L’aptitude à aimer
Ne pas être toujours d’accord avec nos intimes, nos proches, les gens en général n’est pas en soi un problème. Cela le devient quand nous en sommes affectés, quand cela se « conflictualise ». Et, souvent, notre histoire personnelle nous fournit beaucoup de matière susceptible de nous réactiver émotionnellement.
Cependant, il n’y a pas de fatalité et en toutes circonstances, nous pouvons accéder à une compréhension, user de notre intelligence, pour apaiser et dissiper progressivement toute tendance à nous laisser éprouver de quelque manière que ce soit.
Si prenants, si souffrants, les conflits relationnels méritent bien qu’on leur accorde une chronique entière, au minimum, car ils découlent directement de la même cause que celle des problèmes en tous genres, ces derniers constituant tous les autres effets de nos blessures non guéries. Je parle de blessures pour évoquer les marques qu’a laissées en nous la manière dont nous nous sommes sentis traités enfants. Ces marques spécifiques sont devenues tout notre conditionnement.
D’abord, à un niveau simplement limité ou superficiel, voyons sur quoi peut reposer un conflit relationnel. C’est somme toute assez simple : soit on subit la réaction manifeste d’une personne, on reçoit un flux d’énergie déplaisant, soit on est soi-même en réaction à quelque chose qui ne nous convient pas, et l’on envoie un flux qui n’est certainement pas de nature à séduire la personne visée. Dans les deux cas, il y a toujours une réaction engendrée par une interprétation. Et, « justifiée » ou non, cette interprétation est immédiatement en cause, à savoir qu’elle provoque le malaise éprouvé.
En somme, pour quelque raison, c’est l’autre qui est d’abord mécontent dans le premier cas et soi-même dans le second : il(elle) s’attendait à ce que je fasse ou ne fasse pas ceci et ne l’obtient pas ; je m’attendais à ce qu’autrui fasse ou ne fasse pas cela et ne l’obtiens pas. Dans les deux cas, exprimé ou non, un éventuel affrontement a lieu, quelque chose de lourd est enclenché !…
Dans le conflit, de façon parfois détournée ou confuse, chacun souffre de se sentir traité comme il s’est senti traité enfant (ce dont il est ordinairement peu ou pas du tout conscient), comme il continue d’avoir peur d’être traité – allant jusqu’à provoquer la circonstance propice pour éprouver sa vieille douleur…
Ladite circonstance se produit à la fois, parce qu’elle est crainte (ce qui est craint inconsciemment advient) et comme pour nous donner l’occasion de nous mettre en situation enfin de reconnaître, ressentir, libéré ce qui n’a pas été pleinement reconnu, ressenti, libéré. Et c’est le manque perpétué de conscience qui provoque l’enchaînement déploré des mêmes circonstances – l’histoire peut être différente, mais le ressenti est identique. Quoi qu’il en soit, notre existence n’est-elle pas parsemée de conflits relationnels, avec (ex)conjoint(e), enfants, parents, autres membres de la famille, amis, collègues, responsables ou voisins… ?
Nous subissons ces conflits encore et encore, nous y réagissons de diverses manières, de la plus ” cool ” à la plus véhémente, mais pourrions-nous vraiment les nier, les nier tous, les nier longtemps ? Et une autre question pourrait s’imposer : « comment est-ce que je me débrouille pour m’attirer tel conflit, pour le maintenir ? » Aïe, la question suggère « ma » (notre) responsabilité ! Il serait dommage d’y résister car la solution s’y trouve. « Être responsable » signifie notamment « détenir le pouvoir de réponse » — nous y reviendrons.
Et questionnons-nous encore : s’il nous arrive de déplorer un conflit, de le regretter, cela ne signifie-t-il pas, au fond, que nous pourrions aspirer à autre chose ? C’est quoi autre chose que le conflit ? L’inverse ? Ça serait quoi ?
Plutôt que d’être en conflit avec telle ou telle personne, il y a fort à parier (dans la plupart des cas) que nous préférerions nous sentir, par cette personne, compris, reconnu, valorisé, apprécié, accueilli ou respecté…, bref aimé d’une manière ou d’une autre. Toujours concernée, l’attente n’est pas nécessairement plaquée sur la personne avec qui nous vivons le désaccord (qui nous remue). De toute façon, diversement dirigées, nos attentes compensatrices n’appellent rien d’autre que des substituts d’amour, d’affection. Nous voulons être aimés !
Et c’est bien légitime, sauf qu’il est « difficile » de récolter ce que nous n’avons pas semé, de récolter quand nous n’avons pas semé, et puisque nous récoltons néanmoins, ceci ou cela, parfois ou souvent, c’est juste que nous avons semé ! Il ne s’agit surtout pas de noircir le tableau, soyez simplement intéressé à découvrir quand vous ne « semez » pas – ou éventuellement ce que vous semez. Ici, il s’agit d’observer que « vouloir être aimé » ne signifie pas « aimer » ; n’avons-nous pas tendance à le croire ?
Vous savez-vous aimant(e) ? Oui, en êtes-vous bien sûr ? Alors que vous me lisez, invitez-vous (si vous le voulez) à juste aimer, à exercer votre aptitude à aimer, à sentir l’amour jaillissant en vous. Ne mettez pas votre attention sur quelque destinataire de cet amour, mais sur sa source, sur votre « cœur». Vous pouvez ou non ressentir votre aptitude à aimer, l’expérience peut être belle, douce, intéressante…
Observez que j’évoque là un sentiment, non pas un geste, non pas un comportement, non pas une apparence. Certes, l’amour jaillissant les permet, mais en son absence, ils sont de la « fabrication d’amour » : l’humour, la sympathie, la générosité…, souvent sont des demandes d’amour, non pas de l’amour. Et si d’aucuns devaient se demander comment cela est possible, je répondrais : en fait, comment pourrait-il en être autrement ?
