Dans la tête ou dans le cœur
En débutant cette nouvelle chronique, j’ai tout particulièrement la joie « au front ». Je me permets cette sorte de « cri de la tête », parce que ce cri est tout à fait approprié au thème que je veux développer ou relever, et que vous allez découvrir au fil des prochains paragraphes. « De tout mon corps », je vous soumets quelques propositions à ne pas recevoir seulement avec la tête. Et si « la tête vous en dit », soyez disponible pour vous prêter à une expérience qui pourrait bien être positivement transformatrice.
Je ne doute pas que vous releviez l’aspect étrange, inattendu ou même saugrenu des quelques formulations qui précèdent. Au besoin, relisez ce premier paragraphe en remplaçant chaque mot en gras par le mot « cœur ». Sans tarder, remarquez surtout que l’évocation du cœur dépasse de loin la seule question du vocabulaire. Il est question d’une réalité incontestable ; elle ne peut être confondue avec la dimension mentale et il est malaisé d’éviter son jargon approprié.
Quand on parle de cœur, on parle de sentiments et de vérité. Quand on parle de cœur, on est loin des opinions, des jugements, de la tête. Quand il s’agit de cœur, la priorité laissée au paraître, aux apparences n’a plus voix au chapitre. On écoute, on peut écouter son cœur ; avoir des amis de cœur comble ; ce qui vient du cœur, ce qui parle au cœur ; parler à cœur ouvert… Le langage populaire témoigne clairement de la dimension spécifique qui est là impliquée.
J’ai à cœur – c’est le moment de le dire ainsi – de vous aider, de nous aider à devenir plus conscients :
de la possibilité d’aborder la vie, d’aborder toute chose à partir de la tête ou à partir du cœur ;
de la différence considérable manifestée dans notre existence selon l’option que nous adoptons (même machinalement, inconsciemment, inconsidérément).
Quand nous jugeons, critiquons une personne ou une situation, nous sommes manifestement « dans la tête ». C’est juste un exemple, commun, fréquent et source ordinaire de souffrance. Or, nous sommes encore dans la tête quand notre jugement se veut positif. Là, de façon prédominante, nous pensons, nous ne ressentons pas. Qu’elle soit positive ou négative, une étiquette reste une étiquette. Ici, il s’agit seulement de reconnaître notre tendance à penser compulsivement, inutilement, donc sans nier cette tendance, mais surtout sans la juger ni la revendiquer. Il arrive pourtant bien des fois que nous soyons vraiment dans le cœur, mais il semble que nous ignorions que nous pouvons le retrouver de façon délibérée.
Ainsi, observons que nous fonctionnons essentiellement de façon mentale et, par voie de conséquence, émotionnelle. Le ressenti conscient est tout autre que la réaction émotionnelle… Notre fonctionnement humain habituel s’explique, il est bien compréhensible. Cependant, on peut s’inviter généreusement à une autre expérience. Alors, laissons la théorie et offrons-nous une pratique simple, pour une expérience immédiate possible. Et si elle est possible dans l’instant, on devrait pouvoir la revivre à volonté.
Tout d’abord, juste pour un bref moment, pensez à quelqu’un ou à une situation qui vous fait réagir, qui vous déplaît ou vous contrarie. Vous l’avez ? Ne retrouvez-vous pas des pensées familières, réactionnelles, douloureuses ? Vous voici dans la tête. Une façon d’y être en plein, c’est de considérer que vous avez raison ou que vous avez tort. Vous pensez avoir raison quand vous blâmer autrui ou une circonstance et vous pensez avoir tort quand vous vous en voulez. Mais, pour une fois, laissons cela et testons surtout autre chose, pour vérifier entre les deux positionnements ce qui est le plus agréable, le plus heureux, le plus sain.
Le mental est un outil fabuleux quand nous ne nous soumettons pas à lui, quand nous n’en faisons pas notre maître. Nous ne sommes pas obligés de croire toutes les pensées qui nous traversent l’esprit, ni surtout de nous y arrêter longtemps. Ici, décidez d’utiliser cet outil qu’est le mental pour vous rappeler un moment particulièrement heureux que vous avez vécu, un moment de joie, d’amour, d’ouverture, de bonheur. Vous avez pu être profondément touché par une attention accordée, par le sourire d’un enfant, par un animal, par quoi que ce soit.
Peut-être avez-vous pensé des choses à propos de cet instant de grâce, mais je vous demande de retrouver le ressenti heureux qui l’a accompagné. Rappelez-vous le davantage encore que la circonstance apparemment en cause. Ayez ce souvenir de sorte que vous n’ayez plus à réfléchir pour le ressentir à loisir. Si vous pouvez vous rappeler une émotion « douloureuse », vous devez pouvoir également vous remémorer un sentiment profondément heureux.
