Dire oui à ce qui est
Sans tarder, débutons cette nouvelle chronique avec le partage de Monique que je remercie et qui va me permettre de rappeler, d’ajouter ou d’ajuster quelques points de vue :
« Puisque vous nous invitez, dans votre chronique de Janvier, à vous faire des remarques ou commentaires, je reviens vers vous pour vous remercier de cette phrase, tellement importante pour être heureux:
“je vous souhaite de savoir ce que vous ne voulez plus et ce à quoi vous aspirez.”.
Longtemps, j’ai su clairement ce que je ne voulais plus, ce que je ne pouvais plus supporter et ce dont malheureusement je ne pouvais me libérer… Mon problème était que je ne savais pas ce que je voulais (à part le rejet de la situation que je vivais). Je cherchais, en vain semblait-il, pourquoi j’étais faite, ce que j’étais venue faire sur terre, je ne savais pas quelle était ma véritable aspiration, j’étais toujours en recherche et dans les doutes, perdue à la recherche de ce qu’on appelle « ma vocation ». Lorsqu’on croit l’avoir trouvée, on accède à une certaine sérénité. On est enfin en paix avec soi-même.
Vous avez parfaitement raison et je pense que votre phrase peut beaucoup aider, car c’est cela le secret du bonheur, « vivre en conformité avec sa propre nature ». Ce qui rend extrêmement malheureux, c’est d’être contraint par les événements à vivre à contre-courant de ce que l’on est, en fait à renier son moi, à vivre contre nature. Il n’y a rien de plus destructeur que de vouloir rentrer dans le moule que vous impose votre environnement social, professionnel ou familial. Il faut OSER ETRE SOI-MEME, quitte à être rejeté, compte tenu de ma différence que les autres ne comprennent pas, c’est parfois difficile à vivre, mais on y trouve la paix intérieure et des instants de bonheur profond. »
« Savoir ce que l’on ne veut plus et à quoi l’on aspire » revient à exercer préalablement son aptitude à être conscient(e), à accorder une pleine attention libre d’attentes et de jugements. De même que les conditions de vie que nous déplorons (quelles qu’elles soient) résultent de nos peurs et croyances inconscientes, de nos « blessures non guéries », ainsi que de notre résistance, la transformation souhaitable repose elle sur la pleine conscience. Chacun à sa manière, on résiste à ce que l’on vit, à ce qui est, sans savoir que c’est ainsi qu’on le fait durer.
Il est difficile (en fait impossible) de se libérer d’une chose à laquelle on résiste. « Résister » signifie « tenir bon », autant dire « se cramponner ». Pour y réagir (car on veut surtout réagir), on se cramponne à la chose dont on pourrait dire vouloir se libérer. C’est juste une contradiction, inconsciente. Cela n’est là qu’un fonctionnement humain ordinaire, « rien de moins, rien de plus », mais le voir simplement, le voir enfin fait une différence heureuse. Et pour ce qui entrave encore notre existence (nos problèmes et contrariétés), sachons que nous n’avons cessé de leur résister d’une manière ou d’une autre, sans quoi ils n’existeraient plus.
« Que faire alors ? », allez-vous demander. Eh bien, précisément, rien !… Par nos diverses réactions ou autres tentatives, nous n’avons pas cessé de faire. Pratiquons maintenant le non-faire (là où le faire est seulement une compulsion). Pour ce qui se présente à nous, qui nous affecte et ce pour quoi aucune action n’est possible dans l’instant, permettons à cela d’être tel que c’est, puisque c’est quoi qu’il en soit. Mais pour accorder cette permission à ce qui est (le problème, ce qui dérange…), il est indispensable de lui offrir en premier lieu la présence, la présence consciente, autrement dit d’être avec la chose, de la percevoir sans intention.
La « chose », c’est le problème, une difficulté, une maladie, une personne avec qui l’on éprouve un conflit, mais c’est encore et surtout un ressenti, un sentiment de contrainte, l’impression que l’on nous impose ce qui ne nous convient pas, voire que l’on nous rejette ou nous méprise… Si quelque chose est à faire, doit être fait, peut être fait (exprimé, décidé…), Il n’y a pas à hésiter quand on est effectivement en situation d’agir ou de se positionner. Mais dans le cas où rien n’est possible dans l’instant, je le répète, l’attitude juste consiste à retrouver l’état d’accueil et de permission consciente (déjà décrit).
D’ailleurs, c’est à partir de ce même état que l’action et l’expression seront positivement transformatrices. Ce qui est là dans l’instant – et qui mérite le même accueil – peut bien être également une idée, un élan, le besoin de poser un acte… L’acceptation rappelée dans ces lignes implique seulement l’instant présent et l’état « émotionnel », non pas le futur, elle ne suggère ni n’interdit un « faire », une action.
