201 Le subir et ses implications (5-5
Avec cette cinquième chronique, nous terminons l’exploration du thème « subir » et, plus spécifiquement, nous continuons de nous intéresser à notre impression de subir les choses, plus ou moins déplorée, et à notre état d’attente, assez difficilement contestable. Étroitement liés, ces deux états psychiques expliquent en grande partie l’essentiel de nos divers comportements et en premier lieu notre mal-être chronique, latent ou envahissant. Si vous lisez ou relisez les quatre chroniques précédentes, ce nouveau texte vous parlera et vous éclairera davantage. Et il s’agit de vous laisser inspirer par votre lecture.
Le « subir » et « l’attendre » ou la soumission et l’attente sont les deux faces d’une même pièce, la pièce étant principalement l’impression fausse de séparation. Nous ne déplorons pas sciemment notre impression de subir quand nous ne faisons qu’obéir à notre environnement, quand nous ne nous donnons aucun droit, quand nous ne suivons surtout pas nos élans du cœur, quand nous n’honorons pas notre propre souveraineté. Alors, voyons cela ! La désobéissance réactionnelle à l’extérieur n’est évidemment pas la solution. Quand nous cessons d’obéir à nos vieilles croyances et à tout notre vieux conditionnement, nous ne pouvons que nous ajuster au mieux à notre environnement, par évidence, par respect pour notre vraie nature et celle de tout un chacun.
Ne vous demandez pas si vous êtes, vous aussi, concerné par l’impression de subir et par un état d’attendre, mais permettez-vous de vérifier attentivement la façon dont vous restez positionné face à ce qui se présente à vous. Si vous deviez vous croire sans attentes et libre de toute impression de subir les choses, ce qui serait plutôt étonnant, observez de près la façon dont vous considérez vos épreuves, les causes que vous leur donnez et ce que vous envisagez en termes de solutions.
Moins vous êtes concerné par l’impression de subir l’existence et par un état chronique d’attente, plus vous suivez vos élans du cœur, vos inspirations, vous considérez vos seuls ressentis, sans les justifier ni les contrarier par des considérations mentales. Votre « cœur » sait infailliblement ce qui est juste et bon pour vous, alors que votre mental vous trompe inexorablement, parce qu’il se réfère au passé, qu’il est adapté à votre conditionnement, à vos blessures. Le plus souvent possible, rappelez-vous cette simple question : « OK, je pense ceci, je me dis cela, d’aucuns me disent encore d’autres choses, jusqu’à vouloir parfois m’en imposer, mais qu’est-ce que je sens, qu’est-ce que je ressens… ? »
La cause de l’impression de subir est la perpétuation mentale du passé, ce passé pouvant dépasser le cadre de notre existence présente. La cause de l’attente envers autrui est toujours en soi, mais son point de départ ponctuel peut être une perception extérieure, soutenue bien sûr par un ressenti (intérieur). Avec la perception extérieure qui cause une attente, on se retrouve en situation de subir le monde, celui qui ne nous répond pas ou qui nous fait… attendre. Avec le « subir », on n’est pas sujet, on est objet ; avec l’attente, on est sujet en quête d’un objet. Dans les deux cas, il y a un flux entrant imaginaire, déploré (subi) pour l’un, caressé (attendu) pour l’autre.
Bien que produise toujours un bel effet la seule observation de la réalité dans laquelle on se trouve, notamment le subir ou l’attente, il ne nous vient pas de nous y prêter de façon régulière. Le subir et l’attente règnent en maîtres absolus. La mise de côté du subir et de l’attente contrarie le « moi pensant, historique », et l’on n’arrête pas aisément dans sa course un taureau furieux. Une façon de « piéger » un peu le « moi historique » est de reconnaître combien on aime penser, qu’il s’agisse de subir imaginaire ou d’une attente illusoire. Nous tenons aussi à ce que nous déplorons et ce n’est pas la chose que nous allons pouvoir reconnaitre en premier !
