La honte (et plus)
Je suis désolé (honteux ?) d’avoir consacré peu de temps à la rédaction de ce premier texte sur la honte, thème sur lequel tant peut être dit, parce qu’il mérite vraiment une attention toute particulière (je m’y suis pris un peu tardivement). Je ne doute pas cependant, pour peu que le sujet vous intéresse, que vous puissiez y trouver de quoi être interpellé et inspiré. Et nous serons vraisemblablement amenés à y revenir régulièrement…
– Étant l’un des synonymes de la honte, la gêne est aussi un instrument de torture, provenant d’ailleurs de son étymologie. C’est faire ici allusion à l’impact de la honte éprouvée et une mémoire associée qui peut parler de malédiction ou déchéance humaine dégradante.
– La honte se fait aussi éprouver en cas de « retour vers autrui », lors d’une nouvelle tentative d’expression : « Le fils prodigue avait honte de retourner chez son père, parce qu’il pensait l’avoir blessé », dit Un cours en miracles.
« Nous sommes tous conditionnés, nous avons tous une blessure principale et nous pouvons être plus ou moins concernés par les autres blessures ». C’est le rappel d’une réalité qui ne retient pas la moindre attention pour la plupart des gens, ceux qui sont inscrits dans leur conditionnement de façon la plus prononcée et qui leur cause tant de « souffrance » ou de contrariétés. Et même beaucoup de ceux qui ont pu clairement identifier leur blessure principale, l’oublient en général très vite. Et pourtant, en tenant le plus grand compte de ses blessures, on se dispose à se libérer de plus en plus de l’encombrant émotionnel, du douloureux longtemps dédaigné, et l’on découvre ses réelles aspirations que l’on peut suivre enfin…
Le problème essentiel de l’être humain, qu’il ignore bien entendu, est que seules la réaction et la compensation le mobilisent dans toute sa vie. Soit on réagit à ce qui est, quoi que ce soit, soit on se perd dans des intérêts compensateurs, autrement dit illusoires et éphémères. Dans les deux cas, on se retrouve sans cesse face à ce que l’on déplore, parfois de façon plus éprouvante, prêt alors à repartir pour une nouvelle crise réactionnelle ou pour s’adonner à une nouvelle compensation. C’est un cercle vicieux, très vicieux. Ce serait déjà magnifique de se permettre de reconnaître cette réalité collectivement partagée.
Explorez les dernières heures que vous venez de vivre, puis les derniers jours, et reconnaissez (le cas échéant) que vous n’avez rien fait d’autre que réagir et compenser. Vous pourriez même ignorer ce que ces mots veulent dire, ce qu’ils pointent comme étant « pour vous » la seule réalité possible, et ne jamais vous ouvrir à une réalité plus féconde, plus épanouissante. Quand on n’est plus dans la réaction, ni dans la compensation, on est par exemple dans l’appréciation, à l’écoute de son cœur, de ses élans, à même de suivre ces derniers et de manifester des conditions de vie totalement différentes… Quoi qu’il en soit, l’état de conscience est alors d’un tout autre niveau !
En bref, nous frustrons en permanence nos vrais besoins ; nous résistons à la peur ; nous nous traitons mal, très mal, conscients seulement de ne surtout pas vouloir être traités ainsi par les autres (ce qui ne manque évidemment pas d’arriver… Si vous vouliez savoir comment vous vous traitez vous-même, il vous suffirait d’identifier la façon dont vous ne voulez surtout pas être traité par autrui, eh oui ! Parfois, la façon dont vous ne voulez surtout pas être traité est aussi celle dont vous traitez les autres, eh oui ! Ne blêmissez pas, c’est le fonctionnement humain très banal. Le reconnaître est déjà en sortir, fort peu s’y disposent ! C’est pourtant « souvent très simple » : surmonter une épreuve, c’est la reconnaître purement et simplement.
Mon livre, « Le regard qui transforme » donne largement de quoi identifier son propre conditionnement et bien plus encore. Ici, pour cette chronique, je veux m’arrêter un moment sur un phénomène spécifique qui est de ce qui retient somme toute peu d’attention, celui de la honte ! On va préciser les choses, mais on peut l’associer à la « culpabilité » qui, elle aussi, ne semble pas faire couler beaucoup d’encre quant à son aspect essentiel. J’évoque ici le sentiment irrationnel de culpabilité et non pas l’un de ses effets, la culpabilité qui résulte d’actes répréhensibles, que l’on en soit victime ou l’auteur. Soyez sûr que tout acte ou comportement coupable repose sur le sentiment irrationnel de culpabilité.
