Prendre l’effet pour la cause
Pour cette nouvelle chronique et pour débuter cette nouvelle année, que je souhaite à chacune et à chacun lumineuse et heureuse, je veux m’arrêter à un piège fondamentalement insoupçonné, lourd de conséquences, qui nous éloigne notamment de la connaissance, de la compréhension de ce qui se joue dans notre propre existence et qui nous prive surtout de la prospérité, des relations épanouissantes ou simplement de la sérénité.
Certes, il y a nos diverses réactions reconnues ou non, nos besoins insatisfaits, nos peurs / croyances longtemps inconscientes, nos conflits non résolus ou blessures de l’enfance non guéries… Il y a même parfois l’ignorance, voire carrément le déni de certaines de ces choses, mais je veux ici m’en tenir à un positionnement particulier (le piège annoncé) par rapport au(x) problème(s) du moment.
S’agit-il d’ennuis de santé ? D’un handicap ? D’une situation matérielle (travail, logement, argent…) ? De disputes ou désaccords avec son entourage (familial, amical, professionnel…) ? D’un mal de vivre confus (avec soi-même) ? Ou encore de quelque chose qui arrive à des proches (conjoint, enfants, parents, amis) ?…
Peu importe ce qu’il est, c’est « notre problème » du moment ! Il nous affecte d’une manière ou d’une autre et faire comme s’il n’existait pas (cela aussi peut nous arriver) n’est pas une manière moindre. Quel est votre problème à vous ?
À quel degré savons-nous que ce problème est seulement un effet ? Ou bien nous n’avons jamais même considéré la chose ainsi (en tout cas pour le problème spécifique en cause) et nous risquons de ne pas être tiré d’affaire avant longtemps, ou bien ce point nous est connu, familier, mais nous sommes loin de l’avoir intégré (la persistance même du problème pourrait en témoigner) et nous le subissons donc de même.
À titre d’exemple, permettez-moi d’évoquer ma cécité. Je n’ai pas eu besoin de l’anamnèse prolongée que je lui ai consacrée pour la savoir depuis fort longtemps comme seulement un effet, mais son histoire (= l’anamnèse) est prodigieuse à cet égard. D’ailleurs, pour s’intéresser utilement aux sens cachés d’un problème, encore faut-il l’avoir déjà reconnu comme un effet, une conséquence, et cesser de prétendre en connaître les vraies causes…
Or, j’ai pourtant fait l’expérience que cette connaissance, à l’évidence partielle et à la fois un début non négligeable, n’était pas suffisante pour m’arracher au piège d’un aveuglement qui ne doit rien (celui-là) à quelque pathologie ophtalmique.
Il m’est arrivé, d’abord tout étonné, d’avoir à entendre des amis qui me confiaient des problématiques qui étaient aussi les miennes, pour découvrir que j’avais cru que je ne les aurais pas eues sans la cécité. Problème : tout en ayant des yeux bien fonctionnels, ces amis semblaient éprouver certaines circonstances difficiles de façon parfois pire que moi-même… En l’occurrence, c’est dire que j’envisageais la cécité comme une cause et non plus comme un effet.
Ayant pu prendre en compte des périodes de mon existence où il ne me restait plus rien pour incriminer la cécité, là où mes problèmes demeuraient pourtant, j’ai pu percevoir, ressentir comme jamais ce piège dans lequel nous nous maintenons enfermés. J’ai pu me rappeler même que certains états d’âme que j’avais imputés à la cécité, je les avais éprouvés pareillement avant de perdre la vue.
Le seul fait de réagir à notre problème indique que nous le traitons tel une cause : « C’est parce que ___ (le problème – je suis aveugle, malade, seul…, je n’ai pas d’amis, pas d’argent, pas de travail…, j’ai peur de l’avenir, de la maladie, de manquer…) que je suis malheureux, énervé, de mauvaise humeur… » Et encore : « Sans ce problème, tout irait bien ou nettement mieux dans ma vie ! »
Les justifications que nous nous « permettons » à partir de notre problème disent encore qu’il n’est pas vu comme seulement un effet.
Cherchez bien à percevoir, à ressentir ce piège dont je parle ici, il est tout à fait déterminant, et y parvenir constitue une porte de sortie des plus élégantes. Vivre son problème comme une cause, donc comme étant responsable de son mal-être, c’est littéralement y demeurer attaché, en dépendre, y être identifié compulsivement… Autrement dit, c’est en être l’effet – nous devenons nécessairement l’effet de toute chose que nous interprétons comme étant une cause.
Et ce que « je » crois devient vrai pour moi. Je ne suis cause de rien (donc sans pouvoir) si c’est mon problème que je vois comme tel. Mon problème est la cause, je suis l’effet (donc nécessairement impuissant) : la cause est ce qui crée, l’effet ce qui est créé. Voulons-nous nous positionner en créateurs ou en créatures ? « En créateurs », répondrons-nous, mais il nous reste à observer combien nous nous vivons le plus souvent comme seulement un effet. Sans cela, nous continuerons de subir, d’éprouver l’impuissance ou de réagir, de façon compensatoire, comme pour tenter d’être cause, quand même !
