Quel est le problème ?
Le mal de vivre, l’insatisfaction, la souffrance (peu importe ici comment on nomme la chose) résulte de notre conditionnement qui consiste simplement à penser, penser, penser de façon compulsive, quasi permanente. Que l’on regrette ou maudisse le passé, que l’on craigne ou désire l’avenir, c’est toujours le penser qui est à l’œuvre. La simple ou rapide lecture de ces premiers mots ne garantit pas de percevoir l’ampleur du phénomène et encore moins son effet, douloureux, qui est la souffrance elle-même.
Oui, on a vécu des choses dans le passé ; oui, on a une histoire ! Mais est-on conscient de l’effet produit sur nous par l’importance que nous lui accordons ? Penser est si normal, si habituel, même penser de façon négative, que nous ne réalisons pas que cela n’est qu’un mode de fonctionnement, qu’un positionnement, que nous en adoptons un autre bien des fois, plus heureux, porteur de paix et de joie.
Parfois, parce que l’on a reçu une bonne nouvelle, accompli quelque chose, fait une heureuse rencontre…, on se sent soudainement très bien, en paix, peut-être comblé. On croit à tort que c’est dû à la chose réalisée, à la personne aimée quand, en réalité, la paix surgit du fait que le penser vient de se calmer, de se faire plus discret : on ne pense plus au passé, on ne craint plus l’avenir, on ne pense plus de façon obsessionnelle. Et ce contentement soudain ne dure pas, non que la circonstance heureuse n’existe plus (bien que cela se produise régulièrement), mais parce que l’on se remet à penser de plus belle.
Une fois réveillés le matin, avez-vous déjà observé qu’il y a un temps sans pensées (parfois) plus ou moins long où l’on peut apprécier l’instant présent ? On peut retrouver des circonstances semblables en écoutant, en commençant à écouter une musique qui plaît, le chant d’un oiseau, en regardant, commençant à regarder une fleur, un arbre, un coucher de soleil, un petit enfant qui joue ou qui sourit… Cet état sans pensées est la présence à ce qui est, ici et maintenant, une ouverture, un accueil, une appréciation.
Notez que cela n’a rien d’ésotérique, de compliqué, que cela ne parle pas d’un état qui ne serait accessible qu’à une « élite éveillée spirituellement ». Il s’agit de bon sens qui pointe vers quelque chose que nous connaissons déjà, que nous pratiquons déjà, mais la reconnaissance de ces instants privilégiés pourrait bien les prolonger, les multiplier et, par l’expérience alors consciente, nous faire découvrir que nous leur devons nos véritables moments de paix et de grâce. Jamais, le mental ne nous donne cela. Il ne le peut pas.
Lisant cette seule page, vous pouvez observer les idées énoncées, observer l’éventuel effet qu’elles produisent sur vous (qu’il soit positif ou négatif) ou bien les juger (bonnes ou mauvaises), les analyser, c’est-à-dire penser. Dans le premier cas, vous êtes réceptif ; vous émettez dans le second. Le problème est double, d’une manière générale, parce que nous émettons à partir des pensées, des croyances, du passé, et que, ce faisant, nous nous empêchons de recevoir. C’est dans l’état de réceptivité, d’ouverture, de présence que nous viennent l’inspiration, l’intuition, les mots et les actions appropriés.
Maintenant, que va-t-il se passer si nous soumettons une préoccupation ordinairement prenante à cet état de présence consciente ? On peut découvrir, alors qu’on n’a cessé d’y penser depuis des lustres, que l’on n’a même pas posé (nommé) le problème. Notez que l’invitation sous-jacente à remettre en cause son « penser » n’exige pas de nier ses problèmes. Bien au contraire, allons-nous enfin les regarder vraiment, les observer pour simplement voir ce qu’ils sont ?
Quand une personne vient me consulter avec un problème, un malaise spécifique, je l’aide à (tenter de) nommer la chose, à l’approcher au plus près. On pourrait presque dire, si nous avons pu déterminer clairement le problème, que la séance peut parfois s’arrêter là. La vision et la compréhension qui en résultent, avec l’accueil bienveillant de ce qui est, suffisent alors à initier une transformation qui n’est plus attendue par le désir psychique. La désirer serait encore l’empêcher.