Émanant de l’idée saugrenue de séparation d’avec notre Source, un conditionnement familial, transgénérationnel, atavique, collectif, mémoriel a placé et laissé en nous des impressions amères de honte et/ou de culpabilité qui, de façon spécifique, conditionnent toute notre existence (via notre blessure principale et les autres). Hormis des praticiens et des enseignants plus conscients, plus « éveillés », sans doute de plus en plus nombreux, il semble que l’on ne s’intéresse au mieux qu’aux premiers effets, même profonds, de cette double réalité ancestrale (honte et culpabilité) qui impacte tout le monde de façon incroyable. Personne n’y échappe, n’a pu y échapper ! Et on le « nie », l’ignore ou hausse les épaules… !
La honte et la culpabilité peuvent se confondre, parce que l’une appelle l’autre, parfois, toutes deux étant douloureuses, complètement refoulées quant à leur aspect précisément le plus néfaste. « Intéressant » en lui-même, leur aspect connu, éprouvé, est insignifiant par rapport à leur réalité viscérale. Vous êtes malheureux, quand vous êtes malheureux, vous ne vous réalisez pas vraiment vous-même, quand c’est le cas, juste parce que croupissent en vous de la honte et/ou un sentiment irrationnel de culpabilité. Inconsciemment et à tort, vous avez honte et/ou vous vous sentez coupable ! Si vous préférez, vous restez positionné comme si vous l’étiez. Vous l’ignorez, vous en ignorez les effets, mais vous les « subissez » !
La honte est généralement évoquée comme un déshonneur, comme l’effet enduré par une personne à partir de son jugement sur une autre : il fait le déshonneur de la famille, de l’entreprise, du pays… Or, la honte est d’abord et surtout un ressenti des plus douloureux, éprouvé précisément par qui est vécu comme notamment « déshonorant ». La personne qui en déclare une autre comme déshonorante ne sait pas qu’elle-même est directement concernée par la honte et au lieu de s’en rendre compte et de « s’en occuper », elle contribue à la propagation de la honte autour d’elle. Si l’on ne contribue pas à laisser être l’amour autour de soi, dans le monde, que fait-on d’autre ?
– On déclare que le monde est « sale », recherchant partout à voir le « sale » et, par voie de conséquence, on émet surtout du « sale » ! On crée la prolifération de ce qui retient le plus d’attention.
– On voit dehors ce que l’on ne veut pas voir en soi, parce que c’est « trop douloureux », parce que l’on a bien trop honte ou se sent bien trop coupable…
– Par habitude et aveuglément, on préfère compenser et réagir, compenser pour ne plus réagir et réagir encore, parce que la compensation est toujours vaine, frustrante.
Tout en restant irrationnelles, la honte et la culpabilité peuvent toutes deux être profondes ou superficielles. Profondes, elles sont niées ou au moins ignorées ; superficielles, elles sont « conscientes », surtout déplorées sciemment. Et bien entendu, la façon dont nous les vivons dépend de notre seul conditionnement, de notre blessure principale. Dire que nous sommes tous concernés par la honte et par la culpabilité, c’est surtout dire que nous sommes concernés par toutes les blessures, à un niveau ou à un autre. Or, notre blessure principale peut nous éclairer très utilement.
Il suffit d’écouter un moment un abandonné qui se confie (enfin) pour entendre assez vite qu’il s’en veut beaucoup, qu’il s’accuse donc, qui est lui concerné par une culpabilité superficielle. De la même façon, le dévalorisé témoigne à tout bout de champ de sa honte superficiel, se mettant par exemple en situation d’être moqué, parfois ridiculisé. D’autre part, la culpabilité du rejeté est si profonde qu’il pourrait prétendre ne jamais se sentir coupable de quoi que ce soit. Et la honte profonde est pour le trahi dont on sait qu’il se replie sur lui-même, qu’il se cache donc, posture dictée par la profonde honte elle-même.
