Reconnaître et accepter de ne pas savoir, c’est bon !
Il est rare que j’écrive la chronique du mois avant le jour même (ou avant la veille du jour) où je l’envoie à Alain, mon ami Webmaster qui se charge de la mettre en ligne. L’intention (délibérée) est généralement de coller de plus près à l’ambiance et l’inspiration du moment de la diffusion de la chronique. De retour de voyage familial à la faveur des fêtes, j’ai à cœur d’honorer mon rendez-vous mensuel et, alors que je m’installe pour rédiger, je ne sais pas encore ce que sera la teneur de ce nouvel article. Que pourrions-nous avoir besoin de « lire » ou de nous dire qui puisse éventuellement faire une différence heureuse pour certains d’entre nous ? Je ne sais pas !
« JE NE SAIS PAS » (quel thème développer – alors qu’une idée émerge déjà cependant). Outre mes propres « je ne sais pas », j’en entends ou j’en devine régulièrement de nombreux : « Je ne sais pas quoi faire à manger ce midi », « Je ne sais que faire pour retrouver du travail », « Il (elle) a l’air de me faire la tête, je ne sais pas pourquoi ! », « Je ne sais pas pourquoi je m’énerve pour un rien ! », « Je ne sais pas où j’en suis ! », « Je ne sais pas à qui envoyer des cartes de vœux, ni que dire »… Pouvez-vous avoir à l’esprit l’un ou l’autre de vos « je ne sais pas » ? Que ressentez-vous à ne pas savoir ?
À l’évidence, il y a bien des choses que nous ne savons pas, sans même compter ce que nous croyons savoir et qu’en fait, nous ne savons pas davantage. Nous ne savons pas ceci, cela, et alors, pourquoi en faire un problème ? N’est-ce pas toutefois ce que nous faisons souvent ? Oui, nous pouvons nous en vouloir ou au moins nous énerver quand nous ne savons pas. Cette culpabilité ou cet énervement possible expliquera parfois notre tendance à faire comme si nous savions alors que nous sommes dans l’ignorance. Parfois, nous nous identifions sans nous en rendre compte à M. ou Mme Je-sais-tout, à notre détriment en premier lieu…
De ces premières lignes, nous pouvons utilement retenir deux choses d’importance : il est toujours mieux de reconnaître ce que nous ne savons pas et de l’accepter complètement. C’est alors seulement que tout devient possible. Parfois, nous sommes étonnés de ce qu’un problème (de santé ou autre) ne se résolve pas, mais ce seul étonnement ne révèle-t-il pas que nous prétendons savoir au-delà de la réalité ? Selon nous, le problème devrait être dépassé puisque… En fait, nous n’admettons pas que quelque chose nous échappe, de ne pas savoir. Cela seul peut être notre problème, et nous ne le savons pas ! Croire à tort savoir prive de la connaissance salutaire.
Pour plaisanter, il m’est arrivé de déclarer en conférences : « N’hésitez pas à me poser des questions, j’ai réponse à tout ! » Je m’empressais d’ajouter : « L’une de mes réponses fréquentes est JE NE SAIS PAS… » Au-delà de cette petite plaisanterie, j’insiste ici sur le « confort émotionnel » que peut permettre l’accueil d’un « je ne sais pas ». Je ne suis pas tenu, obligé de savoir. Ne pas savoir n’est pas dévalorisant. Le croire serait encore un savoir bien dommageable.
J’émets l’hypothèse que le premier savoir qui vaille est, dans bien des cas, savoir que l’on ne sait pas. On est là passé du stade « ne pas savoir qu’on ne sait pas » au stade « savoir qu’on ne sait pas ». « Savoir que l’on sait » sera le stade suivant. Et, avec « savoir qu’on ne sait pas », nous y sommes déjà. Quand nous faisons fausse route, sans le savoir, nous aggravons la situation. Il n’est pas difficile d’imaginer que nous sommes plus près de découvrir (savoir » la bonne route quand nous nous savons perdus. Mais quand ça n’est pas simplement l’ignorance, l’orgueil ou la culpabilité nous pousse souvent à nous fourvoyer davantage. C’est folie !
Si l’on peut dire maintenant que, souvent, nous ne savons pas que nous ne savons pas, on peut observer également que nous nous positionnons mentalement, émotionnellement comme si nous savions. Ne pas savoir que l’on ne sait pas équivaut à croire savoir. « J’ai une maladie incurable », « À Mon âge, on ne peut plus retrouver un emploi », « Les choses vont aller de mal en pis », « Je suis trop ___ pour rencontrer quelqu’un qui m’aime »…, qu’en savez-vous, en réalité ? Et plus tard, on pourra proclamer : « Je le savais ! », « Je te l’avais bien dit ! »… On ne sait pas non plus la force créatrice d’une croyance.