Après en avoir lu et retenu les consignes simples, je vous encourage à faire le petit exercice qui suit et à le refaire régulièrement. Asseyez-vous ou allongez-vous confortablement. Posez les deux mains sur la poitrine et dirigez toute votre attention dans la région du cœur. Maintenez votre attention là indépendamment des pensées qui surgissent et sur lesquelles vous ne vous arrêtez pas ou par lesquelles vous ne vous laissez pas embarquer. Respirez profondément, tranquillement, et sentez votre cœur respirer, vivre. Maintenant, retrouvez ce ressenti heureux du souvenir évoqué précédemment et permettez-lui de grandir, de grossir, de diffuser tout autour de vous. Réalisez alors que vous êtes dans le cœur, que vous y êtes bien et que c’est tout ce à quoi vous aspirez. Reconnaissez cette expérience comme complètement différente de celle des cogitations soucieuses, hostiles, souffrantes…
Si vous faites cet exercice simple, vous remarquez qu’il est efficace, qu’il est finalement facile de se sentir bien. Si vous le refaites de temps en temps et si vous êtes comme moi, toutefois, vous remarquerez également notre préférence ordinaire à laisser notre tête cultiver des pensées assez vite négatives plutôt que de faire le choix pourtant disponible de nous sentir bien. Regretter cela, se le reprocher serait inutile et demeurer encore dans sa tête pour plus de souffrance ou de malaise. Simplement, observons la réalité de cette tendance humaine et encourageons-nous à retrouver en conscience le chemin de la paix. Faisons-en une nouvelle habitude.
Maintenant, vous avez peut-être eu du mal à retrouver un moment heureux, exclusivement heureux ! N’avez-vous jamais été touché par un paysage, un chant d’oiseau, un coucher de soleil, un tableau, une musique, une voix, une réussite… ? Je parle d’instants de grâce où les pensées sont au moins un laps de temps absentes. Ce peut encore être une expérience de profonde gratitude. Vous êtes touché par une attention au point d’en être inondé d’affection… C’est cela la gratitude et c’est notamment cela « être dans le cœur ».
La gratitude n’est-elle pas un sentiment qui met de la joie au cœur (et non pas au front) ? D’ailleurs, restons sur ce ressenti heureux qu’est la gratitude pour tenter d’observer mieux la réalité des deux positionnements, celui de la tête et celui du cœur, à travers la différence qu’ils impliquent. En nous, qu’est-ce qui risque de prendre place quand il n’y a ni gratitude, ni contentement ? Ce sont la frustration, l’insatisfaction et/ou la mauvaise humeur. Pour être frustré, insatisfait, d’humeur maussade…, que ne faut-il pas se dire ? Là, on pense ; là, on est dans la tête. On se dit des choses qui font mal.
Si vous éprouvez beaucoup d’insatisfaction, si telle est votre souffrance et si vous vous demandez ce qui pourrait vous aider, voici pour terminer quelques éléments de réponse.
Reconnaissez enfin la douleur qui est là, ce ressenti « insatisfaction », « frustration », « sentiment de privation »… Ordinairement, vous ne l’avez pas, vous n’êtes pas avec, même s’il vous semble ne rien connaître d’autre. Non, ordinairement, vous êtes avec la réaction. A titre d’exemple, rappelez-vous une personne plaintive qui vous parle supposément de sa contrariété ou de sa peine. Elle n’est pas avec son ressenti, elle est coincée dans sa réaction qui s’appelle ici « la plainte ». D’ailleurs, la plainte peut aussi être une réponse à l’insatisfaction. Admettez que déplorer une situation est une chose précise et que ressentir en conscience ce qu’elle fait éprouver en est une autre.
L’insatisfaction peut encore être accompagnée d’irritation, de colère (exprimées), de mauvaise humeur, de bougonnerie (silencieuses), de soumission ou même de totale résignation… Alors, reconnaissez d’abord votre réaction, votre propre mode réactionnel. Soyez même heureux de l’identifier. Et ressentez enfin en conscience le ressenti douloureux concerné. Réagir, c’est résister et la résistance provoque infailliblement la persistance. « Plus ça résiste et plus ça persiste ! ».
A partir du cœur, un peu comme dans l’exercice proposé plus haut, accueillez votre douleur : votre frustration, votre chagrin, votre colère, votre tristesse, votre déception, toute douleur… Et quand vous le faites, j’insiste, soyez avec le ressenti douloureux et non plus avec l’histoire qui l’a rappelé, ni avec vos réactions ordinaires. Vous verrez alors que la douleur se dissipe. Accordez-vous cette attention, celle du cœur !
Par ailleurs, pour maintenir (garantir) la frustration, Il nous faut absolument oublier, ignorer, mépriser ce que nous vivons d’heureux, ce que nous recevons. Maintenant, ayez à l’esprit tant des nombreuses occasions que vous avez d’être plein de gratitude. Commencez par vos proches et remarquez leurs attentions bienveillantes à votre endroit. Ensuite, d’une manière générale, ayez de la gratitude pour ce qui vous aide, vous convient, vous plaît, vous arrange, vous fait dépasser vos limites, etc. De la même façon que ce à quoi l’on résiste persiste, ce sur quoi l’on dirige son attention fructifie. Nous ne pouvons pas longtemps demeurer dans le cœur sans vivre la paix, la joie, l’amour.
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