Le problème non identifié, non exprimé
Plusieurs consultations données lors du mois écoulé et divers propos entendus ces derniers jours m’incitent à revenir sur ce qui pourrait contribuer largement au mal de vivre persistant. Que le mal de vivre repose sur des difficultés matérielles (argent, emploi, logement…), sur la condition physique, sur des conflits relationnels (en famille, avec les amis, au travail…) ou sur un état confus de dépression, l’expérience me montre qu’il peut toujours être associé à une blessure de l’enfance non guérie.
Une blessure n’est pas guérie en ce sens qu’elle nous fait adopter des attitudes réactionnelles qui nous lèsent encore aujourd’hui, qu’elle a laissé en nous des croyances invalidantes, des croyances autoaccusatrices que nous ne soupçonnons même pas – de la honte et de la culpabilité – et qu’avec le tout, nous continuons de frustrer nos vrais besoins. Oui, nous les frustrons nous-mêmes (quand bien même nous incriminerions le monde) ! Ainsi, à travers les conditions de vie douloureuses, parfois terribles, nous avons à faire face à ces peurs, croyances et autres réactions machinales.
Avec chaque nouveau problème, avec chaque nouvelle épreuve, avec chaque nouvelle difficulté (quelle qu’elle soit), c’est comme si nous nous donnions une nouvelle occasion de reconnaître et de ressentir enfin en conscience ce à quoi nous résistons depuis notre tendre enfance. Et ça prend du temps !… Et il en faut des problèmes et de la souffrance pour enfin ouvrir les yeux !… Imaginez une personne dont la blessure a fait d’elle un(e) résigné(e). Combien de temps et de circonstances souffrantes lui faudra-t-elle pour qu’enfin, elle remette en question par exemple sa croyance en la fatalité ?
Je pourrais donner de nombreux exemples de ce genre, mais eu égard à ce que j’entends souvent, je préfère ici insister sur un autre point également de grande importance. Il y a souffrance, il y a un mal de vivre (le cas échéant) et la chose est indéniable pour qui l’endure. Or, quel est précisément le problème ? « C’est quoi le problème pour moi ? » Il arrive que des personnes qui me consultent s’irritent ou s’impatientent quand je les invite à dire vraiment leur problème, à le nommer. On peut décoder, on décode tout problème et il nous renseigne fort utilement sur ce que nous avons à dépasser, à libérer, à relâcher, mais ce serait peine perdue sans reconnaissance formulée du problème qui se présente à nous.
Certes, dans un grand nombre de cas, dire son problème est facile : je n’ai plus d’argent pour finir le mois, j’ai une allergie qui me réveille la nuit, j’ai été licencié, ma voiture est en panne… Or, il s’avère, quand un problème ou une circonstance problématique persiste, que ledit problème n’a souvent pas été identifié, ni formulé clairement. À l’occasion, il peut m’arriver de « ne rien comprendre » à ce que me raconte une personne qui a demandé mon aide. Elle relate en effet divers problèmes, mais rien ne semble relié ni cohérent.
En pareil cas, on peut découvrir que la personne n’était pas vraiment motivée, au moment où elle m’a contacté, pour résoudre l’un ou l’autre des problèmes qu’elle mentionne pourtant, mais que plus qu’à l’ordinaire, elle s’ennuyait terriblement et recherchait simplement de l’attention. Éprouver l’ennui et/ou le manque d’attention, par exemple, est une circonstance douloureuse qui se surmonte comme tout autre pour peu, bien entendu, qu’elle soit reconnue.
Et à la méconnaissance éventuelle du problème réel de l’instant, il faut ajouter un positionnement également fréquent : « prétendre » savoir non seulement ce qu’est le problème, ce que sont sa gravité et sa rareté, mais savoir encore ce qu’il faudrait pour le résoudre ou mieux savoir que toute proposition extérieure n’est pas la bonne (ce qui aboutit en conséquence au refus de la tester). Bien des fois, je me suis surpris à me sentir mal tout en cultivant des pensées qui témoignaient de ma conviction que les choses sont comme ceci, comme cela, et que rien ni personne ne peut y faire quoi que ce soit. Qu’en est-il pour vous ?
En effet, nous pouvons faire durer un mal de vivre en demeurant imprudemment fidèles à des considérations erronées et limitatives. Nous en sortons en retrouvant une forme d’humilité qui consiste à admettre parfois que nous ne comprenons pas ce qui nous arrive, ce qui se joue ponctuellement, que nous n’avons pas encore ressenti en toute conscience ce qui nous anime émotionnellement. Il s’agit d’une ouverture d’esprit qui permet tôt ou tard de sentir le domaine qui requiert un lâcher-prise. L’invitation au lâcher-prise ne signifiera rien à qui ne sait à quoi il se cramponne, ni même qu’il est accroché.
J’aime bien me rappeler ici un énoncé que j’ai lu dans « Un cours en miracles » et que je cite de mémoire : « Je ne suis jamais contrarié pour la raison que je crois ». Et le Cours dit encore : « J’ai inventé le monde que je vois ». C’est dire que nos pensées nous piègent ; c’est dire que nos problèmes se nourrissent de nos seules pensées. Penser n’est pas sans effet ! S’il n’est pas toujours aisé d’interrompre le flot des pensées, il est généralement plus accessible d’en devenir le témoin conscient. Ne cherchez pas à contrôler vos pensées, mais invitez-vous à les regarder, à en être conscient et voyez ce qui se passe alors.
Après avoir écrit ces quelques paragraphes, je ressens l’envie de « me taire », d’arrêter là les explications, mais j’ai conscience que la rédaction de la chronique mensuelle s’accommode mal du seul silence. Ordinairement, nous pensons, réagissons et donc souffrons, face à une difficulté qui se présente. Donc, nous manquons de silence, d’écoute, d’observation, de présence.
Alors, face à tout problème ou aux conditions de vie parfois si difficiles qui sont les nôtres, sachons ou rappelons-nous que nous avons toujours le choix entre réagir à ce qui est ou l’observer. Connaissez-vous, distinguez-vous ces deux positionnements très différents ? À vrai dire, nous ne sommes « jamais » dans l’observation, nous sommes dans la réaction. Or, voir cela même, le reconnaître, c’est être dans l’observation et c’est tout ce qu’il faut pour faire bientôt une différence heureuse.
Se résigner, c’est réagir ; ruminer dans son coin, c’est réagir ; se plaindre ou se révolter, c’est réagir ; penser/juger, c’est réagir… La réaction adoptée dépend de nos blessures non guéries, dépend du passé ; réagir, c’est demeurer dans le passé, autrement dit le perpétuer.
Reconnaître ce que l’on éprouve, c’est observer ; être vraiment avec une douleur, c’est l’observer ; ressentir en conscience, c’est observer… Cela ne peut se faire que maintenant. Observer, c’est être présent.
La solution à tout problème se trouve-t-elle dans le passé ou dans le présent ?
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