199 Le subir et ses implications
Comme nous l’avons vu avec les deux chroniques précédentes (possiblement à relire), sans le déplorer sciemment en général, on peut être positionné comme si l’on « subissait » bien des choses, l’existence, tout son conditionnement. On « subit » les choses, à un certain degré, mais qu’est-ce à dire, exactement ? L’une des diverses acceptions de subir, indiquées par le dictionnaire, est « se soumettre volontairement à… (un régime, un traitement, une opération…) ». Bien évidemment, cette seule définition n’aurait suscité aucun de ces textes, à moins qu’on lui retire juste le mot « volontairement » ! Car nous le verrons, « subir plaintivement » est encore se soumettre.
Le « subir » ordinairement déploré, donc plus compromettant ou problématique, comporte des croyances et de la souffrance forcément associée. Ce que l’on croit fait mal ou finit par faire mal. Mais avec ce nouveau texte, on va aller encore plus loin et s’arrêter sur une douleur « inattendue », sur une douleur profonde, toujours en lien avec le « subir ». S’il y a souffrance, c’est qu’il y a douleur, celle-ci étant mentalisée. Même quand elle est physique, la souffrance est toujours de la douleur mentalisée. Jusqu’à sa dissipation, « La douleur est inévitable et la souffrance est facultative », nous dit un proverbe bouddhiste.
Si je subis – crois subir – les exigences ou autres comportements de ma femme (mon mari), je ne peux pas me sentir bien. Certes, je ne me suis pas encore rendu compte que je pourrais me positionner différemment, mais de fait, en l’occurrence, je suis mal (identification). Je suis mal du fait de « me positionner » comme je me positionne, de faire ce que je fais, à savoir subir. Rappelons que « subir » signifie étymologiquement « aller sous ». Et convenons-en, comme se soumettre (se mettre dessous), aller sous (subir) n’a rien de plaisant. Et une fois que je suis soumis (mis dessous), le « subir » a atteint son objectif, malencontreux !
Certes, quand nous disons subir quelqu’un, nous suggérons qu’il nous impose ou nous inflige quelque chose et il n’est pas question de nier que certains s’imposent ou imposent des choses, qu’ils infligent même des choses effroyables. Pourtant, selon notre humeur, notre impression de subir n’est pas toujours la même, sans compter les moments où elle est complètement absente. On n’est pas toujours disposé à se jeter dans la gueule du loup ! La façon de vivre toute circonstance, la subir ou non par exemple, dépend de nous seuls, de ce que nous en faisons, d’abord mentalement. « Ah, j’ai à faire face à cette situation et en plus, comme si ça ne suffisait pas, je choisis de la subir (de m’y soumettre) ! » Vous admettrez probablement que tout le monde ne subit pas les circonstances avec la même intensité, ce qui laisse au moins supposer qu’il est donc bien possible de ne pas les subir du tout.
Nous pouvons dire que nous ne subissons jamais rien, que ce que nous sommes ne peut rien subir. En tant qu’égos, en revanche, nous ne faisons rien d’autre que subir, le monde et d’abord tout notre conditionnement. Et ce que nous subissons, ce sont des charges, des poids, des fardeaux. Et les subir, ce qui veut donc dire que nous « allons sous », n’est qu’un choix, un choix inconscient et malheureux, mais un choix ! Ce choix est malheureux, extrêmement « douloureux », aux effets multiples et dévastateurs.
Et s’il y a « aller sous », il y a ensuite aussi « se retrouver sous ». On finit par arriver là où l’on se rend. Ne serait-ce pas véritablement douloureux que d’être sous une charge, de crouler sous un fardeau ou encore de rester avec l’effet « rouleau compresseur » ? Et comment vivons-nous cela ? On se sent réduit à rien, en miettes, pulvérisé… Oui, c’est un vécu des plus douloureux, donc une vraie douleur !