Le maltraité type est concerné par les quatre autres blessures et donc par la honte et la culpabilité, profondes et superficielles. Ces éléments vous parlent d’autant mieux si vous avez identifié votre blessure principale, peut-être une ou deux blessures secondaires. Rappelez-vous que les éléments que j’apporte, éléments censés vous parler, sont souvent accentués pour faciliter la distinction. Or, pour vous-même ou d’autres que vous connaissez bien, s’il s’agit d’une blessure principale type, vous pourriez noter, au bout du compte, que ces éléments ne sont pas exagérés.
Maintenant, quel effet produit sur vous la seule idée que vous êtes ou seriez d’essence « divine », de nature aimante et au potentiel illimité ? C’est bien ce que vous êtes ! Or, l’impression viscérale, insoupçonnée, de séparation vous garde à bonne distance de cette réalité profonde, essentielle. Quel effet produit sur vous l’idée que se trouve « en vous » la solution à n’importe lequel de vos problèmes ? En considérant cette seule idée, que se passe-t-il en vous ? Admettons que vous soyez plein de peur, de honte et/ou de culpabilité, pensez-vous que vous allez aisément concevoir votre réalité divine et votre potentiel illimité ?
Oui, vous êtes de nature parfaite et illimitée. Oui, vous vous sentez bien trop honteux et/ou coupable pour l’entendre, pour l’envisager réellement, pleinement ! Plus on reste identifié à son vieux conditionnement, fait notamment de la honte et/ou de la culpabilité, moins on peut manifester sa vérité profonde, inébranlable, ni même l’envisager. Alors, de temps en temps, ne pourrions-nous pas un peu reconsidérer les choses, nous intéresser à ce qu’est et pourrait être notre fonctionnement (humain) ordinaire ? Avouons-le, nous accordons beaucoup d’importance à beaucoup de banalités et nous dédaignons le plus essentiel, le plus précieux : nous-mêmes, notre réalité quotidienne !
Très invalidante, la honte embrouille les liens sociaux, soit qu’elle cause un évitement de ceux-ci, soit qu’ils soient envisagés pour un investissement personnel et plutôt maladroit (faire du démenti et/ou vivre du plaisir compensateur). En lui-même, l’embrouillement des idées est une gêne, un embarras, une confusion, un manque de clarté, et témoigne en conséquence de la honte qui n’est juste pas nommée en l’occurrence. S’il vous est déjà arrivé de reconnaître de la honte en vous, il est peu probable que vous en ayez perçu ou même soupçonné toute son ampleur, sa réalité sous-jacente.
Quand on se dit gêné, confus, embarrassé, impuissant, même démuni, on évoque sa honte sans le savoir, sans le reconnaître. La libération émotionnelle devrait aussi ou surtout passer par la reconnaissance de sa honte (éventuelle) car elle est l’un des plus gros obstacles à l’épanouissement existentiel. Il n’y a pas de honte à être concerné par la honte, ni par quoi que ce soit d’autre ! Par ailleurs, comme il est « censé » ne pas avoir peur, un homme confiera difficilement la sienne et c’est alors la honte qui le dominera, qu’il ne pourra pas davantage regarder en face. Si l’on peut avoir honte de n’importe quel ressenti, aussi bien positif que négatif, on aura d’autant plus honte du ressenti « honte » lui-même, d’où une difficulté plus particulière à l’identifier.
– Ce à quoi nous résistons se recouvre d’un voile épais, mais ce voile provoque l’aggravation de tout ce à quoi nous résistons !
Alors que tout le monde est concerné par un sentiment profond de culpabilité, qu’il le reconnaisse ou non, tout le monde n’est pas forcément concerné par la honte, sinon pas au même niveau, ni avec la même intensité. Très souvent, quand on parle de culpabilité, la honte y est incluse ou celle-ci peut même être quasiment seule concernée, mais elle est alors, en effet, difficile à identifier. Si l’on est « coupable », se sent coupable, si l’on est alors vu comme étant coupable, il ne devrait pas être très difficile d’imaginer que l’on puisse en éprouver de la honte.
