Observer, percevoir, conscientiser
À des degrés différents, beaucoup d’entre nous ont réalisé que l’inconscience de chacun(e) explique ce qu’il(elle) continue de déplorer dans sa vie. En effet, la persistance d’une condition difficile qui m’affecte indique que je demeure inconscient d’un ressenti douloureux niché en moi, d’une croyance limitative que je vis telle une conviction ou d’une attitude réactionnelle que j’ai adoptée il y a longtemps… Par exemple, tant que l’on reste inconscient de ses peurs, en se montrant parfois doué pour justifier autrement ses choix, ce que l’on craint advient. Nous pouvons volontiers accuser les autres de nous traiter mal, autre exemple, en continuant de nous traiter nous-mêmes bien pire. Ah, si l’on était suffisamment conscient du fait qu’on se sent traité par autrui comme on se traite soi-même, on accorderait davantage d’attention à ce qu’on s’inflige, à soi-même !
Juste avant de débuter la rédaction de cette chronique, j’ai vu repartir en paix quelqu’un qui était venu me consulter complètement agité et même désespéré. La personne a retrouvé la paix, en se permettant en l’occurrence de pleurer un vieux chagrin. Dans ce cas également, on peut dire que cette personne était inconsciente de ce chagrin en elle. De surcroît, elle était tout autant inconsciente d’autres aspects reliés à son chagrin : de la peur, des croyances, de la culpabilité, un positionnement d’évitement (une attitude réactionnelle), etc. Incontestablement, la modification rapide de l’état intérieur de la personne a été l’effet de ce qu’elle a ressenti, de ce qu’elle a perçu : de ce dont elle est devenue consciente.
Notons qu’il y a ces choses que l’on conscientise, que l’on peut conscientiser (dont on peut reconnaître la présence en soi), et qu’il y a avant tout le fait de conscientiser. Il est essentiel, bien plus important qu’une chose conscientisée, car il témoigne d’une ouverture, de la disposition à voir qui remplace la tendance ordinaire à réagir. De la même façon, j’aime répéter que ce qui fait une différence heureuse, c’est l’aptitude à accepter et non pas ceci ou cela qui est accepté. C’est ainsi qu’il y a toujours moyen de s’en sortir : si vous avez ponctuellement du mal à accepter quoi que ce soit, eh bien acceptez simplement votre difficulté ! Sentez que vous l’acceptée, ce qui ne signifie pas la justifier. Prenons un troisième exemple : vous vous libérez d’une peur en accordant davantage d’attention à votre seul ressenti « peur » – « j’ai peur » – qu’à la chose qui vous fait peur.
Par ailleurs, je précise que la question n’est pas (ici) de savoir comment diminuer notre degré d’inconscience. Il s’agit de vérifier si nous n’attribuons pas à notre mal de vivre (éventuel) d’autres causes que notre inconscience, notre ignorance, notre déni, notre refoulement. C’est très tentant et sinon habituel d’incriminer les autres, le monde, la vie quand quelque chose ne va pas. Je précise que j’ai à l’esprit la façon dont nous sommes affectés par des conditions de vie parfois difficiles et non pas lesdites conditions. On peut remarquer que plusieurs personnes confrontées à un même problème peuvent y réagir de façon complètement différente. Rappelez-vous un problème familial et les différentes personnes qui ont été impliquées ou qui se sont senties concernées. Il serait étonnant que vous constatiez que tout le monde a réagi exactement de la même façon.
Si, personnellement, je réagis fortement à une situation délicate qui n’entame pas le sang-froid d’autres personnes tout autant concernées, je dois bien soupçonner la présence en moi de quelque chose qui n’est pas en elles. Je ne dis pas que je suis inférieur à ces personnes, mais je réalise ou me rappelle ainsi la possibilité de débusquer tôt ou tard ce qui me conditionne, ce qui m’encombre, ce qui me rend malheureux. C’est en moi, c’est chez moi, et non pas dehors. D’ailleurs, n’est-ce pas heureux qu’il en soit ainsi ? Si la « clé » est chez moi et non chez autrui, toutes les chances sont de mon côté pour la saisir et retrouver la paix.
Comment profiter au mieux de ce qui vient d’être énoncé ? Évoquer ou relever l’une ou l’autre de nos tendances, l’une ou l’autre de nos attitudes réactionnelles n’a pas et ne doit pas avoir pour objectif de nous juger, de nous culpabiliser, de nous autoaccuser. Cela, consciemment ou inconsciemment, nous ne le faisons que trop ! La dernière fois que je me suis énervé, c’est il y a… une demi-heure. Très vite, je l’ai vu, je l’ai observé et je me suis dit quelque chose comme : « Ah, une fois encore, je réagis comme s’il y avait là quelqu’un qui me cherche des ennuis, comme si j’étais la victime d’une hostilité extérieure ! Bien sûr, je n’ai pas encore pleinement intégré que je suis le seul responsable de ce que je vis, de mes réactions (bien que j’en aie la certitude du fait notamment de le vérifier sans cesse) ».