Nous sommes là (où nous nous sommes rendus), pris par la douleur cuisante que j’appelle le subir ou le subissement inhibiteur et cet éprouvé atroce n’est ordinairement pas reconnu, identifié. Croire que l’on subit son sort fait mal, forcément, mais le « subir inhibiteur » n’a pas besoin de la croyance, une fois qu’il est remis en place ou revisité. Il est alors juste un revécu, un rappel. Ce peut donc être « retrouver une sorte d’abattement, d’atterrement ». Cette expérience douloureuse pourrait renvoyer à l’impression notamment d’être dans un état de choc ou de sidération. On a les ailes coupées, on est complètement anéanti. Ce ressenti est l’effet de la passivité contrainte et totale.
Le ressenti douloureux « subir inhibiteur » n’est pas aisément identifiable, ni ne fait l’objet de palabres, parce que, par définition, il n’incite pas à la déploration, ni à aucune autre expression. Il est littéralement inhibiteur. Dans sa forme paroxysmique, il empêche aussi bien le penser que le mouvement. Pour décrire en consultation ce que chacune n’aurait alors pas pu nommer « subir inhibiteur », une personne me dit « Je me sens écrasée, atterrée » et une autre « Je suis comme sous une chape de plomb ». Rappelons au passage qu’une chape de plomb est un instrument de torture.
Pour entendre que le subir inhibiteur est une douleur à part entière, très spécifique, il faut comprendre qu’il ne comprend pas seulement l’impuissance. Il n’en est pas un synonyme. Il englobe bien sûr l’impuissance, mais il contient également le dénuement, le sentiment d’être démuni, désemparé, tout élan coupé, l’anéantissement, une sorte d’agonie, les affres de la douleur…
En tant que bébés, nous nous sommes sentis abandonnés, dévalorisés, maltraités, rejetés ou trahis, non pas à ce moment-là via l’interprétation, ni via une croyance, mais parce que nous étions bel et bien abandonnés, dévalorisés, maltraités, rejetés et/ou trahis, à quelque degré que ce fût. L’expérience pérennisée était le « poids » sous lequel nous nous trouvions. Nous subissions réellement. Autrement dit, nous avions réellement mal. Subir veut dire aussi « avoir mal ». Comprenez qu’il y avait d’abord le ressenti « abandonné, laissé tout seul », par exemple, cristallisant le syndrome « abandon », doublé ensuite du subir, du subissement, d’une forme d’état infernal.
Devenus adultes, nous avons pu flirter avec ce stade extrêmement douloureux, indépendamment de la spécificité d’un traitement enduré. Si deux personnes d’un même poids vous marchent sur le pied, vous aurez potentiellement la même douleur physique, que l’une soit votre amie et que l’autre soit votre ennemie. Il s’agit de l’effet douloureux qui résulte, non pas d’un traitement particulier, mais seulement de l’intensité de ce traitement : le « subir inhibiteur ». Et du subir inhibiteur croupit toujours en nous, accompagné de toutes les douleurs que nous n’avons pas pu exprimer, qui n’ont jamais trouvé de bras accueillants, invitants, réconfortants. Tôt ou tard, ce douloureux contenu devra être « entendu » et libéré enfin. Pour le raviver, nous n’avons même pas besoin de nous attirer le pire !
Aujourd’hui, pour vous sentir trahi ou dévalorisé, par exemple, vous n’avez absolument pas besoin de l’être réellement. Pour retrouver de la honte ou votre sentiment irrationnel de culpabilité, vous remarquerez encore plus facilement que des pensées adéquates suffisent largement. Et vous pouvez de la même façon sentir à l’occasion de la tristesse que vous ne sauriez pas justifier. Ces vieilles douleurs sont en vous, avec le besoin d’être guéries, libérées, parmi tant d’autres encore bien enfouies. Et quand c’est le « subir inhibiteur » qui remonte à la surface, vous n’avez aucun mot pour l’exprimer. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien que le langage ne le nomme pas directement.
