Quel est notre vrai besoin ?
Avec une véritable disposition à le faire, surmonter des difficultés bien concrètes semble parfois plus facile et rapide que de se libérer d’un mal-être indéfini. En effet, un problème qui se présente à nous raconte une histoire qu’il est possible d’entendre et, le cas échéant, l’attention que nous lui accordons en élimine la cause. Quand la cause est dissoute, le problème disparaît lui aussi. À l’inverse, croire que ce qui cause notre problème nous est extérieur contribue à le faire durer.
Alors, comment se fait-il que le seul mal de vivre soit généralement difficile à dissiper ? Ici, j’appelle mal-être ou mal de vivre indéfini une ambiance émotionnelle qui semble venir de nulle part, que nous n’imputons pas à un conflit relationnel, ni à une maladie ou à quelque contrariété du quotidien (pannes, factures à régler, échéances contrariantes…). On peut même se sentir mal alors que, justement, nos conditions de vie correspondent globalement à nos préférences, à nos aspirations.
Ces deux premiers paragraphes mériteraient de longs développements ou évoquent ce qui a déjà été abordé dans des chroniques antérieures, mais ce mois-ci, je souhaite limiter mon propos sur ce qui pourrait constituer une différence (apparente) entre un problème incarné, cristallisé, et une sorte d’insatisfaction qu’il peut être malaisé de verbaliser. Cela vous arrive-t-il, vous est-il déjà arrivé de vous sentir mal sans rien pouvoir dire de ce qui se passe pour vous ? C’est là, par exemple, où vous pourriez néanmoins déclarer (ce qui pourrait être un bon début) : « Je ne sais même pas ce que je veux ! ».
Notamment aux personnes qui me consultent, je rappelle régulièrement que le problème qui nous éprouve « n’est pas le problème ». Certes, c’est souvent un problème à résoudre, mais il n’est pas la cause de la manière dont nous sommes affectés. C’est si vrai que plusieurs personnes confrontées à une même circonstance problématique ne réagissent pas de la même façon ; il s’en trouve même qui n‘y réagissent aucunement. Ce problème du moment ne fait que réactiver des émotions enfouies en nous (elles constituent le problème !). Et quand il y a solution du problème, dépassement du conflit, que s’est-il produit en réalité (et pour n’évoquer que deux aspects d’importance) ?
Quand vous résolvez un problème, juste parce que vous êtes vraiment disposé à le faire, vous lui permettez d’être là et vous lui accordez votre attention. Essayez donc d’accorder de l’attention à quelque chose que vous rejetez ! Accorder son attention signifie être présent et cette seule présence est transformatrice. Elle transforme l’état intérieur, elle permet de reconnaître les ressentis qui encombraient en silence, elle rend disponible, elle donne accès à l’inspiration, à l’intuition…
Ordinairement, ce processus a lieu de façon subtile, mais vous l’explorez, vous en profitez, dès lors que vous cessez de juger, d’accuser autrui, de vous culpabiliser, de cogiter, de pester, de faire comme si de rien n’était en pensant à autre chose, dès lors que vous cessez, en un mot, de mentaliser pour simplement observer, accueillir, être avec la chose… C’est cela être présent. Et, finalement, vous reconnaissez un besoin que vous ne vous étiez peut-être plus avoué depuis longtemps.
Or, un besoin non reconnu doublé d’un manque de présence, qui demeure ici après la résolution d’un conflit, suffit bien à faire éprouver un mal de vivre indéfini. On n’est pas présent à ce qui est, on méconnaît ses besoins et l’on ne peut alors que souffrir à un certain degré. Les problèmes que l’on s’attire ne servent finalement qu’à tenter de nous éveiller, de nous ramener à la présence, au ressenti, au besoin oublié. Aussi pouvons-nous considérer qu’un problème est un effet du mal de vivre. Parfois, on pourrait se demander ce qu’il faudra qu’il nous arrive encore pour qu’enfin, on soit présent, on voie, on comprenne…
Selon notre blessure (abandon, dévalorisation, maltraitance, rejet, trahison), nos besoins d’enfant n’ont pas pu être comblés ou l’ont été insuffisamment : il n’y avait personne pour les entendre (« abandon »), nous avons retenu que la satisfaction d’un besoin était interdite (« dévalorisation »), nous avons fait l’expérience que l’aveu d’un besoin nous confrontait au pire (« maltraitance »)ou bien nous avons associé au besoin des sentiments de culpabilité (« rejet ») ou de honte (« trahison »). Dans l’un ou l’autre de ces contextes, nous n’avons pas eu d’autre alternative que de réprimer nos besoins. Selon le cas, nous les avons oubliés, invalidés, sacrifiés, repoussés ou nous en avons tenu aucun compte.