Or, ce rappel m’a apaisé et je sais que si je m’étais culpabilisé, fait la morale, l’apaisement n’aurait pas pu avoir lieu ; je me serais senti encore plus mal. C’est ainsi que je puis reconnaître et admettre que je manque souvent de conscience, que je réagis machinalement, que je résiste à ce qui est. Et le plus souvent, je manifeste cela en pensant de façon compulsive, de façon inutile ou tout à fait négative. Dans ces cas-là, jusqu’à ce que je redevienne conscient, je ne pense pas vraiment, « je suis pensé » ; je dépends des pensées qui surgissent. Je pense, je me dis des trucs, j’en imagine d’autres et je me sens de plus en plus mal (le cas échéant). Puis je vois cela, je l’accepte, je suis à nouveau conscient et je retrouve bientôt la légèreté, l’insouciance, la paix d’esprit. On ne se contente pas d’être animé par des pensées sordides et qui font mal, en réalité toujours les mêmes, mais en plus, on y croit !
Percevez-vous que j’évoque dans ces lignes notre conditionnement ? C’est le mien, bien sûr, et c’est le vôtre aussi. C’est surtout celui de l’humanité entière. Et j’ai dit « conditionnement que j’évoque ». Il n’est pas jugé, il n’est pas à juger ; il n’est pas blâmé. Il est seulement reconnu, pris en compte. Nous sommes conditionnés et nous en sommes peu conscients ou nous l’oublions assez vite quand nous le savons. Maintenant, de quel conditionnement s’agit-il ? Sommes-nous conditionnés à vivre heureux, en paix et dans l’amour ?
Nous sommes conditionnés à croire des choses (les pires en font partie), à avoir peur et à réagir. Nous sommes conditionnés à nous faire vivre des drames, à souffrir, à nous priver et à en accuser le monde. Nous sommes conditionnés à utiliser notre mental à notre détriment. Nous sommes conditionnés à rechercher et à trouver des ennemis, à entrer finalement en guerre avec nous-mêmes.
Et je le redis maintenant : il ne s’agit pas tant de savoir comment se défaire de ce conditionnement que de juste le reconnaître comme tel, de le savoir, de se le rappeler, de l’observer, de l’accepter… L’accueillir signifie s’en libérer, parce que c’est d’abord élever son degré de conscience. Si ces mots vous semblent incompréhensibles, inaccessibles, vous pouvez y réagir d’une façon familière, par exemple vous en prendre à leur auteur ou à vous-même qui, décidément, « ne comprenez jamais rien ». Or, vous pouvez aussi vous contenter de reconnaître cette difficulté du moment (juste en être conscient et l’accepter).
Et là où je parle de « conscience », pour tenter d’expliquer la pérennité du mal de vivre et l’afflux éventuel dans l’existence des contrariétés de tous ordres, peut-être devrais-je parler surtout d’amour. En devenant conscient qu’on passe le plus clair de son temps à redouter des choses, à se culpabiliser, à en vouloir au monde entier, à réagir de diverses manières…, on finit par observer l’absence en nous du sentiment d’amour. Être dans la peur, la honte, la culpabilité ou les ressentiments, ce n’est certainement pas aimer. De plus, quand j’insiste en disant d’être juste conscient de ceci ou cela, alors qu’on reconnaît une peur une croyance ou n’importe laquelle de ses tendances, j’invite implicitement au sentiment d’amour. Accepter pleinement, c’est aimer.
Il y a une question qu’Eckhart Tolle nous propose de nous rappeler de temps en temps : « Quelle est ma relation avec l’instant présent ? Est-elle amicale ? ». Autrement dit, ici et maintenant, suis-je amical ou hostile, en paix ou en plein conflit ? « L’instant présent » est la seule chose que nous avons toujours eue et que nous aurons toujours : il est mieux d’y demeurer paisible.
Ainsi, au lieu de vous heurter éventuellement à la manière de devenir plus conscient, disposez-vous simplement et immédiatement à vivre ce que la conscience offre : l’amour. Simplement, ressentez-le face au douloureux de l’instant. Car, ou nous faisons cela, ou nous réagissons comme à l’ordinaire. La réaction fait durer le malaise (quand elle ne l’empire pas) et ce qui guérit, ce qui fait croître, ce qui transforme, c’est l’amour. En silence, déclarez simplement : « Je t’aime ». Adressez ce « je t’aime » intérieur à qui vous voulez, mais ayez-le à l’esprit alors que s’y trouve déjà la pensée de ce qui vous préoccupe. J’ai la croyance que ce n’est pas la guerre, ce n’est pas le conflit qu’au bout du compte, vous voulez. Alors, ressentez ou évoquez l’amour. Voyez ce qui se passe alors !
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