Quelle que soit notre blessure, nous avons enregistré du subir inhibiteur. L’aspect le plus douloureux du traitement enduré en début d’existence est forcément associé à ce qui a donc été infligé et le vécu est ingérable, insoluble, inconcevable. Comment un enfant pourrait-il intégrer conceptuellement que sa douleur la plus cuisante lui est infligée par ceux qui sont censés l’aimer, le protéger ? Et c’est ainsi qu’il cultivera des attentes. Nous restons la proie d’une même attente, surtout celle qui n’est jamais réellement comblée, parce que nous n’avons pas encore reconnue et libérée notre vieille douleur inenvisageable, et l’attente insatisfaite est de ce qui « la rappelle ».
Dans certaines interactions, proportion gardée, on peut surprendre la difficulté à assumer un malaise, une douleur quand l’autre nous l’inflige même involontairement. Il peut nous gêner, prendre trop de place, voire nous faire mal, et nous pouvons hésiter à le lui dire. Il m’est arrivé d’être confronté à cette expérience quand, par exemple, je me suis violemment heurté la tête alors que j’étais guidé par une personne. Et c’est bien autre chose quand le petit enfant aurait a réaliser : « …Et c’est maman qui me fait ça ! »
Jusqu’à dans sa forme extrême, par ailleurs, le subir inhibiteur pourrait se rencontrer lors des pires moments de la crise spirituelle que l’on appelle « La nuit noire de l’âme ». Certains mots des auteurs qui la décrivent rappellent le subir inhibiteur. À différents degrés, cette même douleur profonde resurgit également de façon assez fréquente dans le burnout, la dépression et la crise existentielle. On s’en approche encore quand on a à faire face simultanément à deux gros chocs émotionnels ou plus. Il nous faut parfois prendre beaucoup d’exemples et utiliser un vocabulaire assez large pour tenter de rendre compte de ressentis exceptionnels. Un même mot peut même exprimer des choses opposées.
« Subir » peut signifier « essuyer », quelque chose nous étant alors infligé, ce qui implique donc l’EXTÉRIEUR, mais encore « ressentir » (éprouver âprement), ce qui parle là de l’expérience INTÉRIEURE. Ce même mot évoque donc deux choses complètement différentes. Et le ressenti douloureux « subir inhibiteur » résulte d’un vécu traumatisant, que l’on endure dans une totale passivité, parce qu’il est établi que rien ne puisse être envisagé. On a fini antérieurement par renoncer à tout, on s’est résigné ou l’on s’est soumis.
Le bébé ou le petit enfant endure des moments auxquels il ne peut plus répondre que dans une passivité totale, n’ayant même plus accès aux larmes parfois. Il n’est plus alors que « subissement ». Et, en certaines circonstances éprouvantes, il pourrait finir par avoir des pertes de connaissance, par quitter son corps. Quand on parle de ceux qui sont morts de douleur ou dans la souffrance, le « subir inhibiteur » ne serait-il pas concerné ? On trouve là le syndrome du cœur brisé. La personne qui dit avoir le cœur brisé est anéantie par une grande tristesse, un profond désespoir, causés par un décès, une perte, une rupture (abandon, maltraitance, trahison).
À l’extrême, le subir inhibiteur implique effectivement la rupture d’avec tout et tout le monde (renvoyant à la séparation originelle). Il est l’effet de la paralysie, de la sidération, de l’abandon forcé à la dureté ou l’horreur de l’instant. Or, plus cette vieille douleur est enfouie, refoulée, éventuellement même niée, plus on sera, soit complètement éteint, soumis ou effacé, soit porté à réagir avec véhémence ou même malveillance. Mais ce qui dort finit toujours par se réveiller. Il y a des réveils avec la gueule de bois, mais il y a surtout des réveils que l’on repousse, jusqu’à ce que la vie nous ne laisse plus le choix, pour nous sauver, pour nous guérir, pour nous libérer.