On aime bien penser, même si l’on ne l’admet pas, comme certains « aiment bien se curer le nez ou encore se ronger les ongles ». Et « ronger son os », on aime bien aussi ! « Ah, tu as ce toc-là ! N’en ai pas honte, j’ai le mien et je crains qu’il ne soit pire : je pense de façon « T. O. C. » (têtue, obsessionnelle compulsive) ! » Personne n’apprécie les « penseurs compulsifs », ces derniers ignorant qu’ils ne sont pas appréciés, mais heureusement pour eux, ils sont par ailleurs souvent bourrés de qualités qu’ils ignorent de même. Il ne t’est pas facile de reconnaître ton identification au penseur, d’abord parce que le penseur n’existe pas, mais surtout parce que tu ne regardes pas, parce que tu penses encore l’hypothèse. « Je ne suis ni subisseur, ni attendant, je ne suis ni infligeur, ni refuseur… Je suis l’Amour, un canal quelconque de l’Amour. Comme toi, comme tout un chacun, je suis enfant de Dieu. »
Nos jugements sont des révélateurs. Ils trahissent d’abord notre impression de subir et tout autant notre état d’attente. Une personne neutre, non investie émotionnellement, non intéressée de façon réactionnelle ou compensatrice, ne peut pas juger. La personne qui vous juge et plus encore qui vous accuse vous confie en réalité son impression de subir son existence et des intentions cachées, son propre état d’attente. En regardant de près l’un de mes jugements, j’y débusque assez facilement ma propre impression de subir et encore plus facilement mon propre état d’attente, voire une attente spécifique. L’exercice est passionnant (si l’on a cessé de se juger trop).
Si nous subissons sans mot dire la façon dont nous nous sentons traités, sans nous le dire, sans nous arrêter sur l’effet éprouvé, tôt ou tard, quelque chose nous fait tomber des nues. Ce peut être une attente déçue ou simplement tout ce que l’on n’aurait jamais pu imaginer. À partir de l’impression de subir les choses, même si elle reste plus ou moins inconsciente, étant devenue si habituelle, nous les subissons en effet, nous nous les faisons subir. Subir effectivement les choses signifie, non pas qu’elles nous soient infligées, ce qui est notre fausse impression ordinaire, mais simplement que nous nous y soumettons. Et c’est bien nous qui nous nous soumettons ! La façon dont nous réagissons aux aléas de l’existence dépend du degré auquel nous nous y soumettons.
Vous pourriez continuer de dire que vous subissez votre conjoint, votre employeur et même votre maladie, mais comprenez bien que ce que vous êtes alors en train de révéler, c’est que vous vous y soumettez. Peut-être en renâclant, vous lui obéissez d’une manière ou d’une autre. Se soumettre, c’est principalement obéir. La désobéissance ordinaire n’est qu’une vaine tentative de démentir notre soumission. Nous avons besoin, non pas de désobéir, mais de cesser d’obéir, tout comme nous avons besoin, non pas de nous aimer, mais de cesser de nous haïr.
Indiquons au passage que plus forte est notre tendance à la soumission à certaines personnes, plus nous risquons de chercher à en dominer d’autres. Les dominateurs sont d’abord des soumis. Soyez sûr que ceux qui tentent de vous dominer sont dominés. Au lieu de reconnaître notre soumission (éventuelle) à certaines personnes et certaines circonstances, nous conservons notre impression fausse de les subir. Nous déplorons donc ce qui nous est fait, ce qui nous est infligé. Positionnés ainsi, nous ne nous arrêtons pas sur le douloureux rappelé, auquel nous résistons, et nous retrouvons nos attentes, sinon notre état d’attente.
Nous pourrions reconnaître notre impression de subir les autres, sans voir ceux qui pourraient avoir eux aussi l’impression de nous subir. Peut-être subissent-ils nos attentes et d’abord nos réactions ! De la même façon que nous n’allons pas nier un traitement déloyal qui nous est réservé, sous prétexte que l’impression de subir est fausse, nous pouvons être attentifs à ne traiter mal personne. Avec de la bonté, quand vous reconnaissez votre réaction, vous relâchez le « subisseur » ; quand vous reconnaissez vos attentes compensatrices, vous éloignez « l’attendant ». Si nous invoquons la bonté et la bonne volonté d’être libres de toute réaction, nous nous offrons potentiellement un instant immédiat de grande paix.
