Et si nous ne faisions que réagir ?
Débutons cette nouvelle chronique avec un extrait de la chronique du mois dernier (n° 28) :
« Ordinairement, d’un côté, on veut se débarrasser de ceci, ne plus avoir à endurer cela ; d’un autre côté, on veut réussir, acquérir des biens, trouver le bon partenaire, les bonnes personnes… Dans un cas comme dans l’autre, n’est-ce pas pour « se sentir bien » ? N’est-ce pas dire que nous recherchons une certaine qualité de ressenti ? Eh bien, c’est dire également que nous résistons à accueillir le ressenti qui est là (en attendant), qui ne dure que du fait même de cette résistance. Il a juste besoin d’être reconnu enfin, d’être accueilli en conscience ; il a besoin d’être, de se déployer et, pour ce faire, de recevoir notre écoute bienveillante, notre attention sans intention… »
À partir de ce paragraphe repris, nous allons tenter d’apporter des précisions, d’aller beaucoup plus loin. En désignant notre résistance habituelle à accueillir ce qui se présente à nous, en fait à la conscience (aussi en terme de ressenti), ces lignes ne suggèrent pas de ne pas prendre de décisions, ni de ne rien faire pour améliorer notre situation. En maintes circonstances, il est d’ailleurs fort utile de vérifier les décisions que nous ne prenons pas, les actes possibles que nous ne posons pas.
En réalité, notre attention est fixée, soit sur un désir persistant, sur des envies ou caprices qui changent au gré des circonstances, sur des attentes souvent indéfinies…, soit sur des pensées ou monologues mentaux hostiles ou nourris par la peur, les regrets, les remords, la honte, la culpabilité. Nous ne voyons pas que, soit nous n’agissons pas (ou si peu), soit nous continuons de faire ce qui jamais ne nous comble (jamais de façon durable).
Ces positionnements ou modes de « fonctionnement » reposent sur nos blessures non guéries ; ils sont logiques, compréhensibles, et il n’y a pas lieu de nous les reprocher. Sachons simplement que la conscience peut nous en libérer. J’appelle « blessures » ce qui, dans notre prime enfance, nous a heurtés et conditionnés durablement. Il s’agit de la manière dont nous nous sommes sentis traités. Généralement, le conditionnement est tel que nous ne faisons pas le lien entre ce que nous endurons aujourd’hui et ce qui a marqué le début de notre existence. À cet égard, mentionnons encore que ce qui se passe autour de notre naissance (incluant la gestation) et autour de notre conception détermine globalement nos conditions de vie et que cette période fondatrice est étroitement liée à nos ascendances maternelle et paternelle (nous pourrions y revenir).
Maintenant, observons aussi qu’il nous arrive « bien des fois » de relâcher cette double tendance à désirer, envier, nourrir l’attente, d’une part, et à éprouver de la culpabilité ou du ressentiment, d’autre part. Voici que notre attention est fixée sur le jeu, le travail, l’activité du moment (lecture, écriture, toute autre tâche, aussi manuelle)… Connaissons-nous notre pouvoir d’attention que nous utilisons quoi qu’il en soit ? N’est-ce pas intéressant de juste réaliser que, la plupart du temps, notre attention est fixée sur des souhaits que l’on s’avoue à peine, sur des réactions émotionnelles ou sur une activité prenante ?
Bien sûr, nous dirigeons notre attention sur ces diverses choses sans conscience. On pourrait dire que nous nous laissons faire : nous n’agissons pas, nous « sommes agi » ; nous ne pensons pas, nous « sommes pensés ». En somme, le premier paragraphe de cette chronique suggère de retrouver et d’utiliser en conscience notre « pouvoir d’attention ». On peut aussi l’appeler le pouvoir de perception. Il rappelle un autre positionnement ou état d’être, différent des trois options que nous venons d’évoquer et dans lesquelles nous nous perdons ordinairement. Il s’agit de la « présence », d’être présent à ce qui est, de l’accueil de ce qui est, de l’observation consciente…
Ce qui est, ICI ET MAINTENANT, l’instant présent, est Silence, Espace, Conscience, Vie, Être, Calme, Immobilité, y compris quand Cela permet (toujours ici et maintenant) la forme de ces mots sous nos yeux, d’une fleur, d’un son, d’une odeur, d’un goût, d’une sensation, d’un obstacle, d’une personne… La conscience de l’instant présent est d’abord celle de la forme qu’il prend. La forme ne peut exister sans l’espace qu’elle occupe, le son sans le silence d’où il émerge, la tension sans la détente ou la souplesse qui la permet…
La forme change, sans cesse, jusqu’à finir par disparaître, mais l’instant présent demeure égal, non affecté. Il en est ainsi que nous en soyons conscients ou non. Mais ne pas être conscient, c’est souvent être effet, être objet, être…, la forme. C’est se prendre pour qui l’on n’est pas. Être conscient, être présent, c’est être, vivre ce qui sous-tend toute chose. Nous nous éprouvons comme effet ou nous sommes cause, en conscience. Être cause, c’est essentiellement percevoir. De la conscience vigilante, nous voyons, nous ressentons, nous comprenons, nous percevons ; la vérité se révèle.