En tant que ressenti, la honte est l’effet, soit du déshonneur, de la moquerie, de l’humiliation, soit du mépris, de la calomnie, de la « condamnation ». Elle émane de vécus, de revécus, de la peur du revécu ou du souvenir d’un vécu… Elle est souvent nommée par les mots « malaise, gêne, trouble, peur, confusion, embarras, pudeur, impuissance, timidité, indignité, contenance perdue… ». Ces mots peuvent renvoyer à d’autres ressentis douloureux, mais ils sont souvent utilisés en référence à une honte qui n’est pas reconnue…
Selon leur conditionnement (blessures), certains peuvent être repris par leur sentiment de honte quand il s’agit de manifester leur intérêt ou quand celui-ci est simplement visible. Il est une honte qui peut susciter des commentaires, voire attendrir, et il en est une autre qui est bien trop cachée pour qu’on la relève. La première est « superficielle », saute aux yeux, et la seconde secrète, profonde, viscérale.
J’appelle « honte superficielle », sans préjuger de la douleur associée, celle qui n’empêche pas les expositions, les confrontations publiques, mais qui génère les gaucheries, le manque de tact et surtout la peur de ne pas être à la hauteur. Par sa maladresse ou son étourderie, le honteux superficiel se met lui-même en situation de provoquer sa honte, d’être plus ou moins moqué par son entourage. C’est aussi un gaffeur, à son détriment ! À l’inverse du honteux profond (ci-après), le honteux superficiel est conscient de sa honte, mais elle le surprend plus qu’il ne l’anticipe.
J’appelle « honte profonde » celle qui aboutit au retrait, au repli sur soi, à l’isolement, et qui n’est pas reconnue par celui qui l’endure. Il se cache du monde et se cache sa douleur, la nie. Le profond honteux est conditionné de telle sorte à s’éviter toute circonstance provocatrice, autant qu’il le peut, mais son malaise est permanent. Sa honte est identificatoire. Le honteux superficiel a peur d’être moqué, rabaissé, se fait moquer souvent, et le honteux profond d’être littéralement honni, ce qui ne lui arrive pas en réalité, seule une vieille mémoire maintenant la souffrance dont il fait son identité, son « enfer ».
Quand on s’intéresse à la honte, on est parfois dans la confusion (pléonasme), parce qu’elle est, soit profonde, soit superficielle, d’intensité variable dans les deux cas, et que deux blessures distinctes sont en cause (l’une ou l’autre). On est forcément confus quand on aborde la honte, parce que la confusion est aussi la honte, sinon un effet de la honte. Et l’on a honte quand on se sent confus ! Comme pour toute émotion, on note des intensités variables de la honte, mais cela s’applique aussi bien à la honte profonde qu’à la honte superficielle. L’intensité n’est donc pas ce qui les définit. Elles sont si différentes qu’elles pourraient être nommées différemment, mais les qualifier ainsi est une « clarification suffisante ».
Il est bien des « honteux » que l’on ne soupçonne pas (trahis) et d’autres que personne ne peut ignorer (dévalorisés). C’est par ses aspects les plus prenants que la honte impacte spécifiquement les deux blessures que sont la trahison et la dévalorisation. La honte profonde implique la blessure de trahison, la honte superficielle la blessure de dévalorisation, tout un chacun pouvant avoir en lui un peu de ces deux blessures, certains étant à la fois « trahis » et « dévalorisés ».
– L’une des difficultés à reconnaître sa honte est qu’elle est forcément fausse, infondée. Apparaissant justifiée, elle est davantage de la culpabilité.
– Honte et culpabilité s’entremêlent quand on s’identifie à partir de ses actes que l’on perçoit comme répréhensibles. On pourrait dire alors que l’on a honte d’être coupable.
– On endure comme vexations certaines circonstances, juste parce que ces dernières rappellent la honte en soi à laquelle on résiste.
– Qu’il s’agisse de la honte ou de toute autre émotion, pour lui redonner vie, on démarre mentalement au quart de tour, dès lors qu’une circonstance s’y prête, même si l’on est le plus souvent dans l’interprétation.
Si vous avez clairement identifié votre blessure principale comme étant le rejet ou l’abandon et que vous flirtez à l’occasion avec de la honte, c’est que vous avez aussi à composer avec la trahison et/ou plus sûrement avec la dévalorisation. Par ailleurs, il est tout à fait compréhensible et inévitable que le maltraité éprouve la honte, parce qu’il est « logiquement » concerné par les quatre autres blessures (ce qui suffit en soi à constituer le syndrome « maltraitance »).