Ce à quoi nous résistons, que nous avons pourtant besoin de reconnaître et de libérer, se manifestera de plus en plus de façon intense ou même cruelle, parce qu’il est indispensable que nous voyions, que nous nous libérions, que nous nous éveillions. On peut être dans la fuite, dans l’évitement, ce qui est vain, mais on peut aussi être dans le maintien aveugle de ce qui nous lèse, nous blesse, ce qui est donc un auto-traitement néfaste. Dans l’évitement, nous ne faisons pas ce qui pourrait pourtant nous convenir à différents niveaux, et dans le maintien de ce qui nous blesse, nous nous y engouffrons inconsidérément.
Nous employons notre pouvoir, tout notre potentiel de puissance, pour nous faire vivre le pire, aussi bien avec notre impression de subir qu’avec notre état d’attente, ce dernier reposant sur la peur infailliblement créatrice. L’impression de subir est appliquée à l’image de nous-mêmes et nos attentes sont encore à son service. Juste pour une image contrariée, beaucoup ont ou ont eu des velléités suicidaires. Nous vivons des choses en les subissant, en nous y soumettant, sans en être sciemment conscients, et il est de même des attentes que nous ne reconnaîtrions pas d’emblée comme telles.
La seule préoccupation de notre image annonce à la fois des attentes et notre impression de subir. Sans cela, le souci de ce que le monde pense de nous ne pourrait même pas nous effleurer. Nous ne nous accusons nous-mêmes que parce que nous nous attendons à des accusations extérieures, originellement à des « accusations divines ». Nous interprétons ce que les autres pensent ou pourraient penser de nous, ce qui informe de la place que nous laissons à notre égo, nous attirant aussi par ailleurs ce que nous craignons. Dès lors que qui ou quoi que ce soit nous affecte, nous confirmons notre impression de subir. Dès lors que qui ou quoi que ce soit nous touche, nous témoignons d’une ouverture.
Au moyen de notre penser conditionné, nous nous faisons subir du mal-être et nous nous plaçons dans un état d’attente, pour du mal-être encore. Quiconque subit ou attend ne peut pas « être bien ». Or, penser, subir, attendre, réagir, compenser, c’est humain et relativement insignifiant, notre seul et vrai problème est l’absence d’observation, de reconnaissance, de présence à ce qui est. En pleine conscience, aimante, ferions-nous passer au monde un message qui prône le subir et les attentes ? Notre message au monde ou notre « enseignement » est notre état d’esprit : le plein accueil ou la réaction sous une forme ou sous une autre.
Nous subissons nos croyances et habitudes, ce qui donne lieu aussi à des circonstances éprouvantes sans issue. On s’étonnera qu’une épreuve dure une « éternité », à cause du « subir » non reconnu, mais on relèvera moins que chacune de nos attentes dépasse de beaucoup, en termes de durée, le temps de la satisfaction, en fait du soulagement qu’offrent les occasions plutôt rares. L’épreuve âprement déplorée qui n’en finit pas révèle idéalement l’impression persistante de subir. Il est bon et sage, en pleine conscience, de s’inviter à sortir du couple « supérieur/inférieur, maître/esclave, bourreau/victime, infligeur/subisseur ». « Infligeur jusque-là respecté ou consenti, je romps désormais mon engagement, te rends ta liberté, en te sachant sur ton propre chemin. Et je vais poursuivre le mien. »
Quand il nous semble qu’il ne soit plus rien à attendre, épreuve courante, nous retournons ordinairement dans le « subir », alors que nous pourrions surtout nous retrouver, être plus proche de l’espace alors libéré que nous sommes. Seule la vraie et pleine reconnaissance de notre état d’attente et de notre impression de subir a le pouvoir de les désenfler. Quand nous quittons l’attente et/ou même le subir, au lieu de basculer encore de l’un à l’autre, nous pouvons « percevoir comme une petite lueur », un « espace pur » ou une sorte d’appel que nous pourrions suivre alors. Les relations sont bien sûr le terrain fertile des attentes et du « subissement ».
Vivre pleinement un vrai partage à deux requiert que ni l’un ni l’autre ne subisse ou ne banalise l’instant, que les deux soient présents, qu’ils puissent se laisser aller, qu’ils soient sans la moindre attente et au contraire dans l’expression, dans l’appréciation, dans la gratitude. Un vrai partage à deux requiert que chacun ne soit pas soumis à l’autre, ni ne tente de le dominer. Arrivés à un véritable instant heureux, à deux, ne sommes-nous pas portés à une expression ou manifestation joyeuse, comme si cet instant ne pouvait pas passer inaperçu ? C’est la célébration !
