La demande et la réponse
Face à certaines demandes d’aide qui me sont faites, parfois, de façon plus ou moins claire, plus ou moins déterminée, je peux observer des positionnements manifestés qui font obstacle à la transformation souhaitable ou attendue. Des personnes disent ou confirment qu’elles veulent de l’aide pour dépasser une condition difficile ou pour améliorer la qualité de leur vie, mais au fond, elles n’adoptent pas l’attitude appropriée pour accueillir et tester véritablement l’aide qui peut être proposée.
Je n’accuse pas et je ne juge pas ces personnes, d’autant moins qu’elles me permettent d’observer mieux un phénomène dans lequel nous pouvons tous être embourbés à un certain degré. À chaque fois qu’il se trouve quelque chose à voir, à identifier, ne nous en privons pas. Si je suis intéressé à me plaindre de mon problème, davantage qu’à le résoudre, il est mieux que je le sache, que je le voie. Si je cherche essentiellement à réagir à telle difficulté, je ne cherche pas à la surmonter. Pour certains, une réaction passagère peut représenter une étape incontournable, mais reconnaître la différence entre « réagir » et « agir » est souvent suffisant pour faire une différence heureuse dans sa vie.
Là où il y a une guérison, une transformation ou simplement un apaisement, il y a d’abord une prise de conscience, un plein accueil de ce qui est ou une expression émotionnelle inédite. Le cas échéant, il y a aussi une « technique » employée, mais il y a surtout, au préalable, une disposition claire, une décision ferme, une vraie demande d’aide. Sans cela, il n’y a au mieux qu’une attente durablement insatisfaite et pour tout dire illégitime.
Si je guettais chaque jour le facteur en vue de recevoir la livraison d’une commande dont la lettre avec le règlement traîne sur mon bureau, convenez-en, mon attente serait tout à fait illégitime. L’exemple est plutôt caricaturé, je suis d’accord, mais ne nous arrive-t-il pas d’attendre parfois / souvent que nous soient rendus des services que nous n’avons pas demandés ? Nous pouvons trouver de « bonnes raisons » pour justifier des attentes sans demandes, mais il reste, en pareil cas, que « la commande n’est pas passée ».
Cependant, j’ai débuté mon propos en évoquant des « demandes formulées » et en suggérant que quelque chose pouvait encore faire défaut. D’une manière générale, si nous résistons à demander – et en sommes-nous conscients ? – la résistance imprègne encore nos demandes (exprimées du bout des lèvres) et limite ou conditionne leurs effets (la réponse). Lorsqu’elle veut m’emprunter quelque chose, une amie commence souvent sa demande par « Tu n’as pas » ou « Tu n’aurais pas … (ceci ou cela) ». Son besoin du moment n’est certainement pas de savoir si je n’ai pas la chose. (Ce n’est qu’un exemple d’une demande non faite). Dans ce cas, la demande est formulée de telle sorte à juste vérifier qu’elle ne peut être assouvie.
De la même façon, il y a des « oui » qui n’en sont pas. Supposons que vous me demandiez quelque chose et que je vous réponde (sur un ton d’irritation ou d’impatience) : « Eh bien, prends-le puisque tu le veux ! », « Vas-y puisque tu y tiens ! », « Fais-le puisque tu insistes ! »… Je peux toujours prétendre avoir dit « oui », mais je n’en aurai convaincu que moi-même. On donne des accords qui n’en sont pas, on fait des demandes qui n’en sont pas… On continue ainsi de cultiver un malaise ou une frustration chronique.
D’une part, on peut découvrir des demandes que l’on ne fait pas, que l’on n’a jamais faites. D’autre part, s’agissant de demandes formulées et dont les réponses tardent ou sont trop souvent insatisfaisantes, observons comment nous demandons, si nous demandons véritablement. Une vraie demande est exprimée sans souci de la réponse. Ce n’est pas une question de vocabulaire, mais d’état d’esprit et de positionnement. En quelque sorte, c’est demander sans peur.
Pour vous-même, vous pourriez soupçonner une réelle difficulté à demander si vous résistez même à accepter l’aide qui vous est proposée sans que vous ne l’ayez demandée directement et alors qu’elle serait de bon aloi. Si vous avez fait une demande ou si vous avez accepté de l’aide, comment témoignez-vous de votre disposition à recevoir ? Êtes-vous ouvert, avec une sorte d’humilité ? Si j’ai besoin d’aide, il y a tout bonnement quelque chose que je n’ai pas, que je ne sais pas ou que je ne peux pas, et je gagne à reconnaître et à accepter cela tranquillement. Cet accueil est la disposition à recevoir.
Je rappelle que le « regard qui transforme » suggère essentiellement d’accorder de l’attention à ce qui est. Les propositions d’observation (comme celles qui émaillent ce texte) n’impliquent pas d’entendre des « je devrais… », « il ne faudrait plus que je… », ni de juger ses positionnements ordinaires. Ces derniers résultent de nos blessures non guéries et c’est la seule conscience (bienveillante) que nous pouvons en avoir qui finit par laisser apparaître des expériences plus heureuses.