Si vous l’avez lue, rappelez-vous la dernière chronique (n° 18) où j’évoque la culpabilité profondément enracinée qui nous habite TOUS. Inconsciemment et à tort, disais-je, nous nous croyons coupables. Et, ajoutai-je, quand nous accusons autrui, nous ne faisons que projeter un peu de cette culpabilité, tant elle est encombrante, moyen direct par excellence de ne toujours pas aimer, pire de n’attendre plus rien que cette sinistre possibilité d’évacuer un trop-plein fort envahissant. Allons-nous croire encore, après observation, que nous pouvons nous sentir à la fois coupables et aimants ? En fait, l’un est le contraire de l’autre.
Comprenez bien, ici, que je ne nous accuse pas d’être coupables et non-aimants. Je dis qu’à nous CROIRE coupables, nous nous empêchons d’aimer. Je parle de notre aptitude à aimer que, par voie de conséquence, nous délaissons quand nous nous culpabilisons. Et c’est pour fuir cette culpabilité, que nous voulons à tout prix, de toute urgence, être aimés (aidés, considérés, sollicités…). Il s’agit de démentir cette culpabilité, une vaine tentative ! Nous cherchons auprès d’autrui le pardon que nous nous refusons. Nous prenons ce qui nous anime alors pour de l’amour donné quand cela n’est que de l’amour quémandé.
Offrons-nous de voir cela, de voir que ce faisant nous n’aimons pas, de voir qu’en n’aimant pas, nous ne voyons pas l’amour, nous ne le récoltons pas. Le voir implique que nous reconnaissons en même temps notre aptitude à aimer et l’exercer contribue à dissoudre la culpabilité. Juste pour voir, décidez d’aimer ici et maintenant, l’effet est immédiat. Vous n’y arrivez pas, alors, aimez voir cela, aimez le découvrir, le savoir !
Et vérifiez si vous en avez l’intention, si vous en êtes d’accord…
Quand on s’entraîne, quand on s’amuse à aimer ainsi, en pleine conscience, quand on aime éventuellement plus que d’ordinaire, puisqu’il y a dissipation de la culpabilité, on découvre encore qu’il n’y a plus de peur. S’il y a peur, il y a culpabilité, et inversement.
Et, avec l’amour, sans culpabilité et donc sans peur, jaillissent la confiance et surtout la foi. Oui, la foi est l’effet de l’amour. Avec la culpabilité, aussi inconscient que cela soit, on ne peut s’attendre qu’au « pire ».
Pour nous auto-accuser, pour nous culpabiliser, il nous a fallu vivre des expériences malheureuses (être blessés) desquelles nous avons retenu, adopté un sentiment d’indignité sous une forme ou sous une autre. Nous avons pu ne pas être en situation de faire « l’expérience d’aimer » et nous en avons déduit que nous étions non aimants (donc « coupables »). Mais plus utile que cette compréhension est la considération de notre positionnement actuel.
SE CROIRE COUPABLE = SE SENTIR COUPABLE = AVOIR PEUR = NE PAS RESSENTIR L’AMOUR = NE PAS AIMER = PERPÉTUER LE MANQUE ET s’ATTENDRE AU PIRE = SE L’ATTIRER, LE VIVRE…
Si le mot « amour » vous semble inapproprié ou comme un peu emmiellé, relisez le texte et remplacez-le par un autre de votre choix (affinité, affection, compréhension…) et remplacez « aimer » par « avoir ___ (ou ressentir l’une de ces choses).
Et si c’est votre culpabilité qui demeure pour vous une inconnue, au point d’en douter, sachez que nous avons plus d’un tour dans notre sac pour la camoufler (de façon compulsive, être bien gentil, serviable, tolérant…, s’arranger pour ne surtout pas déranger, s’excuser pour un rien…).
Et j’ai évoqué le « pouvoir de réponse » qui est le nôtre – l’exercice de notre responsabilité, comment l’assumons-nous ? De quoi est faite la « réponse » que nous apportons ? Est-elle empreinte d’amour, d’une intention fondamentalement bonne, ou est-elle l’expression de quelque ressentiment ? Nous entretenons nos conflits simplement en n’aimant point. Le plus souvent, nous méconnaissons cela. D’autres fois, nous pourrions croire légitime de haïr, sans voir que c’est d’abord à nous, souvent à nous seul que nous nuisons.
Nous vivons dans un monde saturé d’animosité. Allons-nous déplorer cela, en y surimposant notre propre fiel, en continuant d’ignorer notre aptitude à aimer qui, en fait, est également un besoin fondamental ? Tout besoin non satisfait, par nous-mêmes, aboutit à la misère. L’amour non ressenti mène à l’adversité. Tout cela semble un peu théorique, alors qu’il est question d’amour, mais la compréhension peut en faciliter le retour. Quel risque y aurait-il à aimer
? Et s’il y en avait un, le ressentiment et la culpabilité pourraient-ils l’éliminer ?
Jusqu’à notre dernier souffle, nous pouvons et pourrons aimer. Rien ni personne ne pourra nous en empêcher. Jamais, cela ne sera sans effet. « S’ils n’auront pas notre liberté de penser », comme le proclame une chanson à succès, il est une liberté plus grande encore, assurément plus féconde, qui jamais ne nous fera défaut, et c’est celle d’aimer, celle d’exercer notre aptitude à aimer. Alors, n’hésitons pas à en abuser et nous verrons notamment se raréfier les conflits relationnels…
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