Et c’est quand il ne s’agit pas de célébration qu’un accomplissement apparent offre au mieux un gros soulagement. Le soulagement fait suite à l’attente illusoirement satisfaite et la célébration est précédée d’un plein contentement et d’une disponibilité totale. N’avez-vous jamais en conscience fait cette expérience bénie ? Ce qui nous rapproche le plus de notre nature véritable, dans le monde de la forme, c’est notre disposition à la célébration. C’est aussi parce que cette disposition n’est pas honorée, ni même reconnue, que nous avons des attentes. La célébration est associée à l’appréciation, à la gratitude.
Il nous est difficile de célébrer la Vie quand la paix, la joie et l’amour restent voilés. En fait, c’est la Vie elle-même qui est voilée. Être dans la célébration, c’est à la fois être avec la puissance et la plénitude, c’est être vivant, autrement dit hors du subir et de l’attente. Nous avons besoin, non pas seulement d’être soulagés, mais d’être libérés, pleinement épanouis, de pouvoir être comme en célébration, de célébrer la Vie, la Vie que nous sommes, ce à quoi nous nous laissons difficilement aller.
Plus que nous pourrions le croire, il nous arrive d’être en situation de vivre de la célébration, mais nous nous empressons de la limiter d’une manière ou d’une autre, avec un rajout par exemple. « Ça se fête, ça s’arrose », dit-on, et l’on boit un coup ! Il n’y a aucun mal à « boire un coup », mais outre les petits réconforts tout à fait acceptables, reconnaissons que le besoin de réconfort s’explique mal en cas de plein épanouissement ! La joie causerait-elle un petit malaise ? Boire un coup, manger quelque chose, c’est convivial, dira-t-on, mais la convivialité répond au besoin de partage, lequel est déjà comblé en cas de célébration assumée. Dans un instant où le manque ne peut pas être éprouvé, n’y a-t-il pas quelque chose de suspect quand on se précipite pour mêler une substance à un plein contentement ?
Bien sûr, si nous pouvons résister au meilleur, nous pouvons aussi prendre pour le meilleur ce qui ne l’est pas en réalité. À plusieurs reprises, je me suis vu allumer une cigarette à l’instant même où il m’était donné de vivre un moment plaisant, tel que je l’avais espéré. En fait, ce que l’on espère n’est pas ce que le cœur demande. À défaut de ce que l’on ne vit pas, que l’on n’a « jamais » vécu, que l’on ne peut pas reconnaître aisément, on se fabrique un intérêt compensateur. La chose qui sert de compensation n’est pas un problème, n’est donc pas à rejeter, le problème étant le seul aspect compensateur qui n’est pas reconnu comme tel.
L’utilisation du toucher pour COMPENSER la cécité s’est avérée terriblement problématique, chose plutôt inattendue pour un aveugle, en ce sens que j’étais dans le déni du manque sensoriel, ainsi surtout que du manque affectif qu’il rappelait, éprouvé auprès de ma mère… Il m’est arrivé de ressentir nettement, en vivant enfin ce que j’avais tant attendu, compensatoirement : « Oui, et alors ? Oui, et maintenant ? Mais je ne la VOIS toujours pas… ! » Toucher pour compenser la cécité est peu efficace, parole d’un ex-voyant, mais pour peu que l’on s’y abandonne avec tendresse, toucher pour toucher assure un plaisir proche de la vraie joie. Potentiellement, le toucher assure un contact manifeste, plus intime que le regard.
Le vrai regard est lumineux et le vrai toucher est enveloppant. Les deux sont généreux et permettent de recevoir de façon réciproque. Mais ordinairement, le regard et le toucher sont utilisés pour prendre. Le regard peut être touchant, au point même qu’il peut perturber qui ne peut pas recevoir. Un regard intense et lumineux ne laissera pas tout le monde indifférent. Toucher et toucher bien n’est pas chose évidente et quant à se laisser toucher, ce n’est pas forcément plus facile. L’enfant qui a manqué de toucher, n’a pas été touché et n’a pas pu toucher, vivra le toucher avec difficulté. Toucher et se laisser toucher est un « art », sinon un plein abandon. Avec des attentes et l’impression de subir, on ne vit pas le regard ni le toucher de la même façon.
