Être présent
Des questions et des commentaires entendus ces dernières semaines m’incitent à revenir sur le « bénéfice » à être davantage dans l’accueil de ce qui est, de ce qui se présente à soi, c’est-à-dire à être présent. Être présent, pleinement présent, c’est notamment être conscient de ce qui est dans l’instant, aussi bien intérieurement qu’extérieurement. À l’extérieur, il y a le contexte ou la circonstance du moment. À l’intérieur, il y a une ambiance émotionnelle ou un ressenti. Précisons au passage qu’en percevant que la circonstance et le ressenti se trouvent tous deux dans la conscience, la différence entre « intérieur » et « extérieur » devient relative.
Être présent, c’est observer et c’est l’observation qui est déterminante, non pas ce qui est observé. Ce qui est observé est seulement un contenu et le contenu change continuellement. Sauf à le faire durer un peu ou beaucoup plus longtemps, pourquoi accorder une importance excessive à ce qui est éphémère ?
La plupart du temps, nous ne faisons que réagir, en tout cas que penser, et l’état de présence ou de pleine observation vigilante reste hors de portée. Cette possibilité n’est pas envisagée ; elle n’est pas comprise ou elle est oubliée très vite. La difficulté en cause repose essentiellement sur une identification avec les blessures non guéries de l’enfance et sur ce qui a été mis en place avec le temps pour trouver du soulagement. Il résulte aussi de ce fonctionnement humain ordinaire une habitude mentale – la tendance à penser de façon compulsive – qui n’est pas nécessairement relâchée par le seul fait d’avoir conscientisé ses peurs, ses croyances et ses positionnements réactionnels.
Prenez n’importe quel moment des heures écoulées, plutôt un de ces moments où vous n’êtes pas en train d’accomplir une tâche compliquée (nombre d’activités requièrent la réflexion, font appel à la mémoire, au mental). Admettrez-vous qu’à ce moment donné (repéré), vous avez soit observé, soit pensé ? En réalité, vous avez pensé, n’est-ce pas ? Il est même possible que vous ne fassiez pas la différence, que vous ne remarquiez pas ces instants plus rares où vous êtes pourtant dans la seule observation.
Quelques-unes des chroniques antérieures évoquent régulièrement et largement ces deux « positionnements » que sont l’observation consciente et la compulsion à penser. Ici, je veux m’attarder une fois de plus sur le mental dont nous nous servons inconsidérément pour souffrir. Comprenez que le mental en tant que tel n’est pas en cause. C’est ce que nous en faisons qui pose problème. Nous pensons au passé (nous regrettons, nous nous culpabilisons) ; nous pensons à l’avenir (avons peur de ce que nous imaginons qu’il va arriver) ; nous jugeons ce qui se présente à nous sans voir que nous prétendons ainsi avoir raison (« avoir raison » nous assure-t-il une paix durable ?).
Chercher à avoir raison, c’est encore donner tort à autrui, c’est résister à la situation du moment. C’est donc être en conflit. C’est tout le contraire de la paix, de la sérénité, de l’amour. En fonctionnant de la sorte, nous ne percevons pas que nous sommes en réalité en quête de conflits. Si nous pouvons voir, reconnaître cela, c’est merveilleux car voir est merveilleux. C’est l’observation et, je le répète, ce qui est observé reste sans importance. S’ouvrir à ce qui est quoi qu’il en soit est une non-résistance, une non-retenue des ombres, des orages, de l’adversité apparente.
L’accueil de ce qui est n’implique pas de le subir. C’est ce à quoi l’on résiste que l’on subit. La question est de savoir si une circonstance éprouvante réclame une décision ou un acte à poser. Si quelque chose peut être fait dans l’instant pour changer une situation qui dérange, ne pas le faire serait encore de la résistance. Parfois, ce qui est dans l’instant, c’est le besoin, voire l’urgence de dire non, de mettre des limites, d’exprimer enfin un désaccord. Être présent, être dans l’observation informe plus sûrement et plus justement de ce qui est à dire ou à faire (quand tel est le cas).
Peut-être nous croyons-nous libres ou forts, parce que nous avons un jugement à exprimer, une opinion toute faite (jamais remise en cause), une idée « exacte » sur les meilleurs choix et manières qui doivent être adoptés par notre entourage ou le monde. C’est toujours prétendre avoir raison et chercher à exercer un pouvoir. Il serait bon ou intéressant de vérifier quand nos convictions et nos divers positionnements nous ont été d’une aide réelle et durable. Nous avons la liberté de juger les choses comme bon nous semble, mais le jugement ne nous rend pas libres (c’est un euphémisme). De plus, par adhésion ou opposition, nos jugements nous viennent de nos parents, de nos éducateurs et des médias. On nous a bourré, on s’est laissé bourrer le crâne : voulons-nous participer au bourrage de crâne ?