Même quand nous disons subir une circonstance plus ou moins contrariante, nous n’avons pas encore dit ce qu’elle nous fait vivre, la façon dont elle nous affecte : de la peur, une forme de culpabilité, par exemple, ou principalement l’impression terrassante de subir. Subir un abandon ou une trahison, par exemple, peut être l’occasion d’éprouver respectivement la solitude ou la déception, mais ce qui fait mal peut aussi être le seul fait de subir. L’impression profonde et dévastatrice de subir, quoi que ce soit, est rarement au premier-plan, mais elle peut l’être et il s’agit d’une douleur à part entière (jamais reconnue comme telle).
Et quand nous pouvons reconnaître cette douleur, nous n’avons pas ou plus besoin de considérer la chose subie. Quand je me cogne brutalement le front, j’ai besoin de m’occuper de ma blessure et non pas de la porte laissée négligemment ouverte. Si vous grelottez, parce que votre collègue en ébullition a ouvert la fenêtre, quoi que vous pensiez de lui, il reste que vous avez froid. D’ailleurs, vous pourriez bien nier la façon dont vous traite un proche ou un collègue, il peut rester un « subissement douloureux » qui constitue le malaise que vous ne définissez pas. C’est un revécu possible. Pour l’exemple « fenêtre », vous pouvez ou non subir votre collègue « égoïste », vous sentir négligé par lui (premier aspect douloureux possible), mais quoi qu’il en soi, vous avez froid.
Le « subir inhibiteur » découle donc d’un vécu sans pouvoir ni soutien de la prime enfance, voire de la naissance. Cette douleur est ensuite perpétuée de façon bien sûr irrationnelle. Il est parfois la vraie douleur ravivée de l’instant de certains états émotionnels envahissants. La soumission et la résignation n’impliquent pas forcément le « subir inhibiteur », parce que les deux sont d’abord des attitudes réactionnelles. La douleur de votre pied écrasé pourrait vous faire réagir, mais qu’elle le fasse ou non, vous avez mal, terriblement mal, d’autant plus si vous avez un ongle incarné !
Pour vérifier à quel degré le subir inhibiteur pourrait être l’une de vos douleurs profondes, ne comptez pas seulement sur tout ce que vous avez subi (vécu, enduré). Il repose davantage sur ce que vous n’avez pas reconnu. À chaque fois que vous vous rebiffez, par exemple, vous témoignez, non pas d’un subir inhibiteur, mais juste d’une épreuve passagère. Comme déjà dit, le subir inhibiteur exclut forcément toute forme d’expression, d’extériorisation… Nous pourrions bien dénoncer ceci ou cela que « nous subissons », mais nous ne revivons donc pas en l’occurrence le subir inhibiteur. Celui-là laisse sans voix.
Quand on a la tête qui a explosé, que l’on se retrouve en mille morceaux (autre définition du subir inhibiteur), on a bien trop mal pour voir ce qui précède l’expérience, ce qui la cause, pour voir encore « l’infligeur » (réel ou imaginaire) et même pour envisager une solution. Quand ce subir est ainsi brusquement ravivé, notre identification à celui-ci est trop énorme pour avoir le détachement nécessaire à sa reconnaissance pure et simple. Au passage, précisons que l’on ne peut absolument pas être identifié à son corps, ni au « moi séparé », sans éprouver un certain degré de subir inhibiteur, mais en réalité, seul le « moi séparé » le déplore.
C’est ce « moi séparé », donc l’ego, qui est mal, qui est le mal, et c’est une identification inévitable, tout à fait cohérente. L’ego est souffrance, l’ego est la souffrance. Or, l’ego n’est pas ce que nous sommes. Au lieu de « je suis mal », il est plus juste de dire « j’ai mal », parce qu’alors, sans en avoir l’air, on est davantage dans l’observation. Dire ce que l’on a est comme faire un inventaire et tout état descriptif requiert l’observation. Quand on n’est pas dans l’observation, c’est simple, on est dans la réaction (passive ou manifestée) !
