Comment faire pour continuer de se sentir mal ?
Comme je me sens bien dans la peau d’un enseignant, j’ai envie ce mois-ci de vous apprendre un truc que je crois maîtriser à la perfection – si vous voulez bien me permettre de formuler ainsi les choses. À vrai dire, je suis à peu près sûr qu’il s’agit d’une aptitude que nous partageons tous de façon égale, mais nous ne sommes pas plus conscients de certaines aptitudes qui sont nôtres et que nous utilisons (voire dont nous abusons) que nous ne sommes conscients d’un grand nombre de peurs, croyances, culpabilités qui squattent notre monde intérieur.
Je ne veux pas vous faire languir davantage : ce que je veux vous apprendre, c’est la bonne manière de faire durer la souffrance surtout émotionnelle, ainsi que les problèmes et contrariétés qui la réactivent idéalement. Certainement, très certainement que vous la mettez déjà en application, mais savez-vous que vous êtes vous-même expert en la matière ? Savez-vous que vous savez faire ? Au niveau pratique, il y a plusieurs moyens, mais ils reposent tous sur un même positionnement de base.
Pour certains, le moyen est de faire comme si la chose (la problématique) n’existait pas, elle est alors niée ou simplement ignorée (sans conscience que bien des désagréments en sont des effets). Ce qui y contribue efficacement, dans ce cas, est de prolonger des séances télé, jeux divers, fumer, manger, boire davantage, s’assommer de travail, s’anesthésier d’une manière ou d’une autre…, bref user de trucs pour ne pas sentir. C’est exactement comme utiliser des trucs pour ne pas voir des choses : des housses sur des sièges salis, la saleté repoussée sous des meubles, un vêtement ample cachant des formes… On ne les voit plus, on ne les sent plus (c’est moins sûr), mais toutes ces choses éprouvantes demeurent (perdurent).
Toujours pour s’assurer que la chose persiste (bien sûr inconsciemment), d’autres s’en emparent avec promptitude, en font quelque chose d’absolument important. Que dis-je ? Ils la grossissent pour eux-mêmes, en la ruminant, ou pour d’autres auprès de qui ils se plaignent alors. Voilà enfin le moyen trouvé pour s’accorder, s’attirer de l’attention. Hé, si c’est le moyen pour exister, pour se sentir exister, il ne saurait être question que la souffrance, les problèmes qui la favorisent ne nous quittent ! Oui, il faut qu’ils durent et ils durent… En plus, on s’en sert souvent pour ressentir combien l’on a raison et, cela va de pair, combien les autres ont tort, « que c’est bon ! ».
Pour que l’adversité se prolonge, pour qu’elle soit éprouvée sous une forme ou sous une autre, on la rumine, on s’en plaint, on s’en indigne, on la nie. Comment, vous ne savez pas que ce qui est nié persiste ? Quand donc est-ce qu’un mensonge n’est plus un mensonge ? Sans même la nier, certains peuvent ne même pas s’en plaindre vraiment, le fonctionnement humain comprend aussi le masochisme. Le moyen choisi dépend de notre histoire, de notre blessure (les blessures sont l’objet du livre que je termine actuellement).
Que rien dans ce qui précède ne vous offense, même si vous deviez vous y voir peu ou prou, car ce n’est pas de vous, ni de moi dont je parle, même si je m’amuse un peu (permettez-le), mais du seul fonctionnement humain banal, ordinaire, commun, par lequel, tout bonnement, on se laisse piéger !… Alors, outre les divers moyens mentionnés précédemment pour entretenir la souffrance et/ou ce qui fait souffrir, le positionnement de base, le truc qui sous-tend lesdits moyens, c’est la résistance. Si vous avez quelque intérêt à faire en sorte de prolonger cette circonstance éprouvante, résistez-lui ! Pensez-y bien : ne cessez de lui résister que si vous êtes positivement disposé à vivre autre chose. Mais ne vous dupez pas : « vouloir le meilleur » ne signifie pas encore « être disposé à le vivre ».
Ici, « résister à une personne, à une chose », c’est notamment « ne pas la laisser passer ». « Résister aux problèmes, à la souffrance », c’est « ne pas les laisser passer ». Et ça marche ! Le résultat est garanti : « Ça passe pas ! ». Si ça ne passe pas, ça continue. La résistance à ce qui se présente à nous est le moyen par excellence pour le faire durer (CQFD). Il est amusant d’observer que « souffrir » et « résister » ont une acception commune qui est : supporter, endurer, encaisser. Autrement dit, pour faire durer une chose, il faut la souffrir, la supporter, l’encaisser. Souffrez la souffrance et elle persistera, plaignez-vous en, ressassez-la, révoltez-vous ! C’est aussi de la sorte que tout problème est entretenu.
Bon, je pourrais vous donner d’autres petits trucs pour souffrir encore plus, mais je vous fais confiance pour repérer vos propres stratégies. Et accessoirement, « histoire de nous en protéger », regardons maintenant le risque encouru à ne plus résister. Que va-t-il se passer si nous cessons de lutter, de réagir, de nous opposer ? Mieux vaut être prévenu ! J’ai été témoin de choses incroyables, je dois absolument vous « mettre en garde » !