Voilà une simple évocation de l’emploi abusif que nous pouvons faire du mental. Ne la percevez pas comme une accusation et n’en faites pas une autoaccusation. Simplement, voyez que l’activité mentale occupe généralement toute la place et que la seule observation est souvent perdue. C’est autant la perte de l’émerveillement que la lutte face à ce qui se présente à soi et à quoi l’on résiste. Une façon intéressante d’apaiser son mental consiste à se permettre de ne pas savoir, de se dire « je ne sais pas ». Il se passe ceci ou cela, il m’arrive ceci ou cela, d’autres se comportent comme ceci ou comme cela… « Je ne sais pas de quoi il retourne. Je n’ai rien à en penser puisque je ne sais pas ». C’est reposant !
Ce non-savoir est simplement l’abandon d’une prétention commune. Avec l’observation et l’accueil de ce qui est, un « savoir » plus fin, plus subtil, plus ajusté se révèle. C’est le lieu de l’inspiration et de l’intuition. L’activité mentale compulsive nous en prive ordinairement. On ne peut pas décider d’être intuitif ou inspiré, mais on peut choisir de se rappeler l’observation, d’être davantage présent et conscient (le préalable à l’intuition et à l’inspiration). Penser compulsivement, c’est un peu comme « décider » d’être ailleurs, de ne pas être « ici et maintenant », là où se trouve la vie, l’essentiel, la paix.
De temps en temps ou aussi souvent que possible, arrêtez-vous et observez. Remplissez vos yeux et/ou vos oreilles de ce qui se trouve autour de vous, où que vous soyez. Reconnaissez de même votre état émotionnel, le ressenti de l’instant. « Remplissez-vous » de ce ressenti. Puisqu’il est là, laissez-vous être habité par lui et voyez ce qui se passe. Ne nommez, n’étiquetez, ne jugez rien alors. Si vous êtes dans le noir et le silence (la nuit dans votre lit, par exemple), sentez-vous respirer (inspirer et expirer), ressentez pleinement l’énergie qui circule dans votre corps. Vous ne pouvez faire aucune de ces choses sans être devenu présent, sans être pleinement présent.
De temps en temps ou aussi souvent que possible, accordez toute votre attention, toute votre écoute à l’un ou l’autre de vos enfants, à tout enfant, à votre ami ou conjoint, à tout être humain, à votre chat, à votre chien, à vos plantes… Faites alors cela sans autre intention que d’offrir un espace (du temps si vous voulez), de la présence. Dans ces instants privilégiés, il n’y a rien à dire ni rien à faire – dire ou faire n’est pas ici le projet – et il se peut toutefois qu’un élan soudain vous dicte un mot ou un geste (dans ce cas, il n’est pas réactionnel).
Conseiller, éduquer, enseigner, c’est magnifique, souvent, mais connaissez-vous aussi l’effet sur autrui à qui l’on accorde une présence « silencieuse », une véritable écoute, une pleine reconnaissance de ce qu’il est comme de ce qu’il exprime dans l’instant ? Et le faire, c’est être présent. Reconnaissez bien la différence entre juste accorder son attention et intervenir d’une façon ou d’une autre. Tout peut avoir sa place, mais une relation qui exclut l’attention gratuite devient vite difficile et même conflictuelle. Une relation sans présence est une relation de compensation, animée par des peurs, des manques et de la culpabilité.
C’est par ces instants privilégiés et répétés de pleine présence à ce qui est, à autrui, à ce qui se présente à vous (quoi que ce soit) que vous vous occupez de vous-même véritablement et efficacement. Nous ne pouvons compter sur rien d’autre pour faire dans notre vie une différence enfin heureuse. Au début, si l’expérience vous semble fade, manquer de piquant, c’est juste qu’une partie blessée en vous cherche de quoi s’entretenir, s’alimenter. Alors, persistez, persévérez, et vous ne tarderez pas à percevoir les effets bien plus heureux, peut-être plus subtils de prime abord, qui se manifestent quand on cesse de donner au mental la primauté.
Et si vous souffrez, si vous éprouvez de la colère ou même de la haine, si vous vivez beaucoup d’insatisfactions, si vous êtes malheureux(euse), consentez au moins à vous accorder à vous-même une pleine attention bienveillante. Outre ce que vous en pensez, vos jugements et autres croyances, offrez-vous de juste ressentir en conscience le douloureux en vous, tout comme vous pourriez le faire avec un ami à qui vous tenez la main, auprès de qui vous restez sans rien juger. Pour vous-même, soyez présent ! Ne vous négligez pas. Ne vous ignorez pas. Ne vous dépréciez pas. Ne vous trompez pas vous-même. Sinon, voyez que vous le faites.
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