C’est toujours par déni d’un ressenti douloureux que l’on réagit comme on réagit et ce ressenti peut être également le subir inhibiteur. Si cette douleur-là ne permet aucune réaction associée, on va cependant tout faire pour ne surtout pas la laisser remonter à notre conscience. Et si vous déplorez spécifiquement la pérennité d’une épreuve, peut-être vous reste-t-il à reconnaître le subir inhibiteur qui se trouve à l’arrière-plan. Nous ne pourrions pas savoir que nous le conservons en nous et nous étonner d’un accès difficile au dépassement, à une solution, à une guérison…
Si vous êtes disposé à vérifier si vous pouvez être vous aussi concerné quelque peu par le subir inhibiteur, un petit « truc » peut être un bon début : essayez de saisir le « je ne peux pas » qui pourrait être vôtre, en termes de ressenti et non pas de non-accomplissement. Percevez bien la différence ! Face à n’importe quelle contrariété déplorée, nous revivons forcément et entre autres un peu du « je ne peux pas », donc du subir inhibiteur rappelé. Reconnaissons-le, tout simplement ! Ne maintenons pas le déni !
Nous pouvons aisément confier ce que nous voulons, ce que nous voudrions, mais nous nous gardons bien de nous avouer que nous ne pouvons pas, en résistant éventuellement au subir inhibiteur. En effet, il nous faut un contexte plutôt favorable pour que nous puissions dire « j’ai peur » ou « je ne peux pas ». Par conséquent, des effets réactionnels possibles du subir inhibiteur refoulé sont entre autres la soumission, le renoncement, la résignation ou la prétention d’un pouvoir, d’une autorité (sur autrui).
En lui-même, le « je ne peux pas » éprouvé est douloureux, déplaisant, mais il peut donc rappeler aussi le subir inhibiteur. Et plus le « je ne peux pas » est en soi éprouvant, plus il laisse soupçonner la douleur contenue. En outre, si l’on endure le « je ne peux pas » alors que toutes les circonstances apparaissent comme favorables, du subir inhibiteur est sans doute à la clé. À l’origine, ce ressenti n’est en rien dû à la résistance, mais il est évident que l’on résistera longtemps à le retrouver en conscience, à le reconnaître, ce qui explique que l’on ne s’en libère pas et que (comme déjà dit) certaines épreuves n’en finissent jamais. La réaction entretient, empire et même attire ce qu’elle dénonce.
On peut dire que nous subissons nos pensées, notre conditionnement non considéré, mais nous subissons très spécifiquement le vieux douloureux dont nous n’avons pas encore pu nous libérer. Et si nous n’y accédons pas aisément, c’est parce que nous avons prioritairement ou même exclusivement à l’esprit ce qui « nous est infligé » et parce que le subir inhibiteur est probablement la douleur à laquelle nous résistons le plus. Plutôt facilement ou sans retenue, nous pouvons dénoncer ce que nous subissons, ce qui nous est infligé, mais jamais, nous nous arrêtons sur notre état de « subisseur », ni sur notre ressenti douloureux « subir inhibiteur ». Et cette négligence dommageable reste simplement fidèle à la façon dont nous nous sommes sentis traités enfants. On se néglige tout comme on s’est senti négligé.
Enfant, vous avez pu être confronté à la privation, par exemple, expérience en soi douloureuse, mais juste en termes de ressenti, vous avez surtout pu la vivre dans un état d’inhibition totale, un « subir » effroyable. Vous avez pu encore déplorer le manque d’attention de l’un et/ou de l’autre de vos parents, mais imaginez, de surcroît, l’avoir vécu avec l’expérience supplémentaire que rien ni personne n’aurait pu y faire quoi que ce fût, l’avoir donc vécu à travers le subir inhibiteur ! Et, pour prendre un exemple de plus, si c’est une tristesse chronique ou récurrente que vous vivez dans l’incompréhension, vérifiez si elle ne pourrait pas être surtout accompagnée d’une impression de néant, voire d’enfer éternel.
