Les mêmes épreuves qui se répètent
Malgré tout ce que j’ai vu et continue de voir au quotidien, je demeure étonné et parfois même stupéfait de l’inconscience persistante que nous réservons aux difficultés en tous genres auxquelles nous sommes confrontés. Nous sommes éprouvés par diverses circonstances, quand nous ne nous évertuons pas à faire comme s’il n’en était rien, et nous réagissons comme si l’épreuve du moment était notre seul problème, comme si les épreuves du moment étaient nos seuls problèmes, le (ou les) vrai(s) problème(s). Parfois, nous-mêmes ou d’autres continuent de ne même pas réagir ! (par déni continuel de ce qui est subi et non du fait de l’accueil tranquille de ce qui est).
Nous ignorons, nous nions ou nous oublions la concordance des vécus actuels pénibles avec ceux endurés dans notre prime enfance. Remarquez bien que je ne me mets pas au-dessus du lot ! Si la compréhension et la perception du fonctionnement humain qui sous-tendent notamment cette chronique mensuelle m’ont permis de retrouver une sérénité toujours grandissante, il n’en demeure pas moins que des réactivations émotionnelles surviennent de façon sporadique et parfois prenante. Je finis alors par voir que j’avais oublié ce que je sais, oublié de regarder au bon endroit, oublié de considérer que la circonstance du moment était seulement une occasion de plus de me libérer d’une entrave qui n’avait pas jusque-là retenu mon attention.
Voir que l’on fait fausse route (se permettre de le voir) est le préalable incontournable à la possibilité de retrouver bientôt son chemin. N’hésitez pas à voir, à reconnaître ce que vous avez ignoré, nié ou oublié – mieux encore à reconnaître ce seul fait d’ignorer, de nier ou d’oublier (indépendamment de chaque objet) – car vous en serez le premier bénéficiaire heureux. Nous n’avons pas d’autre problème que de ne pas voir (ou de ne pas sentir en conscience) est la solution est : regarder ! Regarder permet de voir, de reconnaître, de ressentir et, ainsi, d’intégrer, de libérer, de dépasser ce qui restait figé, enraciné, enfoui en soi.
Les éléments « scéniques » et moult détails d’une circonstance problématique peuvent révéler une vieille histoire familiale et même transgénérationnelle avec laquelle on est intriqué. Par exemple, il y a une concordance de noms, prénoms, dates, lieux, un même accident, une même maladie contractée au même âge qu’un ancêtre, etc. À titre d’illustration, s’agissant de ce qui se répète dans les familles (sans qu’on y prête généralement la moindre attention), laissez-moi vous faire partager une découverte personnelle (parmi des dizaines d’autres) :
Après ma naissance et bien plus tard encore, alors que j’avais contracté un glaucome infantile, on a tenté de savoir s’il y avait eu des glaucomes dans la famille. Les personnes qui ont pu être consultées assurèrent que non, bien sûr à leur connaissance. Parce que je me suis intéressé à la généalogie, il y a quelques années, j’ai pris contact avec des parents éloignés et ce « glaucomateux » que je ne cherchais même pas, je l’ai trouvé : un cousin germain de mon père (dont j’avais longtemps méconnu l’existence). Il a perdu un oeil au même âge que moi. Je ne vais pas ici énumérer les analogies que j’ai pu relever. Je me contente de préciser que ce monsieur se prénomme lui aussi Robert.
Je souris quand on me parle de hasard : j’ai personnellement des centaines de pages où je consigne des histoires familiales et transgénérationnelles qui me concernent d’une manière ou d’une autre. Et des échanges avec d’autres personnes handicapées qui se sont également intéressées à leur arbre généalogique ont infailliblement confirmé le phénomène. Mais ces « histoires », toujours saisissantes, ne représentent pas l’essentiel. Elles témoignent seulement du phénomène de répétition dans notre existence (que l’on soit handicapé ou non).
Face à ce qui nous éprouve aujourd’hui (conflits relationnels, ennuis de santé, problèmes d’argent ou tout autre), le phénomène de répétition est directement concerné et souvent, si souvent, trop souvent, cela est peu pris en compte (y compris, veux-je dire, quand on n’en rejette pas l’idée). Une des réactions fréquentes consiste à vouloir se débarrasser de ses problèmes chroniques ou récurrents. Il est bien entendu légitime d’aspirer à résoudre un problème, à dépasser un conflit, à se guérir d’une maladie…, mais ressentez la différence d’énergie entre cette aspiration et le « vouloir se débarrasser de la chose ».
De prime abord, il n’est pas nécessaire de s’arrêter à la dimension factuelle du caractère répétitif de la circonstance pénible que l’on vit. Nous ne sommes pas toujours en situation de savoir qui a avant nous eu notre problème particulier, d’autant que les choses ne se présentent pas toujours ainsi. En revanche, l’attention enfin accordée aux seuls ressentis peut aboutir à la découverte d’une vieille histoire. Or, avec ou sans cette découverte, le plein ressenti conscient est toujours suivi d’une libération.
Il y a la situation du moment difficile, toute une histoire parfois longue à raconter ; il y a la mention de ses tenants et aboutissants ; Il y a surtout une certaine manière dont on l’aborde, dont on en parle, « s’en occupe » ou ne s’en occupe pas : une attitude réactionnelle. On n’est pas conscient de ne rien faire d’autre que réagir et l’on méconnaît donc la différence entre tenir compte de ce qui se présente à soi, de ce qui arrive, et y réagir. En fait, y réagir, c’est y résister.