Il y a ce que l’on « subit », ce que l’on croit subir, ce que l’on a l’impression de subir, en fait ce à quoi l’on se soumet, et il y a aussi tout ce que l’on ne vit pas, tout ce qui fera l’objet caché des attentes. Quand vous avez à l’esprit tout ce qu’il vous semble avoir subi, permettez-vous de diriger votre attention sur ce que vous n’avez pas vécu. La perte, l’absence, l’interdit, le manque, la privation ont pu aussi être endurés. Lequel fait votre attente ? Si l’on regarde de près des relations ou des moments relationnels que l’on vit de façon totalement satisfaisante, on peut découvrir ce qui nous a fait tant défaut, ce qui nous tient réellement à cœur, qui ne se trouve généralement pas dans les relations auxquelles on reste accroché.
Si nous ne reconnaissons pas la façon dont nous sommes traités, cela seul peut constituer la cause en nous de ce que nous endurons d’une manière générale. Moins nous reconnaissons la façon relativement « odieuse » dont nous pouvons être traités, le cas échéant, moins nous serons à même d’apprécier la bonté de certains envers nous. Nous pouvons objectivement être traités mal, ce que nous n’avons pas à nier, mais nous ne subissons pas ce que nous croyons subir. Et nous le croyons sans pour autant le formuler, ni même mentalement. L’impression de subir est fausse en ce sens qu’elle prétend que l’on nous a privé de la paix, de la joie, de l’amour, ce qui est totalement impossible.
Il est important et salutaire, non pas de relever de la négativité, ce que l’on fait sans se faire prier, mais de ne pas rester dans le déni de ce qui nous blesse effectivement. On croit subir ce que l’on déplore, qu’on nous l’inflige (1ère douleur). On endure en effet la chose, elle nous fait mal (2ème douleur). On s’y soumet (3ème douleur). On sait que l’on se le fait, en se le reprochant fatalement (4ème douleur). En vain, on attend mieux (5ème douleur). On ne le reconnaît pas forcément, mais être dans l’attente fait mal.
Les relations sont généralement vécues de façon banale, superficielle, parfois violente, et la vraie et grande vulnérabilité de chacun n’est pas toujours considérée. N’ayons pas toujours ou pas seulement à l’esprit la dureté à laquelle nous confronte notre conditionnement, même s’il n’est pas question de la nier, ni de la minimiser, et veillons aussi à ne pas « assassiner » les plus vulnérables, sous prétexte de leurs maladresses éventuelles. En effet, il y a dans notre entourage des gens qui peuvent brusquement et facilement être déstabilisés, être particulièrement sensibles, pour qui nos propos désinvoltes et accusateurs peuvent être reçus comme des coups de poignards.
Il est bien des circonstances où faire preuve de bonté ne nous vient peut-être pas naturellement, mais reconnaissons que nous n’avons aucun mérite à nous montrer bons envers qui nous témoigne lui-même d’une grande bonté. Seul un manque total de bonté pourra faire que l’on transperce inconsidérément la cuirasse de quiconque en le laissant à terre comme un soldat blessé à mort. Plus nous accueillons quiconque avec « Bonté », respect ou considération, de façon sincère, cordiale, moins nous nous attirons de quoi éprouver des attentes et l’impression de subir.
Ce n’est pas en nous montrant cruels que nous viendrons à bout de notre impression parfois inhibitrice de subir, ni de notre état d’attente qui n’est certainement pas dynamisant. Tout le monde n’est pas censé découvrir en soi de la malveillance envers autrui, la cruauté envers soi-même étant un bagage suffisamment pesant. Mieux nous connaissons et comprenons le fonctionnement humain, plus il serait facile de déstabiliser beaucoup de nos semblables, mais heureusement, moins nous sommes enclins à le faire.
Ne serait-il pas facile de terroriser un enfant ou de le culpabiliser ? Ah, il nous arrive de le faire ! Voyons et guérissons alors notre propre peur et notre sentiment de culpabilité, avec bonté, et la bienveillance trouvera place. Si vous deviez vous montrer particulièrement durs envers des enfants, voire simplement insensibles, considérez très attentivement la façon dont vous vous êtes vous-même senti traité en tant qu’enfant. Quelle souffrance une personne ne doit pas contenir en elle pour pouvoir se montrer cruelle envers notamment un enfant ou un animal, en fait envers qui que ce soit !