Le cas échéant, tranquillement, nous découvrons que nous sommes bien plus intéressés à désirer, envier, revendiquer ou simplement attendre qu’à vivre, qu’à recevoir « l’objet » du désir, de l’envie, de la revendication ou de l’attente. Oui, cela semble fou, incroyable, mais tel est le fonctionnement humain.
De la même façon, nous sommes bien plus intéressés à déplorer un problème (en s’y soumettant, en s’en plaignant, en s’en indignant ou en le ruminant) qu’à le résoudre. Nous ne résisterions plus à voir cela si nous savions, en définitive, que c’est notre seul obstacle pour parvenir à l’apaisement, à la libération.
Faites ce test : pensez à ce à quoi vous aspirez (ce que vous voulez : réaliser ou résoudre quelque chose) et permettez-vous de ressentir la joie, la satisfaction de l’avoir atteint. Croyez-vous que c’est impossible ? Croyez-vous que c’est fou ? Pourtant, sinon vous-même, vous avez probablement déjà rencontré des gens manifestant une joie immense juste en prenant une décision (en la prenant vraiment, en la prenant enfin). Non encore manifestés, les effets de leur décision les remplissent de joie ici et maintenant – et c’est sûr qu’ils se manifesteront ! De fait, il se pourrait que nous ne maintenions pas l’expérience proposée plus d’une fraction de seconde.
Alors, ne nous racontons pas d’histoires, ne nous racontons plus d’histoires : souvent, ça n’est pas vrai que nous voulons ceci ou cela, nous ne voulons que réagir. Nous voulons de quoi réagir et nous le trouvons, nous nous l’attirons tout aussi facilement que nous nous attirons le « bon » ou que nous nous l’attirerons quand nous y « consentirons » vraiment.
Y CONSENTIR VRAIMENT est « plus facile à dire qu’à faire », je vous l’accorde ! Mais reconnaître cette difficulté est un bon début. Et ce mot, « consentir », est magnifique. Ça n’est plus désirer, envier, revendiquer, prétendre ; ça n’est même plus vouloir, mais, comme le dit le dictionnaire, c’est « accepter qu’une chose se fasse, ne pas l’empêcher ». Se permettre le bon demande de cesser de s’en croire indigne, demande de découvrir, en effet, que l’on s’en croit indigne. Justement, c’est à cause de cette croyance auto-accusatrice inconsciente que nous ne pouvons que réagir comme nous le faisons (sans savoir bien entendu que la réaction renforce la croyance).
En réalité, dans un grand nombre de cas, nous ne sommes donc pas à la recherche d’un « ressenti plaisant », mais nous résistons au ressenti présent au moyen des diverses réactions évoquées précédemment. Nous plaquons ailleurs notre attention (sur ce que l’on veut/voudrait, sur les reproches à autrui et/ou à soi-même, sur des activités compensatrices). La transformation demande de confronter ce ressenti, de le laisser surgir et le chemin est la disposition à accueillir pleinement l’instant présent. Tout s’y trouve. Ce qui doit être connu, ressenti s’y révèle. Les chagrins viennent s’y déployer et s’y dissoudre, et les aspirations profondes se font connaître…
Je veux insister : réagir à un problème est une chose (elle est bien compréhensible) et vouloir le résoudre est TOUT À FAIT AUTRE CHOSE. Ce point est fondamental : beaucoup croient témoigner de leur disposition à dépasser leurs conflits quand ils y réagissent (s’en plaignent, se fâchent peu ou prou…). Réagir à son problème est y tenir, s’y cramponner, le maintenir. IL FAUT LE SAVOIR !
Et tout le monde réagit de même dès lors que son conflit existentiel est réactivé. C’est dire qu’il n’y a pas lieu de se juger, de se reprocher un tel positionnement. Le reconnaître simplement est commencer à en sortir, à le lâcher, à lui préférer la conscientisation, la conscience. La découverte de ses attitudes réactionnelles est un des plus beaux cadeaux que peut se faire quiconque aspire à faire une différence heureuse dans sa vie. La réaction lâchée, le calme retrouvé, tout devient possible, le meilleur est accessible, l’épanouissement prend place.
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