Être avec un besoin vital qui ne peut être satisfait est douloureux. Se croire honteux ou coupable, par exemple, du seul fait de ressentir ce besoin est une autre douleur. Difficile alors de demeurer présent ! L’enfant apprend à se couper de lui-même et c’est l’enfant que vous avez, que nous avons été. « En tout cas », me dit cette semaine une consultante avec qui j’évoquais ces choses, « mon fils n’a pas oublié ses besoins, il est tellement capricieux ! ».
C’est précisément parce qu’ils ont oublié leurs vrais besoins que certains d’entre nous désirent obsessionnellement – et depuis longtemps – une même chose, que d’autres passent d’une envie compulsive à l’autre, expriment des exigences, font des caprices ou ne savent plus ce qu’ils veulent. Le refoulement d’un besoin ne signifie pas sa disparition et les douleurs retenues (non exprimées) ne sont pas sans effets. Tout cela constitue un conditionnement et explique à la fois nos problèmes et notre mal de vivre chronique ou épisodique.
« Ici et maintenant, quel est mon besoin ? » Souvent, cette seule question possède un grand pouvoir, par exemple celui d’apaiser. Et cet apaisement possible ne dépend même pas de la réponse. Posée de façon vraie, sereine et attentionnée, la question invite à être présent et c’est toujours cette présence qui fait la différence, sur-le-champ. En même temps, une réponse surgira dans bien des cas de cette qualité de présence (sinon ultérieurement), de façon plus juste, plus appropriée, plus certaine qu’à travers les cogitations (mentales).
Un besoin reconnu a plus de chances d’être comblé, mais précisons que le malaise d’aujourd’hui ne réside pas (dans la plupart des cas) dans sa non-satisfaction. Le malaise est lié au « déni » du besoin et à la douleur associée (chagrin, honte, culpabilité). De même, une demande non faite fait mal, parce qu’elle encombre, retient de l’attention. La formuler libère indépendamment de la réponse. N’avez-vous jamais longtemps tardé à faire une demande de quelque service ? Pendant ce temps, il se pourrait bien que vous ne vous sentiez pas très à l’aise. La demande enfin formulée, même si la réponse fut négative, votre malaise a disparu, a fini par disparaître !…
Et c’est quand nous sommes pleinement présents, dans le plein accueil de l’instant présent tel qu’il est, que se rappelle une demande non faite, se révèlent un besoin oublié, une croyance négative, se fait sentir une peur…, par exemples, mais surtout que surgissent des sentiments de paix, de joie, de gratitude et la possibilité d’apprécier enfin les choses… Parfois, ces derniers sentiments sont immédiats ; parfois, ils émaneront d’autres instants de présence. Mais de façon tantôt subtile, tantôt manifeste, la « pratique » de la présence a infailliblement des effets heureux. Il y a l’amélioration des conditions de vie, mais elle n’est qu’un effet de la seule expérience qui consiste à accorder la première place à l’instant présent. Il l’a quoi qu’il en soit, mais on n’est plus alors la personne qui subit ou fait subir, on est juste ce qui perçoit.
Et si vous voulez faire l’expérience de ce que ces simples mots suggèrent, mettez votre attention sur n’importe quel objet (le mur devant vous, un vase ou de préférence une plante, un arbre ou encore votre respiration, l’énergie qui circule dans une partie de votre corps, dans une main ou dans tout votre corps…). Accordez toute votre attention à l’objet choisi, demeurez-lui présent. Soyez conscient que vous êtes présent, que vous percevez.
Si une pensée surgit, n’y résistez pas, accordez-lui la même présence, la même conscience. Simplement, percevez-la. Vous pouvez lutter contre les pensées, vous pouvez vous laisser embarquer par elles ou vous pouvez simplement les observer. C’est en pratiquant que vous connaîtrez mieux la différence entre ces trois possibilités.
Quoi qu’il en soit et survienne, quand vous vous êtes laissé prendre, quand vous avez été pris et le voyez, revenez tranquillement à la pleine perception de ce qui est là (l’objet de départ ou tout autre). Soyez conscient de l’espace (vide) qu’il occupe ou d’où il émerge. S’il y a du bruit, des sons, soyez conscient du silence qui les sous-tend. Et si l’objet, le son devient une autre pensée, un problème, considérez cela de même, toujours conscient de l’espace/silence qui demeure, présent, immuable, « vivant ». Ce que vous rencontrez là est encore et surtout ce qui enveloppe votre propre corps, ce qui permet vos pensées, vos émotions, tout ce que vous percevez. Au-delà de toutes ces choses, c’est la Vie, c’est ce que vous êtes, c’est ce que nous sommes.
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