C’était un dimanche soir de novembre qui terminait un séminaire que j’avais animé en province. Un participant avait été vivement remué concernant son père dont il n’avait plus eu de nouvelles depuis environ 7 ans. Il avait jusque-là nourri à son encontre d’effroyables ressentiments, considérant ses justifications avec « jubilation ». Mais à la faveur du travail accompli, sa haine et sa rancune l’avaient soudainement lâché (« faut faire attention, ça peut arriver ! »). Laissons ici les vécus en cause. Et le participant de me dire : « Je n’avais jamais senti pareille libération » (= plus de souffrance) « et je m’en veux maintenant d’avoir ignoré mon père depuis si longtemps… Qu’est-ce que je peux faire ? »
En résumé, je lui expliquai qu’il n’était pas nécessaire de substituer la culpabilité aux ressentiments, que ce qu’il avait à faire était fait (ne plus résister) et qu’autre chose se présenterait nécessairement à lui désormais. Il me téléphona le lendemain soir : « Je ne puis faire autrement que de t’appeler, mon père m’a téléphoné ce matin, nous allons passer le réveillon de Noël ensemble !… » L’intelligence supérieure n’a pas besoin de nous, de nos considérations purement mentales pour demeurer toujours en harmonie avec nos positionnements, quels qu’ils soient. Seuls ces derniers nous incombent directement.
Ce jeune ami était venu me voir, dans tous ses états, parce que ses parents avaient été emmenés au commissariat et que ce qu’il avait perçu ne présageait rien de bon. Je l’ai écouté, je l’ai invité à être avec ce qui était là pour lui. Puisque c’est là, pourquoi lutter ? (Ah oui, j’avais oublié, pour faire durer la souffrance). Et le jeune homme a fini par accepter pleinement la situation, par lui permettre vraiment d’être ce qu’elle était. Nous buvions tranquillement un café quand son portable sonna. Sa mère lui annonçait qu’ils étaient de retour à la maison, qu’il y avait eu erreur sur les personnes…
D’une manière ou d’une autre, plutôt que de résister, de réagir à quoi que ce soit qui nous affecte, dès lors que nous l’accueillons, l’acceptons pleinement, nous retrouvons immédiatement la sérénité. Éventuelle cerise sur le gâteau, les circonstances changent tôt ou tard. Accueillir ma cécité ne me fait pas recouvrer la vue, mais admettez que ne plus me vivre en aveugle m’offre une autre ambiance intérieure. C’est résister, c’est ne pas accepter qui fait mal.
Rappelons qu’accepter ne signifie pas ici souffrir, supporter, encaisser : « Je suis bien obligé d’accepter, je n’ai pas le choix ! » Cela n’est pas l’acceptation dont il est question, cela n’est pas l’acceptation transformatrice. C’est encore une réaction. Oui, nous avons le choix entre réagir à la chose et lui permettre vraiment d’être ce qu’elle est. Cette permission est compassion alors que toute réaction est un non-amour. Mais il me semble entendre quelques réactions ici ou là :
– « Accepter, accepter…, je voudrais bien t’y voir ! Mon mari boit, il est violent, il ne travaille que quelques jours par mois. Je n’ai pas envie de vivre encore 30 ou 40 ans cette vie de chien !… ».
– « Je suis en fauteuil roulant, je ne sais pas ce que je vais devenir ! »
– « Accepter d’être au chômage, ça ne me semble pas sérieux ! »…
Je comprends bien tout cela. Il ne s’agit pas d’accepter, ni même d’ailleurs de ne pas accepter une condition de vie (ça n’est pas le sujet), mais dans ce seul instant où vous l’évoquez, là où vous résistez (= là où vous faites ce qu’il faut pour que ça dure), sachez que vous pouvez tester autre chose : ici et maintenant, juste dans cet instant, vous pouvez (ou non) être avec la chose, lui dire « oui », la reconnaître comme jamais, la sentir en conscience, l’observer sans plus la juger, sans rien déduire, sans rien attendre, juste être avec, demeurer avec, avec bienveillance…
Mais « attention », dans cet état de présence, d’accueil, qui est de même un état d’ouverture, d’observation, d’écoute, là où vous serez déjà tranquille, en paix, des idées nouvelles peuvent surgir, surgissent à un moment ou à un autre, des intuitions viennent, des décisions se font connaître, des actions s’imposent d’elles-mêmes. Ne plus réagir ne signifie pas ne pas agir. Il se peut que le mari arrête de boire (qui sait ?), qu’il devienne évident pour vous que votre chemin ensemble se termine là, qu’une nouvelle rencontre vous permette de traverser la séparation dans les meilleures conditions… J’ai connu des gens en fauteuil roulant tout à fait heureux de vivre… Il se peut que vous trouviez du travail, que l’occasion d’une formation qui vous intéresse se présente et que vous n’auriez pu suivre si vous aviez déjà été engagé ailleurs…
– « Oui, je vois bien que résister ne fait qu’empirer les choses, je vois bien l’intérêt d’accepter, mais je n’y arrive pas ! »
Eh bien, si vous en êtes là, c’est tout bonnement magnifique ! C’est l’intention qui compte. Vous avez l’intention d’accueillir votre problème, votre souffrance, mais vous n’y parvenez pas. Alors, voyez cela différemment : ici, dans l’instant, votre problème n’est plus le problème, mais votre difficulté à l’accepter. Ne résistez pas à cette difficulté, soyez avec elle, permettez-lui d’être là, accueillez-la, reconnaissez-la, soyez compréhensif, amical avec votre difficulté à accepter. Et voyez ce qui se passe !
D’une manière générale, voyez ce qui se passe, en vous, quand vous vous proposez de ne plus résister, juste d’être avec ce qui est là dans l’instant, de l’accueillir pleinement, de ne plus le négliger, de ne plus le juger, de ne plus l’ignorer, de ne plus le tromper, de ne plus le maltraiter. C’est vraisemblablement cesser de faire à la chose ce que vous avez éprouvé que l’on vous a fait, jadis. Et, ultimement, c’est vous accueillir, vous reconnaître, vous comprendre, vous respecter. C’est s’accorder enfin ce que l’on attend du monde et que, jamais, il ne pourra nous donner si nous ne nous le donnons pas, d’abord…
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