La lutte contre soi-même
En début d’année, j’ai reçu un jeune homme souffrant d’une épreuve plutôt invalidante (en plus de son mal de vivre général qui le conduisait à me solliciter). Il avait évoqué cette épreuve presque incidemment sans y revenir ensuite bien que je lui eusse indiqué qu’il pouvait être intéressant pour lui de s’y arrêter. (Il a fini par le faire, bien plus tard, à son avantage !…). J’évoque ce cas, non pas pour commenter le problème en cause, mais pour relever le fait qu’on peut être confronté à une difficulté prenante (ou une maladie) sans lui accorder d’attention.
La chose m’avait interpellé (une fois de plus) après la première séance sans vraiment en conclure quoi que ce soit. Or, je veux relever ici, d’une part, qu’on peut nier ou simplement ignorer l’effet sur soi de telle ou telle situation éprouvante et, de l’autre, qu’il peut justement être avisé de ne pas accorder trop d’attention à une épreuve qui n’est elle-même qu’un effet. L’épreuve à laquelle nous sommes confrontés et plus encore la façon dont nous la vivons rappellent toujours une vieille blessure non guérie.
Dans le même sens, il y a une quinzaine d’années, j’avais proposé mon aide (à titre gracieux) à un autre jeune homme qui venait de perdre la vue, juste parce que j’avais eu l’intuition (familière) que je pouvais l’accompagner utilement. (L’expérience me montre que suivre mon intuition Produit des effets inexorablement appréciables. Je ne savais pas grand-chose sur lui et je le rencontrais dans un contexte étranger au coaching, à la thérapie et à la spiritualité. Et sa réponse fut encore desdits effets (aussi imprévisibles qu’appréciables) : « Avant de penser à guérir mes yeux, j’ai trop à faire à guérir mon coeur ! ». Quelle belle leçon !…
Nous endurons ce que nous endurons, juste parce que notre « coeur » n’est pas guéri. En sachant, en se rappelant cela et en en tenant compte, notre expérience de la réalité se transforme et, comme par enchantement, la réalité elle-même change. A vrai dire, il n’y a rien d’étonnant à cela si l’on se rappelle que le monde extérieur reflète le monde intérieur. On ne peut pas changer intérieurement sans voir son monde extérieur changer à l’avenant.
« Guérir son coeur » : on comprend bien qu’il ne s’agit pas ici de l’organe central de l’appareil circulatoire logé dans la poitrine, mais du siège des sentiments et émotions, des aspirations profondes et intérêts compensateurs, de la sensibilité et de l’affectivité… Ce coeur est affecté, ébranlé, parce qu’il demeure malmené par la tête. La « tête », c’est ici tout ce qu’on se dit, tout ce qu’on croit à propos de n’importe quelle circonstance éprouvante, toutes les pensées qui surgissent et qui pèsent bien lourd sur le coeur.
J’aime bien le rappeler et cela s’impose ici : « souffrir », c’est penser, c’est se dire des choses qui font mal, c’est se rappeler ce qui a fait mal et c’est envisager le pire. « Souffrir », c’est résister, c’est réagir, c’est lutter. Quand vous souffrez émotionnellement, est-ce pour vous autre chose que ce qui vient d’être énoncé ? Et la « tête » reste un piège, en des moments plus fastes en apparence, quand on croit pouvoir « jouir » du fait de porter toutes sortes de jugements, du fait d’avoir raison, d’avoir établi des preuves, d’avoir dénoncé des injustices, etc. Parce que nous demeurons inconscients, nous ne percevons pas le lien direct entre une forme manifestée de certitude, d’arrogance ou d’autosatisfaction (voire parfois d’égoïsme) et l’expérience de grande frustration qui se rappelle à nous si souvent.
L’un de nos problèmes consiste à tenir absolument à juger ce que nous vivons, à l’interpréter, à lui donner une signification : « Si je vis cela, si l’on me fait ceci, ça veut dire que … ». Fonctionner ainsi nous empêche d’achever de vieilles histoires (penser empêche de sentir – de sentir ce qui est et en conscience). C’est encore le cas (très rare, il est vrai) quand notre interprétation s’avère exacte… Maintenant, consentez à reconnaître que « souffrir », c’est résister, réagir, lutter. Si ce n’était pas cela, que serait-ce d’autre ? Personnellement, rien ne me vient quand j’essaie d’imaginer une autre explication. Si vous avez d’autres réponses, faites-les-moi, faites-les-nous connaître !
Alors, puisqu’il y a résistance, puisqu’il y a réaction, puisqu’il y a lutte, ne serait-ce pas intéressant de se demander contre quoi nous luttons, à quoi nous réagissons, à quoi nous résistons ? En fait, cet état de lutte est permanent, même s’il est plus facile à observer quand nous sommes confrontés à une épreuve fortement ébranlante. Notre fonctionnement réactionnel est une seconde nature. Nous continuons de résister (de lutter) même quand tout semble aller pour le mieux. Le « je souffre » reste tapi dans un coin et diffuse son énergie, son humeur.
Si vous admettez que vous êtes en réalité en lutte quand vous souffrez, quand vous n’êtes pas bien, quand vous êtes malheureux, vous avez dépassé un cap décisif sur le chemin de la paix. Soit on est en lutte, soit on est en paix. Observez au besoin les pensées qui vous assaillent quand vous vous rappelez le conflit ou la difficulté du moment : sont-elles plutôt pacifiques ou plutôt belliqueuses ? Alors, contre quoi luttez-vous ? En avez-vous une idée ?