Mais quand j’invite la personne à mettre son attention sur le problème dont elle vient de me parler, auquel elle ne cesse de penser du matin au soir, elle peut avoir du mal à répondre à la proposition. Pris dans l’activité mentale, on ne fait pas la différence entre « observer son problème » et « y réagir ». Dans les deux cas, peut-on dire, l’attention est concernée, mais dans le premier, c’est de l’attention accordée (mise sur la chose) et dans le second, c’est de l’attention prise (captée) par la chose.
Admettons que le problème soit « je n’ai plus d’argent ». Quand vous considérez cela du seul point de vue mental, réactif, vous pensez immédiatement aux factures qui vont tomber, aux difficultés qui vont s’accumuler ; vous pouvez encore vous rappelez les manques de votre enfance, de votre famille. Inutile d’expliquer combien ces pensées vous affectent émotionnellement.
Dès lors que vous vous permettez d’observer que vous êtes dans la réaction notamment émotionnelle, donc dans le mental, et sans juger cela, vous redevenez présent. Être dans le mental, c’est être dans le futur ou dans le passé… Et ne plus réagir au problème, en fait ne plus y résister, est d’autant moins le nier que cela permet parfois de le reconnaître vraiment pour la première fois. Nier son problème est également y résister.
S’il y a possibilité de faire quelque chose d’utile pour résoudre ce problème ou tout autre, l’idée surgit plus sûrement de l’état de présence et d’observation que de celui de la réaction envahissante, aveuglante. Par exemple, il peut apparaître qu’une demande devrait être faite. Et si, du même coup, l’idée de demander se fait éprouver comme insupportable, voici possible la découverte, la compréhension que le problème n’est pas, n’est plus l’argent, mais la demande. Ici, le manque (d’argent ou autre) est un effet du problème associé au fait de demander. Et, parfois, cette seule perception fait émerger la motivation pour demander enfin.
C’est en cela que nommer le problème derrière le problème est nécessaire et pratique. Quand un problème semble sans solution, se perpétue depuis longtemps, il convient de vérifier, de se demander : quel est le problème derrière le problème ? En quoi ceci ou cela est-il un problème ? Mais l’attention qu’on accorde à son problème ne garantit pas d’avoir accès à une solution immédiate. Cependant, serait-ce suffisant pour réagir, pour ne pas accepter dans l’instant le problème tel qu’il est ? De toute façon, il est ! Y résister signifie empêcher tout changement. Quelque chose est maintenu, tenu : on tient à la réaction et le problème est aussi dans la prise (d’où l’invitation fréquente au lâcher-prise).
Le véritable lâcher-prise consiste à diriger son attention ailleurs, en toute conscience, ce qui veut dire aussi « pratiquer l’alternance ». Observez comme il est bon, régulièrement, de passer d’une activité à l’autre. En revenant ensuite à une activité interrompue en conscience, elle est accomplie avec une nouvelle énergie, avec plus de facilité. Dans l’alternance, quelque chose s’est produit (« la nuit a porté conseil »), et quand il s’agit d’un problème, il n’est plus perçu de la même façon, il a perdu de sa gravité. Quand on y reste coincé, en revanche, le problème a tendance à empirer.
Aujourd’hui, l’ultime problème derrière tous nos problèmes est notre rupture inconsidérée d’avec l’instant présent. C’est cela qui jamais ne nous quitte, où que l’on soit, qui est la présence elle-même, l’essence de ce que nous sommes, de toute chose. Dans cet instant-ci, il y a ceci, il y a cela, c’est la forme qu’il prend. Si je dis « oui » à ce que je vis, à ce que j’ai dans l’instant présent, qui ne peut être autrement, dans l’instant présent, j’honore la vie, j’en découvre la beauté, je suis en paix et enfin disponible pour accueillir sans cesse ce qui se présente d’instant en instant : de nouvelles idées, de nouveaux élans, de nouvelles rencontres, de nouvelles choses semblant venir de l’extérieur. Ou bien, sans cela, je demeure en paix et en joie.
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