vous arrêter, de prendre le temps, de regarder :
« Ah, ceci semble intéressant, mais cela me parle-t-il ? Comment est-ce que cela me parle ? Dans ma seule propre histoire, qu’est-ce qui va dans le sens de la chose ? Ai-je déjà vécu cela ? Est-ce que je vois cela, vraiment ? Pour moi, puis-je voir quelque chose sans avoir à le soumettre à la validation d’un tiers ? Suis-je prêt(e) à voir sans craindre d’être jugé(e), ni me juger moi-même ? »
Ces mots mêmes ne sont pas techniques, ils tentent de pointer vers un positionnement, encore vers quelque chose à sentir. Dite ici « intéressante », la première chose, la première idée qui interpelle peut aussi produire un effet inverse : « Tout ça, c’est de la foutaise ! » (par exemple). Et voilà encore une croyance qui pourrait gagner de même à être remplacée par une sorte « d’expérimentation consciente ». Une chose qui me fait réagir (comme à travers un rejet ou un déni rapide) pourrait bien me conduire à quelque découverte utile…
Ainsi, je propose des points de vue et je suggère qu’ils n’ont en eux-mêmes aucun intérêt si ça n’est celui de vous permettre de voir quelque chose de pertinent pour vous, quelque chose qui ne regarde que vous, qui pourra être complètement différent de ce que quiconque d’autre verra (le cas échéant).
Vous conviendrez volontiers que l’intérêt suscité par un belvédère est peu de chose par rapport à celui que vous pourriez accorder à ce qu’il vous permet d’admirer. Finalement, tout point de vue n’a d’intérêt que s’il devient le belvédère de quelque réalité qui « cherche » à se faire voir, à se faire connaître.
Revenons un instant sur cette tendance à faire dépendre de la parole d’une autorité une donnée nous concernant. Parfois, cette tendance témoigne de notre désir compulsif d’avoir raison : si le « maître » l’a dit !… Pourtant, elle pourrait bien montrer également que nous sommes moins sûrs que nous pourrions le prétendre, nous le laisser croire. Ce qui est pleinement intégré est aussi pleinement assumé et se passe ordinairement des confirmations…
Et pour d’autres, qui se réfèrent aussi aux considérations de tiers, c’est l’abandon de leur pouvoir, de leur libre arbitre, de leur légitimité à choisir qui les empêche de regarder avec « leurs seuls yeux » ou de tenir le plus grand compte de ce qu’ils voient.
En maintes circonstances, il est bien possible que nous ne sachions pas que nous sommes « notre propre autorité » et nous ne dissocions pas alors le gain à être à l’écoute d’autrui de la soumission à ce qui est dit.
Ne vous en laissez pas compter, ne laissez personne décider pour vous… Face à quoi que ce soit (une lecture, une occasion, une communication…), découvrez en vous une réponse toujours disponible – ou ça dit « oui », ou ça dit « non » — et permettez à votre désir de justification d’être là (on veut bien se décider à condition d’avoir de bonnes raisons ou des approbations), et souriez au désir sans lui céder.
Ces derniers mots suggèrent, par exemple, qu’aucun jugement n’est à porter sur nos positionnements, nos réactions, nos croyances, mais que les voir simplement, les reconnaître, pourrait bien faire pour nous-mêmes une différence, indépendamment de ce qu’on pourrait en penser.
« Ah oui, il a raison, il faut que je sois plus à l’écoute de moi-même ! » Une croyance, vous dis-je, il ne faut rien (je préfère celle-là), mais que se passe-t-il si, tout bonnement, vous découvrez là que vous venez (encore) d’accepter quelque chose qui ne fait pas votre affaire, d’avoir refuser quelque chose qui vous aurait pourtant fait plaisir, de répéter un truc apparemment sympa, mais dont vous n’avez pas l’expérience vous-même ?
Ici, quelques-uns se débrouilleront encore pour se reprocher les choses, pour s’en vouloir (qu’ils voient alors cela aussi), mais la simple possible reconnaissance de ce qui est, qu’on peut appeler « prise de conscience », favorisera une expérience, une compréhension (avec une possible transformation proche) tout différentes de l’effet produit sur soi par une croyance adoptée sans vérification.
Parce que je l’ai écoutée, sentie, comprise, je peux être à peu près « sûr » qu’une personne a telle tendance, telle peur, telle croyance, et aussi telle qualité, telle heureuse aptitude… Et je peux lui dire à l’occasion : « Est-ce possible que tu… ? » Mieux vaut que la personne infirme la chose, si elle ne vérifie pas en elle, si elle ne peut être intéressée pour elle, plutôt que de partir avec quelque chose comme : « Tiens, on ne m’avait pas encore dit ça. Bon, Robert dit que je… »
« Je l’ai lu dans le journal », « Ils l’ont dit à la radio », « Je l’ai vu à la télé », « On me l’a dit, mes parents, mes amis, la concierge, mon médecin, le curé… » Tout cela est bel et bien, mais quelle est mon expérience des choses ? Peut-être pourrons-nous dans une autre chronique parler des croyances, nous n’avons pas idée de combien elles conditionnent toute notre existence.
Il est fort intéressant, surtout très utile, de débusquer ses croyances de toute nature car elles nous limitent, et il ne s’agit certainement pas de leur en substituer d’autres. Toute croyance énonce ou recèle une peur, et seule la connaissance libère quand elle est en nous comme une trace lumineuse résultant de quelque expérience que ce soit.
En somme, tout point de vue demeure digne d’attention dès lors qu’il est envisagé comme pointant vers une direction, proposant une piste, invitant à une exploration… S’il n’éclaire rien pour vous, trouvez en un autre ou « ajustez-le », testez autre chose, et peut-être vérifierez-vous qu’un point de vue ajusté admet le regard qui transforme.
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