Nos positionnements ordinaires par rapport à nos difficultés en tous genres, non seulement ne les résolvent pas, mais les renforcent, les aggravent. Faire comme si le problème n’existait pas ou s’en remettre au « petit bonheur (la chance) » est un de ces positionnements. Un autre consiste à s’escrimer à tenter de supprimer la difficulté, sans comprendre que traiter un effet est impossible ou inutile, voire dangereux. Ce serait un peu comme vouloir arrêter l’écoulement d’un robinet avec la paume de la main…
Prenons encore un exemple simple ; vous pourriez me dire : « Je veux perdre du poids, je n’y arrive pas. En fait, je vois que je manque de volonté ! » (Juste une « explication » parmi beaucoup d’autres…)
Vous vivez cette situation telle une cause si vous prétendez que c’est à cause de vos kilos en trop que vous ne portez pas les vêtements qui vous feraient davantage plaisir, que vous n’allez pas à la plage l’été, que vous vous privé de sorties conviviales au restaurant (si, par ailleurs, vous en auriez envie)…, de même si vous allez de médecins en nutritionnistes, si vous ne cessez d’y penser, d’en parler, parfois même si vous vous en foutez…
Dans ce petit exemple nécessairement simplifié pour le besoin de l’illustration, je devine bien que ce que vous prenez pour une cause, ce qui vous gonfle (osons l’exprimer ainsi) n’est qu’un effet, évidemment, et je serais assez tenté (d’autant plus après que vous m’en ayez parlé) de vous encourager à diriger ailleurs votre attention (en réalité, vos actions pour tenter de régler un problème ne sont pas directement en cause. Il faut bien faire appel aux pompiers quand il y a le feu. Je ne m’occupe ici que de la manière dont nous sommes affectés).
Vous dites manquer de volonté et vous voudriez la solliciter là où elle fait le plus douloureusement défaut. Dans quels autres domaines, faites-vous vraiment preuve de volonté ? La question ne risque-t-elle pas de vous embarrasser un peu ?…
Eh bien, en laissant désormais utilement de côté votre problème de poids, considérez quelques autres domaines où l’exercice de votre volonté pourrait être à la fois plus facile et très avantageux pour vous : que ne faites-vous pas pour vous, pour votre satisfaction, votre plaisir ? À quoi vous soumettez-vous inconsidérément ? De quoi avez-vous honte (notamment quelque chose que vous vous évertuez à ignorer) ?…
Comprenez que nous nous intéressons là à une cause dont le poids pourrait n’être que l’effet le plus marqué, le plus visible, et que votre « seul » besoin est de vous occuper enfin de cette cause. Comprenez qu’en intervenant sur la cause, un ancien effet ne peut subsister…
Par ailleurs, ne perdez pas de vue qu’il s’agit là d’un exemple, que beaucoup de causes peuvent être à l’origine des problèmes de poids (comme de tout autre) et que l’idée est essentiellement de sentir comment nous nous positionnons face à ce qui nous éprouve, voire combien nous sommes piégés d’une manière générale.
Sachons aussi que la cause que nous trouvons est en elle-même un effet, mais là où les choses deviennent pour nous plus faciles, là où nous reprenons notre vie en mains (donc redevenons cause), c’est quand nous arrêtons d’abandonner notre pouvoir aux épreuves de l’existence en leur accordant erronément le statut de cause.
D’aucuns pointent comme cause de leur « malheur » les critiques qu’ils essuient dans leur entourage. En « grand spécialistes de traitement des effets », tantôt ils critiquent et attaquent à leur tour, tantôt ils mettent fin à des relations, tantôt ils s’emploient à se conformer à ce qu’ils pensent que l’on pourrait attendre d’eux… Et, en fait, rien ne change (même s’ils doivent s’attirer de nouvelles personnes pour se faire critiquer, juger de plus belle…)
Alors, cette critique extérieure, de quoi est-elle donc l’effet ? Fondamentalement, les intéressés se critiquent eux-mêmes, se culpabilisent, ont honte (inconsciemment et à tort) et se font dire tout haut (ou simplement entendent dehors) ce qu’ils se disent intérieurement, à leur sujet…
Derrière ces lignes, l’invitation est seulement de déplacer notre attention braquée en vain sur des effets pour l’accorder aux causes. Et ce changement d’attention (dont nous sommes cause) ne sera pas sans effets !
Ah, parfois, cela peut encore nous remuer puisque voici que nous nous mettons à voir ce que nous nous sommes toujours évertués à ignorer ! Cette « confrontation » est en fait souhaitable, bienvenue, transformatrice. Au-delà d’une difficulté surmontable à diriger utilement son attention, à nous seul de savoir si nous voulons y voir plus clair, mieux connaître notre réalité, cesser de nous raconter des histoires.
Cette confrontation peut-être crainte pourrait en réalité aboutir à une rencontre inattendue, à une rencontre heureuse, et c’est la rencontre avec nous-mêmes. Et puisque nous sommes en « pleine saison des vœux », nourrissons l’intérêt à nous connaître mieux, et la rencontre aura lieu !
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