Si le puissant en nous reste inconnu, le « subisseur » prend le dessus. Si le content en nous reste latent, celui qui règne en maître est l’attendant. Le subisseur et l’attendant maintiennent toute leur attention sur l’extérieur et c’est seulement ainsi qu’ils peuvent continuer de subir et d’attendre. Le subisseur dénonce un infligeur et l’attendant un privateur. Le subisseur déplore ce qu’on lui fait et l’attendant ce que l’on ne lui fait pas… Au lieu de dénoncer encore des infligeurs et des privateurs, nous pouvons découvrir comment ou combien nous sommes notre auto-infligeur et notre auto-privateur. Cette découverte est essentielle.
De façon surtout inconsciente, nous nous sentons coupables d’être intéressés par ce que nous attendons ou nous en avons honte, et nous nous mettons nous-mêmes en situation de ne pas le vivre, ce que nous n’allons pas reconnaître aisément. La conscience de ce qui se joue en nous sera d’autant moins accessible si notre attente envers quelqu’un comprend du donner, l’une de nos attentes pouvant spécifiquement être celle de donner. En général, sommes-nous attentifs à la façon dont est reçu ce que nous tenons à donner ? Tout le monde n’est pas tenu de recevoir ce que nous avons à donner, d’autant moins si nous tenons à le donner à tout prix. Un don « forcé » ne peut pas être bien reçu !
Sinon le « don de l’écoute », on ne se précipitera pas pour donner même un « trésor » à qui est en train de confier sa peine. On ne console pas le chagrin d’un enfant avec des bonbons. Les bonbons peuvent attendre et seront de meilleur goût, une fois le chagrin pleuré. « L’accueil » de ce qui est dit (confié, demandé, évoqué parfois maladroitement) peut être en total décalage par rapport au moment et aux propos tenus. Si un proche vous confie sa peine, parce que sa meilleure amie vient de se suicider, vous ne vous précipitez pas pour lui raconter le suicide de votre père il y a quinze ans. Si quelqu’un vous sollicite et que vous ne pouvez pas lui répondre favorablement, vous n’en profitez pas pour lui faire un reproche que vous aviez éventuellement retenu.
Si vous avez à composer avec l’annonce d’une nouvelle terrifiante, laquelle ne vous laisse « objectivement » aucun espoir, vous retrouvez le subir sans pouvoir vous consoler avec une attente. Pour vous, c’est encore et toujours un revécu ! C’est celui du « subir inhibiteur ». Un jour, ma mère m’annonça que je devais aller en pension, que j’y serais trois mois plus tard. Ce fut « la fin du monde ». Sans rien pouvoir exprimer, je me suis emmuré dans le mental. Ce jour, j’appris brutalement que j’allais être admis, parce que j’étais malvoyant, dans une institution pour aveugles et amblyopes, trois mois plus tard, ce qui me laissa le temps de devenir aveugle et d’être hospitalisé pendant tout un mois.
Nous avons fini par nourrir des attentes, avec l’impression bien ancrée de subir les choses, notamment parce que nous n’avons pas pu nous exprimer, pas pu dire notre malaise, ni nous laisser aller à vivre ce qui était à notre portée. L’état d’attente comprend des croyances inhibitrices : « C’est impossible, c’est mal, je ne le mérite pas, je vais le payer cher, je n’en ai pas le droit… » Or, que l’on soit ou non avec une attente, une croyance de ce genre nous prive du meilleur. On ne se permet pas des choses, on n’ose pas se laisser aller, on craint des conséquences imaginaires…
À ce propos, n’appelons pas « attente » ce qui est un « intérêt mobilisateur » et qui n’est vécu ni dans l’impatience, ni dans le contrôle, et où l’aimer dépasse le vouloir. Le cœur s’est substitué à la tête. Quelle pourrait être la différence entre « subir le mal » et « résister au bon » ? « Nous subissons le mal », c’est faux ! « Nous résistons au bon », c’est vrai ! Il est faux de dire que nous subissons le mal existant, dans le sens où la réaction nous appartient, mais il est vrai que nous le subissons dans le sens où nous nous y soumettons. Quand il n’est pas juste une interprétation, le mal que nous croyons subir est l’effet, non pas d’un pouvoir extérieur, mais de notre seul état de conscience. Ce que nous endurons est ce que nous nous attirons, ce à quoi nous nous attendons, par peur et culpabilité.