Il m’est arrivé de proposer de l’aide à des personnes qui venaient d’évoquer l’une ou l’autre de leurs difficultés tenaces et de recevoir pour toute réponse : « Ça n’est pas nécessaire, je sais d’où viennent mes problèmes ! » Personnellement, je pourrais affirmer de même que je sais la cause de mes troubles récalcitrants. Pourtant, l’expérience me montre surtout, s’agissant de ce qui m’affecte, qu’il y a toujours quelque chose qui demeure dans l’ombre, quelque chose que je ne sais pas. La prise de conscience libératrice est contenue, pour le dire ainsi, dans le savoir manquant. Croire savoir est un piège.
Évoquez votre problème du moment (si problème il y a) et vérifiez votre ressenti si vous vous accordez simplement de ne pas savoir ce qu’il représente (ce qu’il vous re-présente) ou de ne pas savoir comment il se fait que la chose vous affecte de la sorte. Bien sûr, il y a la situation problématique ! Certes, il y a l’état émotionnel dans lequel elle vous place ! Pouvez-vous maintenant envisager que quelque chose vous échappe vraiment ? Il y a quelque chose que vous n’avez pas encore vu, quelque chose que vous ne savez donc pas. Pouvez-vous recevoir ces mots sans vous sentir offensé ?
Ce point de vue que je vous fais partager est seulement mon propre regard que j’accorde à ce qui m’affecte à l’occasion. Il n’est pas un jugement, c’est un positionnement. Dès lors que je reconnais pleinement que quelque chose m’échappe, je retrouve une détente, je ressens une ouverture. En fait, je me dispose ainsi à voir, à savoir. L’expérience est parfois reposante, émouvante. C’est celle du « je ne sais pas » avoué (à soi-même). Vous pourriez recevoir le « vous ne savez pas » comme une insulte, une critique, une dévalorisation… Testez plutôt le « je ne sais pas », accordez-le-vous !
Il me vient de vous proposer un petit exercice. En tant que nouveaux cycles, les débuts d’années peuvent être l’occasion de faire le point, de remettre les choses à plat. Il s’agit d’établir une liste des « je ne sais pas » que vous pourriez identifier. Laissez de côté les éventuels « je ne sais pas » ordinaires que vous pourriez formuler à l’occasion sur un ton « plaintif » et privilégiez ceux que vous acceptez de reconnaître comme accompagnant nécessairement toute chose qui vous dérange peu ou prou. Pour vous aider, voici quelques exemples qu’il vous appartiendra d’ajuster à vos situations personnelles :
– Je ne sais pas comment régler mon problème de ___ (poids, malaises, maladies…) ;
– Je ne sais pas si je dois changer de travail ;
– Je ne sais pas comment faire pour m’acheter un logement (le vendre – une voiture ou autres) ;
– Je ne sais pas pourquoi je me sens si mal avec telle personne, dans telle situation, quand je dois prendre la parole, partir en voyage… ;
– Je ne sais pas si j’ai à communiquer avec telle personne, que lui dire, comment le lui dire, ce qui est mieux pour autrui et moi-même… ;
– Je ne sais pas comment ne plus me culpabiliser ou ne plus en vouloir à mes parents, mon conjoint, mes enfants, des amis… ;
– Je ne sais pas ce dont j’ai besoin (ou …ce dont j’ai besoin pour…).
Personnellement, j’apprécie beaucoup cet exercice que je viens de tester, j’apprécie l’expérience intérieure qu’il offre. Il permet notamment un lâcher-prise. Il est encore une manière douce et positive d’expérimenter l’humilité…
Par ailleurs, en identifiant nos « je ne sais pas » de niveaux différents et découvrant aussi qu’ils sont innombrables, nous pourrions devenir moins vindicatifs, surtout plus tolérants, plus compréhensifs, à l’égard de ceux avec qui nous éprouvons de la déception, du manque, du conflit… Nous pouvons leur « accorder » d’être eux aussi la « proie » de leurs « je ne sais pas » personnels (comme nous sommes nous-mêmes piégés par les nôtres). Mais d’abord, que savons-nous de leur propre réalité ? En vérité, nous ne savons rien de ce qui continue de nous toucher fortement, quant à savoir pour autrui ???
Pour terminer, notons que certains déclarent parfois : « On ne sait jamais ce que l’avenir nous réserve ». Cette affirmation est paradoxale car elle suggère que l’avenir pourrait être plus ou moins sombre. C’est encore un « savoir » qui cache son nom. Si nous ne savons pas ce que sera l’avenir, pourquoi l’envisager sombre ? Je vous souhaite une bonne et heureuse année. Je vous souhaite de savoir ce que vous ne voulez plus et ce à quoi vous aspirer. Je vous souhaite tout simplement d’être heureux.
Ainsi, j’ignore tant de choses,
Je ne comprends rien à rien.
Toutes les questions que je pose
Disent seulement un trouble ancien.
(Refrain d’une chanson que j’ai écrite en 1990, intitulée « Je ne sais pas ».)
Commentaire
Reconnaître et accepter de ne pas savoir, c’est bon ! — Aucun commentaire
HTML tags allowed in your comment: <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <s> <strike> <strong>