Si l’on considère l’un de nos problèmes (n’importe quelle condition difficile à un certain degré) auquel on est confronté depuis longtemps, depuis des décennies, de façon chronique ou épisodique, ne peut-on pas admettre que tout ce que l’on a tenté jusque-là pour tenter de le résoudre n’a pas été très concluant ? Peut-être a-t-on analysé, décortiqué le problème. Peut-être en a-t-on parlé inlassablement. Peut-être a-t-on même testé la résignation… Il reste quelque chose que l’on n’a pas, que l’on n’a jamais expérimenté : permettre au problème, au malaise d’être tel qu’il est, rester avec lui consciemment, simplement le regarder sans la moindre interprétation, le laisser se montrer, se déployer…
Par ailleurs et par exemple, certains d’entre nous déplorent que leur entourage les oublie, les délaisse. Avec un peu d’attention, ils pourraient avantageusement réaliser que c’est ainsi qu’ils se traitent eux-mêmes, qu’ils traitent leurs affaires et leurs problèmes. Autrement dit, ils les négligent… D’autres peuvent se sentir rejetés, par autrui, et ils continuent de vouloir rejeter les situations qu’ils traversent, de se rejeter eux-mêmes… Quelle que soit la manière (les mots employés), nous nous sentons traités par les autres et la vie comme nous nous traitons nous-mêmes (comme nous nous sommes sentis traités alors que nous étions enfants). Devrait-on se reconnaître pareille attitude, il suffirait encore de juste la regarder, de juste l’accueillir… Ce regard-là est transformateur !
Quand nous considérons, nous rappelons un problème (une tendance, n’importe quoi d’autre), nous n’avons tout compte fait que deux possibilités, celle que nous retenons ordinairement et celle qui est ici encouragée : soit y penser (le mentaliser, ce qui revient vite à y réagir), soit l’accueillir, l’observer, être avec. Un ami cher vous confie un gros problème, vous annonce qu’il a une maladie grave… Vous allez, soit lui donner des conseils, lui chercher une solution (parfois, c’est bienvenu), soit l’écouter simplement, être avec lui simplement, mais être vraiment présent, tout à fait disponible (il se peut que votre ami en reçoive beaucoup). Percevez la différence entre ces deux attitudes et voyez, pour vous-même et pour ce qui vous affecte, si vous pouvez tester la présence consciente, le ressenti conscient, le plein accueil de ce qui est, la perception douce.
C’est alors, « autant être prévenu », que le douloureux s’estompe, que des solutions surgissent, que des changements se produisent aussi bien au niveau de l’état intérieur que dans les conditions existentielles extérieures. C’est alors également que l’on est inspiré, que l’on a accès à son intuition et que sa « raison d’être » peut se révéler comme jamais jusque-là. « Dire oui à ce qui est » représente plus que la voie du seul changement. Le changement extérieur peut prendre du temps, la non-résistance produit un effet immédiat : paix, sérénité ou même joie.
Ordinairement, on veut se débarrasser de ceci, ne plus avoir à endurer cela ; on veut réussir, acquérir des biens, trouver le bon partenaire, les bonnes personnes… Dans un cas comme dans l’autre, n’est-ce pas pour « se sentir bien » ? N’est-ce pas dire que nous recherchons une certaine qualité de ressenti ? Eh bien, c’est dire également que nous résistons à accueillir le ressenti qui est là, qui ne dure que du fait même de cette résistance. Il a juste besoin d’être reconnu enfin, d’être accueilli en conscience ; il a besoin d’être, de se déployer et, pour ce faire, de recevoir notre écoute bienveillante, notre attention sans intention…
Au-delà des effets, des résultats (qui ne manquent pas), l’expérience est magnifique : elle permet de percevoir et d’intégrer graduellement que nous ne sommes rien de ce à quoi nous nous identifions depuis notre tendre enfance. Nous avons cru être ce personnage avec ces problèmes particuliers, nous avons cru être une histoire, la nôtre. Certes, elle a été nôtre, mais vivre notre aptitude à être présent, conscient, à être avec, à accueillir, à permettre…, à « dire oui », à observer, à ressentir en conscience nous révèle ce que nous ne sommes pas pour approcher la conscience de notre véritable nature qui ne peut être définie, qui ne peut être enfermée dans des mots.
Qui, enfin, dit « oui » à ce qui est ? Qui regarde, observe, accueille ? Qui est témoin du ressenti de l’instant ? Qui traite de la sorte ce truc encombrant ou si pénible qui marque toute une existence ? Qui offre la présence à cela même qui fait souffrir du fait de l’activité mentale ? Eh bien, c’est qui le « fait », qui nous sommes en essence, mais ne cherchons pas à le nommer davantage. Contentons-nous de l’être. Puisque nous sommes cela, soyons-le !
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