Comme le montre le début de ce texte, on ne lutte pas nécessairement ou pas toujours contre son problème, sa maladie, son handicap. Bien sûr, on peut ponctuellement s’en prendre à l’obstacle de l’instant, pester contre un bouc émissaire, injurier le monde ou même accuser Dieu, mais ne sont-ce pas là des réactions superficielles et passagères ? Qu’en reste-t-il après le nouveau « coup de tonnerre » ou la dernière vague émotionnelle ? Souvent, on a retrouvé la paix avec la personne, avec son enfant, avec la chose ou la circonstance qui nous a contrariés. Se retrouve-t-on vraiment en paix pour autant ?
Plus avant, je soulignais l’aspect permanent de notre résistance, de la lutte, je parlais du « je souffre » qui n’est jamais très loin. Si nous étions véritablement en paix avec nous-mêmes, s’il n’y avait en nous ni honte, ni culpabilité, si nous ne conservions aucune pensée négative à notre sujet, croyez-vous que nous réagirions pareillement à ce qui se présente à nous ? Pensez-vous que nous pourrions aussi aisément plonger dans le mal de vivre, tomber en dépression, percevoir un monde affreux (projection) ? Vous l’avez compris, le « contre quoi luttons-nous ? » devient « contre qui luttons-nous ? » et la réponse, à l’évidence, c’est : contre nous-mêmes !
En fait, même si c’est de façon inconsciente, on résiste à l’idée négative que l’on a de soi, à l’image désastreuse de soi que l’on s’est forgée, à ses croyances autoaccusatrices adoptées à tort en déduction de traitements éprouvés ou même endurés dans l’enfance. On a beau, de temps en temps, projeter sur les autres, sur l’extérieur, tout ce dont on s’accuse, on en revient sans cesse au malaise qui demeure quand on se retrouve face à soi-même. Alors, allons-nous, longtemps encore, nous faire la guerre ? Allons-nous la justifier ? (Beaucoup ne s’en privent pas !)
La lutte contre soi-même est initiée et maintenue au moyen des croyances autoaccusatrices, longtemps inconscientes, parce que s’escrimer à les démentir – ce que l’on fait – nuit, consomme de l’attention, de l’énergie, du bien-être… Cette même lutte est encore manifestée par les seules pensées néfastes et innombrables que nous infligeons au moment présent. Percevez, par exemple, l’attaque que représentent des pensées comme « la vie est pourrie », « tout le monde est contre moi », « je n’y arriverai jamais », « je suis nul », etc. En général, on ne dira pas qu’on est en lutte contre soi-même, mais on pourra confier volontiers qu’on se rend malade. Est-ce si différent ?
Une fois que nous avons reconnu que nous luttons, quand nous nous sentons mal, que nous avons réalisé que nous luttons surtout contre nous-mêmes, il reste à nous donner le moyen de recouvrer la paix. En conscience, aspirons à la paix, préférons la paix. Soyez juste heureux de voir, de comprendre tout cela (si c’est le cas). Ces pages ne se sont pas écrites d’un claquement de doigt, accordez-leur votre attention, un peu de temps pour les lire et les relire, pour les recevoir. A un moment ou à un autre de votre lecture, vous pourriez par exemple vous sentir plein de gratitude.
Je ne vous dénie pas le droit d’avoir (éventuellement) de la gratitude pour l’auteur de ces lignes (ou pour ce qui l’inspire), mais je ne parle évidemment pas de cela. Il y a de la gratitude possible à voir que l’on se nuit à soi-même et qu’on peut cesser cela sur-le-champ. Il y a de la gratitude possible à voir que le problème longtemps déploré, une fois dépassé, aboutit à la paix. Il y aurait encore beaucoup de gratitude possible à considérer ses bonnes fortunes de tous ordres (à commencer par l’air, l’eau, la nourriture disponibles).
Nous laissons généralement l’épreuve qui se présente à nous prendre toute notre attention. Or, nous pouvons décider plutôt de lui donner notre attention, plutôt donner notre attention à notre ressenti. Avez-vous bien lu ces deux dernières phrases, les avez-vous comprises ? Dans un cas, l’attention est prise ; dans l’autre, elle est donnée. Si vous lisez ces mots sans en faire l’expérience, vous les oublierez bien vite. De la même façon, au lieu d’être en guerre contre l’obstacle du moment (ce qui revient à souffrir), si vous recouvrer la gratitude en continuant de le considérer, soyez sûr que des effets heureux en découleront. Là encore, percevez la double possibilité : lutter contre une chose, lui résister, ou lui destiner de la gratitude, sinon au moins se la rappeler.
Il s’agit au bout du compte de se permettre de faire et de refaire l’expérience exquise qui est celle du sentiment qui pousse à éprouver vivement, chaleureusement les dons de la vie, juste parce que l’expérience est vivante, heureuse et féconde. Il s’agit de l’appréciation, le véritable témoignage de la gratitude. Si vous résistez à la proposition, soyez bien conscient de ce à quoi vous dites non en réalité… à la paix, au bonheur, à l’amour. Sachez aussi, sachez surtout qu’il n’est jamais, jamais trop tard de choisir la paix et l’amour. Ces qualités ou attributs fécondent la joie et l’abondance.
J’ai été touchée. Merci
Merci, Marie-Laure, votre mot touche aussi, il est apprécié !
Merci, Merci, Merci
Quel enthousiasme !