Un deuil mal vécu ou non accepté peut être l’occasion de revisiter son sentiment douloureux « subir inhibiteur ». Un tel vécu s’y prête idéalement ! Dans le deuil, on subit une mort, peut-on dire, mais en général, la vraie douleur est, non pas le subir inhibiteur, mais par exemple la perte, le chagrin, la solitude ou sinon la culpabilité. Et quand on déplore un deuil avec le sentiment d’injustice, on est (directement) animé par l’impression de subir, même si l’on pourrait par ailleurs nier cette dernière.
Toute douleur qui remonte peut, soit être assumée et donc libérée (ici non pas subie), soit juste attiser la souffrance chronique, rappeler le subir inhibiteur. Quand nous restons avec une douleur, avec le moindre malaise, rappelons-nous de vérifier si c’est la tête qui le « gère » ou le cœur qui l’accueille. La tête le « maudit » et le cœur le bénit. Et envisageons tout cela avec bonté, avec beaucoup de douceur : la reconnaissance de notre douleur « subir inhibiteur » est très délicate, subtile, parce que, comme déjà dit, c’est à la base un vécu sans mots, sans compréhension, sans initiative envisageable et sans le moindre soutien, mais un vécu qui arrache le cœur…
Il m’est arrivé de retenir des demandes, parfois des refus, même très légitimes, pour ne pas risquer de mettre l’autre dans un « vécu subissant », avec la douleur du « subir ». Même inconsciemment, nous voulons aussi épargner autrui notre vieux vécu douloureux… Je n’aurais jamais laissé subir un enfant de ce que j’ai vécu ou bien j’ai été malheureux, voire me suis senti coupable, quand (trop jeune) je n’ai pas pu intervenir. Vous pouvez avoir de tels vécus et souvenirs, savoir comme moi qu’existent aussi des tourmenteurs qui n’ont pas ce genre d’état d’âme. Il est peu probable que les tyrans se soient véritablement sentis aimés par leurs parents, qu’ils aient l’expérience d’être touchés par leurs semblables. Qu’ils soient en paix, touchés par la grâce !
Rappelez-vous bien et toujours le lien très étroit entre le subir inhibiteur et une circonstance terrifiante qui n’en finit « jamais », avec l’accumulation d’épreuves consécutives. Toute proportion gardée, une situation où « rien ne marche » peut rappeler la douleur qu’est le subir inhibiteur, en susciter un aperçu. Cette douleur est donc distincte de celle par exemple du manque ou de la privation. Ainsi, le rappel « ça ne marche pas » peut être un revécu réactionnel (de la déploration) aussi bien qu’être une douleur, celle du subir inhibiteur, dépendamment de son intensité. C’est toujours pour éviter du douloureux que l’on tombe ou reste dans la réaction.
En général, on ne fait pas vraiment la différence entre ce que l’on pense, ce que l’on croit, voire la façon dont on fonctionne, et ce que l’on ressent, ce que l’on éprouve vraiment. Par exemple, la croyance en l’injustice est celle de qui se vit en victime, mais elle n’accompagne pas forcément le subir inhibiteur. Dans le sens d’être victime, de se poser en victime, l’impression de subir implique une croyance, une accusation, du penser, mais il existe aussi l’expérience « subir inhibiteur », et c’est alors une douleur. En général, quand le « subir » est évoqué, soit vous vient de la déploration, voire une accusation, soit vous voyez l’une de vos croyances, en ignorant encore qu’il peut aussi s’agir d’une douleur, laquelle est alors innommable (dans les deux sens du terme).
Nous ignorons longtemps le subir inhibiteur qui peut couver en nous-mêmes, plus encore que notre éventuelle profonde honte. Néanmoins, cette dernière est en elle-même inhibitrice et elle peut contribuer à raviver le subir inhibiteur. Elle le nourrit, tout comme le sentiment irrationnel de culpabilité. Honte et culpabilité ne causent pas le subir inhibiteur, mais elles peuvent en découler et l’avoir encapsulé en nous-mêmes pour longtemps. Ainsi, les reconnaître, les libérer, peu à peu, aura aussi pour effet de résorber le subir inhibiteur.