Une jeune fille que je tente d’aider me déclare soudainement : « Je me rends compte que je ne suis pas réceptive ». Quelle qualité d’observation ne lui a-t-il pas fallu pour reconnaître cette réalité du moment ! L’aptitude à reconnaître que l’on n’est pas réceptif, par exemple, dénote un détachement momentané de l’impression de subir, une assomption de sa responsabilité. De façon spontanée, évidente, que nous disons-nous (parfois) qui pourrait indiquer que nous ne sommes pas avec le subir ? Quand on se dit, par exemple, « je n’arrête pas de… (tendance relevée), on est forcément dans l’observation, on assume sa responsabilité et l’impression de subir est donc absente.
Nous respectons et apprécions bien des « choses » sans passer par la moindre attente. Nous ne sommes pas heureux aussi sans attente, nous sommes beaucoup plus heureux, nous sommes enfin heureux ! Ne luttons pas contre nos attentes, ni contre notre impression de subir, mais avec bonté, reconnaissons-les comme jamais. Soyons intéressés à reconnaître nos vieux schémas, quels qu’ils soient. Qu’importe le degré de notre « subir » et de notre « attendre », nous le considérons, non pas pour nous fustiger, mais pour nous offrir au besoin une occasion libératrice supplémentaire.
Soyons simplement disposés à recevoir les messages de la vie, ceux qu’elle nous réserve, sans les vouloir, sans rien vouloir, sans aucune attente. N’ayons pas l’idée que nous avons un rôle à jouer, mais sachons que l’Univers s’exprime à travers nous et que nous pouvons cesser d’y faire obstacle. Nous n’avons qu’un rôle à jouer, celui de ne faire obstacle à rien. Nous pouvons faire attention à ne pas entraver le chemin. Ce n’est pas difficile de ne pas poser problème, même quand on se prend pour un problème, puisqu’en l’occurrence, ne pas poser problème, c’est juste cesser de se prendre pour un problème.
Et si nous ne subissions jamais rien ? Et si nous n’avions rien à attendre ? Si nous ne subissions rien, parce que le pouvoir est inhérent à notre nature profonde ? Si nous n’avions rien à attendre, parce que nous sommes la plénitude ? Avec bonté et douceur, nous pouvons simplement aimer l’idée que nous ne subissons rien et que nous n’avons rien à attendre, même si notre réalité psychique raconte une autre histoire. Et si notre seule vieille impression de subir causait ce que nous disons subir ? Et si, par la peur sous-jacente, notre état d’attente causait les manques que nous déplorons ? Si nous acceptons véritablement notre impression de subir et notre état d’attente tels qu’ils perdurent, donc sans les revendiquer ni les justifier, nous sommes sur la bonne voie et nous n’avons rien d’autre à attendre de nous-mêmes.
Nous ne pouvons pas manifester de la bonté sans être aussi dans la douceur, et quand nous sommes dans la douceur, nous allons doucement ! Voyez cela ! Personne ne peut manifester de malveillance en étant libre de l’impression de subir et de toute attente. Quand nous sommes bons ou doux, nous sommes aussi présents, parce que nous ne pouvons pas manifester n’importe quelle qualité du cœur sans être présents. Sans être présent, vous ne pouvez pas être libre, léger, comblé, disponible, bienveillant, dans la gratitude, dans l’appréciation, en paix, en joie, dans l’amour, pleinement épanoui… Ah, vous êtes plus présent que vous ne l’auriez imaginé !
Ici et maintenant, juste pour un bref moment et afin d’en favoriser bien d’autres, afin que telle devienne votre seule réalité, imaginez-vous comme ne pouvant subir absolument rien. Imaginez-vous donc aussi comme n’ayant aucune attente à cultiver, comme étant libre de toute attente. Enfin et en conséquence, imaginez-vous complètement disponible pour accueillir le bon, le beau, le bien qui vous « attendent ». C’est à cela que nous sommes destinés, à cela que nous pouvons cesser de résister. Pourquoi ne vous y disposeriez-vous pas, juste quelques secondes ? Au lieu de « subir » encore le monde et de continuer d’en attendre beaucoup, SENTONS-nous en paix, dans l’amour, puissants et pleinement comblés, épanouis !
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