Dans sa prime enfance, l’aide jamais reçue, imposée, étouffante ou reprochée pourrait avoir laissé en nous un « on ne peut compter sur personne », un « mieux vaut se débrouiller tout seul » ou quelque autre décision du même acabit. Certains pourraient envisager l’aide à condition d’être complètement pris en charge (jusqu’à se faire généralement dicter ce qu’ils doivent ou ne doivent pas faire) quand d’autres, à l’inverse, pourraient craindre de se faire déposséder de leur propre pouvoir (une fois de plus). Par peur de revivre ce qui a été vécu, enduré, on ne s’exprime plus de façon naturelle, spontanée.
Or, « demander » fait précisément partie de nos « pouvoirs ». Heureusement que je n’en suis pas dépourvu quand je m’aventure, par exemple, dans les dédales des rues inconnues ou des stations de métro parisien. En l’occurrence, mon besoin est parfois tel qu’il me serait impossible de le nier, de ne pas le reconnaître, et que la demande coule tant de source qu’elle est régulièrement exaucée avant même que d’être exprimée. Il semble que la « Vie » réponde toujours aux « demandes du cœur ».
Demandons-nous de l’aide ? Acceptons-nous (aisément) l’aide spontanée ? Nous avons évoqué ces deux questions. Maintenant, s’il y a aide ou puisqu’il y a aide, la reconnaissons-nous ? La reconnaître est à la fois l’identifier comme telle, en avoir de la gratitude et en témoigner. Il est encore utile de sentir la différence entre « profiter de l’aide » (comme de n’importe quoi d’autre) et « l’apprécier véritablement ». Ce qui est vécu comme tel représente une ouverture, un appel, une « invitation ». S’il est avéré que nos blessures non guéries peuvent nous confronter au pire, il serait étonnant toutefois que nous ne recevions jamais d’aide. La reconnaître et l’apprécier, c’est la cultiver, y être attiré et donc se l’attirer encore.
Et si, effectivement, nous déplorons de recevoir peu d’aide dans la vie d’une manière générale, en supplément à tout ce qui vient d’être mentionné, observons encore quand, comment, combien nous nous aidons nous-même : nous nous sentons traités par autrui comme nous nous traitons nous-mêmes. Bien peu d’entre nous reconnaissent ce point, en tiennent compte. Contemplez cette maxime biblique bien connue : « Aide-toi et le ciel t’aidera ». Autrement dit, « traite-toi comme tu veux être traité(e) », « donne-toi ce que tu veux recevoir »…
– « Oui, mais si je veux recevoir plus d’amis, plus d’argent, une guérison…, que signifie « se donner à soi-même ce que l’on veut recevoir » ? »
– « Que t’apporterait d’avoir plus d’amis ? Du plaisir, de la reconnaissance, quoi d’autre ? Que te permettrait d’avoir plus d’argent et, à travers cela, comment te sentirais-tu ? »
Les réponses peuvent préciser ce que l’on pourrait s’accorder d’ores et déjà et que l’on se refuse. S’accorder ces choses attirera au besoin amis, argent et mieux encore. Des guérisons surgissent de la réconciliation avec soi-même (jusqu’à se mettre en situation, par exemple, de trouver l’aide nécessaire pour dépasser un conflit, pour dissiper les causes profondes des conditions de vie indésirables).
Enfin, si l’on veut aller encore plus loin (sans pour autant prétendre être exhaustif), considérons l’aide que nous accordons nous-mêmes, ce que nous apportons à nos proches, à autrui. Nous pourrions attendre et même exiger beaucoup des autres sans remarquer (le cas échéant) que nous ne répondons pas à l’appel quand nous sommes sollicités ou que nous ne sommes pas disposés à aider, à donner (ce qui expliquerait qu’on ne nous demande jamais rien).
Parmi ceux qui ne demandent pas, avec le souci obsédant de ne surtout pas déranger, j’observe qu’il en est beaucoup qui reconnaissent être contents lorsqu’on leur fait des demandes. Si tel est votre cas, accueillez l’idée que d’autres de votre entourage seront de même touchés quand vous allez faire appel à eux. Aider, donner est encore un besoin qu’il est bon de satisfaire. On pourrait dire qu’on donne aussi aux autres en leur permettant de donner à leur tour.
Dans certains cas, ultimement, demander, solliciter enfin permet de clarifier des relations. Si vous avez « tout » donné à une personne, si vous l’avez aidée en maintes circonstances, et si elle s’avérait systématiquement indisponible ou opposerait tout refus à la moindre de vos demandes, peut-être serait-il grand temps que vous le réalisiez. Se bien traiter est aussi cesser de se dépenser sans compter pour qui n’a rien pour soi. Faire une demande est une confrontation magnifique, pour celui qui la reçoit autant que pour celui qui la fait. Et une vraie demande exprimée sera toujours satisfaite, sinon par la personne sollicitée, au moins par une autre, d’une manière ou d’une autre, à un moment ou à un autre. « Demandez et vous serez exaucé ! ».
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