Le pot de confiture vous échappe des mains et se brise sur le sol. C’est un tout petit problème, bénin, que vous pouvez pourtant vivre comme un drame. Dans cet exemple, admettez-vous que vous pourriez, ou demeurer tranquille, ou entrer dans la réaction ? Maintenant, si c’est votre bébé qui vous échappe des mains, voyez-vous l’importance de ne pas entrer dans la réaction ? Il est mieux d’agir plutôt que de réagir, non ? Ces deux exemples montrent l’existence des deux positionnements et lequel est manifestement le plus approprié.
– C’est dire qu’il ne faut jamais réagir ?
– Non, c’est dire qu’il est utile de reconnaître qu’on a été ou qu’on est encore dans la réaction. Il ne s’agit jamais de chercher à contrôler ses réactions. C’est les voir, les reconnaître qui permet graduellement de les relâcher…
Mais revenons à notre problème du moment, à ce qui nous préoccupe maintenant. Et cette fois, oublions l’histoire, la circonstance, ses détails et tout ce que nous en pensons pour diriger notre attention sur ce qu’elle nous fait éprouver. Si elle ne nous faisait rien éprouver, nous n’en parlerions pas et nous n’y penserions même pas. Il y a là un ressenti douloureux qui « veut » se faire connaître et qui est bien plus que la « réaction superficielle ». « OK, j’ai tel problème, telle épreuve ! OK, j’en pense ceci, cela ! OK, j’ai toutes ces preuves (éventuellement) ! Mais qu’est-ce que cela me fait ? Qu’est-ce que je ressens ? Comment est-ce que je me sens ? »
La réponse à cette question – donc le ressenti en cause – permet d’accéder au phénomène de répétition qui fonde les perturbations de tous ordres que nous vivons. Nous maintenons notre attention, par exemple, sur le caractère injuste de quelque traitement subi en continuant d’ignorer que quelque chose en nous l’a attiré, que quelque chose en nous est concerné et donc attiré. Quand vous êtes pleinement conscient de ce qu’une circonstance donnée vous fait vraiment éprouver, vous remarquez que ce ressenti vous est familier, qu’il vous accompagne finalement depuis toujours. Simplement, vous ne vous y étiez jamais arrêté. Au contraire, vous aviez toujours voulu évité ce ressenti, vous avez voulu le fuir. Ce faisant, vous ne l’avez jamais consommé et c’est ainsi qu’il a continué de vous chercher.
Simplement, observez combien une circonstance difficile, douloureuse produit ordinairement une grande activité mentale. On pense, on juge, on réagit, mais on ne ressent pas en conscience. Certes, on est mal ! Certes, on souffre plus ou moins ! Mais justement, la souffrance n’est rien d’autre qu’une douleur profonde, qu’une vraie douleur « présente » mentalisée. Imaginez, par exemple, que votre conjoint vous quitte. Ce pourrait être l’occasion de retrouver, de repérer en vous un sentiment d’abandon, un sentiment de solitude, un sentiment de désespoir, ce pour vous en libérez enfin… Cette libération n’aura pas lieu à travers les jugements que vous allez porter sur la personne qui vous quitte ou sur vous-même qui êtes quitté.
Combien de fois faudra-t-il que l’on vous quitte encore pour qu’enfin, vous reconnaissiez, par exemple, que vous êtes profondément malheureux ? Mais peut-être allez-vous croire que vous le faites déjà. Non, vous n’êtes pas en train de ressentir la douleur, vous n’êtes pas avec cette douleur, quand vous pensez que l’autre est injuste, ingrat…, quand vous pensez que vous devez représenter bien peu de choses pour que cela vous arrive. Ce sont ces pensées qui deviennent votre souffrance et la douleur réactivée demeure négligée une fois encore.
Notre discours et nos réactions révèlent que nous continuons de nous croire la victime de personnes mauvaises ou mal intentionnées, de croire en la malchance ou en l’injustice. Nous n’envisageons pas que quelque chose en nous depuis notre prime enfance nous a toujours attiré ce que nous vivons, non pas seulement pour éviter de nous mettre en cause, par culpabilité, mais parce que ce « quelque chose en nous » est du douloureux que nous résistons à confronter. Nous ne savons pas que le confronter est en réalité nous en libérer. C’est ce qui reste à faire et ce n’est jamais trop tard ! La croyance que c’est trop tard serait un piège mental, un moyen supplémentaire, pour repousser encore la « confrontation ». Si les conditions de vie empirent alors, c’est juste qu’un « cri douloureux retenu » cherche à se faire entendre. La souffrance provoquée par la résistance à sentir n’est pas ce cri.
Aujourd’hui, face à quoi que ce soit qui vous éprouve peu ou prou (des circonstances réellement vécues ou des pensées qui vous assaillent), rappelez-vous de vous intéresser aux ressentis concernés. Si vous n’y avez pas immédiatement accès, ne vous inquiétez pas. Admettez que du « douloureux » demeure en vous ; admettez que quelque chose vous échappe pour l’instant ; admettez que ce seul nouveau positionnement puisse vous ouvrir, vous préparer à de nouvelles expériences. Si ce que nous pensons, croyons, faisons depuis longtemps nous laisse insatisfaits, voire de plus en plus mal, le temps n’est-il pas venu de nous ouvrir à autre chose ?
Ce qui m’aide personnellement, ce qui m’éclaire ou finit par m’éclairer, c’est l’hypothèse – hypothèse que j’ai adopté depuis bien longtemps – que tout ce qui m’arrive, quoi que ce soit, est toujours, toujours, toujours juste, est au diapason de ce que je porte en moi en termes de honte, de culpabilité, de croyances, de peurs, etc. J’ai vu s’achever des séries de contrariétés en reconnaissant et de la sorte en libérant ce qui en moi les attirait. En faisant vôtre cette hypothèse, en la testant, j’émets cette autre hypothèse que vous allez, vous aussi, vivre de belles libérations. C’est ce que je vous souhaite !
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