Dans nos relations intimes et amicales, le subir inhibiteur peut être attisé par le non-pouvoir et un non-partage, par un élan de vie interrompu. Quand nous vivons et apprécions un vrai partage, nous ne sommes plus avec l’impression de subir et encore moins avec le subir inhibiteur. Rappelez-vous un tel partage et permettez-vous de sentir l’effet intérieur, ou avec ou sans l’impression de subir. Le ressenti douloureux « subir inhibiteur » est maintenu, parce qu’il est à la fois le rappel d’un traitement enduré et le même traitement désormais auto-infligé. On se traite comme on s’est senti traité. Seule notre propre responsabilité est en cause et c’est une bonne nouvelle : le pouvoir de la transformation est entre nos mains, en fait dans notre cœur.
Si vous avez du mal à exprimer ce que vous ressentez, ici et maintenant, peut-être ne concevrez-vous pas que vous gardez en vous de vieilles douleurs (solitude, colère, haine, culpabilité, honte…), celles qui ne sont pourtant pas si loin quand tout semble aller très mal. Et l’intensité de nos douleurs profondes renvoie proportionnellement à notre impression de séparation d’avec notre source, d’avec notre nature véritable. On peut donc associer le subir inhibiteur – douleur profonde s’il en est – à cette impression atavique de séparation, même si des vécus spécifiques de la prime enfance le cristallisent (blessures particulières).
Si vous pouvez vous remémorer des expériences de séparation, d’autant plus les pires moments qui les ont accompagnées, peut-être pourrez-vous aussi y repérer le désespoir et l’anéantissement qui vous laissèrent alors complètement démuni, impuissant, désemparé, dans une inhibition totale. L’origine du subir inhibiteur est l’effet imaginable du non-vécu de l’unité, de l’unité perdue, de l’unité abandonnée. La douleur peut être encore plus atroce si l’on devient conscient qu’elle est l’effet d’un choix personnel et donc malheureux. C’est un choix que nous répétons quand nous rompons, partons, jugeons, accusons, condamnons… Et l’effet essentiel est une amplification du sentiment de culpabilité.
Quand nous sommes disposés à « voir clair », à reconnaître nos vieux schémas, à les accueillir pleinement, nous avons déjà entamé notre vieille impression de subir l’existence. Le plein accueil est une forme de « vraie prière ». En nous rapprochant de notre ressenti douloureux « subir inhibiteur », rappelons-nous bientôt d’évoquer la paix et l’amour, l’innocence et l’insouciance puissante. Et face au subir inhibiteur ravivé, là où vous seriez avisé de ressentir « je peux », ressentez aussi ou surtout « j’aime ». Puisse cela devenir votre auto-invitation !
Quand vous vivez des instants de grande paix intérieure, où vous vous sentez vraiment dans l’amour, voire dans la joie, la grâce vous permet alors d’être sans la mémoire du douloureux et surtout du « subir inhibiteur ». Vous êtes aussi le pouvoir, la Puissance et la lumière. Nous ne nous serons jamais mieux traités qu’en nous rappelant la paix, la joie et l’amour. Faisons-le encore face à ce qui apparaît comme adversité (sans rien nier pour autant). Bien réel, notre pouvoir de guérison s’appelle bonté, douceur, amour.
Une façon de résorber son vieux ressenti douloureux « subir inhibiteur », outre son plein accueil (après l’avoir reconnu), consiste à reconnaître et ressentir la puissance intérieure, le « je peux », pour peu qu’il soit effectivement ressenti et non pas revendiqué. Le contraire du ressenti « subir inhibiteur » peut s’appeler « l’insouciance puissante ». Évoquons les deux alternativement, juste pour se familiariser avec leur réalité distincte. Quand Un cours en miracles nous invite à nous en remettre à l’Esprit-Saint, au sauveur intérieur, il ne fait que nous renvoyer à l’Insouciant Puissant qui demeure en nous de toute éternité. Il est notre nature profonde. (À suivre).
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