L’abandonné compose autant avec la honte (devenant alors timidité) qu’avec la culpabilité (se muant en altruisme), et l’on comprend bien que l’abandon ne soit pas valorisant et cause de la déception (trahison). Le rejeté type semble avoir le moins accès à la honte, avoir toute honte bue, pour avoir trop supporté de vexations, ou avoir trop commis de mensonges et autres méfaits. En fait, son impudeur éventuelle ou même son impudence révèle sa propre honte. Plus un individu évacue toute possibilité de s’arrêter sur sa honte et sa culpabilité, plus il adopte des attitudes destructrices et autodestructrices. En d’autres termes, nous gagnons beaucoup à considérer notre propre honte, indépendamment de notre blessure (si nous l’avons identifiée).
Le dévalorisé expose sa honte, par naïveté ou manque de circonspection, et le trahi la cache, du fait d’une identification paroxysmique. Le premier est extraverti, le second introverti. Les deux restent dans une forme d’ignorance. Le trahi a fini par nier (ou tenter de nier) sa honte, parce qu’en réalité, elle ne le quitte jamais, toute son existence étant remise en cause d’instant en instant. Quand ce sont quelques kilos qui causent notre honte, nous pouvons les perdre, pouvant aussi nous améliorer à divers niveaux, mais quand c’est notre petite taille, notre couleur de peau ou notre handicap physique, le déni devient la « solution ».
S’il est exceptionnel pour beaucoup de reconnaître leur sentiment irrationnel de culpabilité, il est plus rare encore d’avoir un accès conscient à sa profonde honte. La profonde honte a mis en place des œillères, quand elle n’a pas « complètement voilé la face ». On peut la soupçonner si l’on éprouve souvent la déception. « Le décevoir dit aussi le voir défait (langue des oiseaux) ». La honte brise le regard. Si vous avez l’impression générale que l’on vous évite (du regard par exemple), si l’on vous laisse régulièrement sans nouvelles, sans explications, si rien ne vous est « jamais » dit directement, vous pourriez être porteur d’une profonde honte. Il semble difficile d’endurer constamment l’évitement d’autrui sans mettre en question notre réalité existentielle et c’est alors la honte qui en résulte.
Le cynisme ou l’orgueil a pour effet CERTAIN de renforcer son sentiment ignoré de honte et/ou de culpabilité et d’attirer l’adversité. Mirabeau a écrit : « Un faux brave n’a que le courage de la honte, il se bat parce qu’il n’ose pas s’enfuir ». Comme l’ironie ou même l’humour en général, l’intellectualisme (outré, mis en avant) recèle de la honte, bien cachée en effet. L’humour qui tend à se moquer de soi-même ou à faire une victime (ironie) est toujours une projection de honte. L’ironie peut sembler tout à fait appropriée, sans quoi elle n’amuserait personne, mais quand elle est systématique, appropriée ou non, elle révèle surtout la honte de son auteur.
Si vous ne soupçonnez pas une once de honte en vous, vérifiez ce qu’il en est en ayant à l’esprit les circonstances qui vous mettent le plus mal à l’aise. Quand on se sent mal à l’aise, alors que le corps n’est pas concerné au premier chef, on flirte de très près avec la honte. Ajoutons au passage, puisqu’elle cause des blocages, que la honte peut aussi affecter le corps. Pouvez-vous ouvertement et naturellement vivre vos goûts les plus chers, vos préférences, affirmer vos refus, vos demandes d’importance, vos opinions à contrecourant ? Sans quoi, la profonde honte est aussi la vôtre ! S’il vous faut vous « cacher » pour vous faire plaisir, voire vivre de l’intimité, donc éviter les regards, c’est une histoire de honte qui vous anime.
La honte et le sentiment irrationnel de culpabilité imprègnent tous les blessés, nous l’avons dit, mais le trahi et le dévalorisé sont davantage marqués par la honte, comme le rejeté et l’abandonné sont davantage marqués par la culpabilité. Consciemment et à tort, l’abandonné s’accuse autant que le dévalorisé connaît sa honte ; tout en les maintenant inconsciemment et à tort, le rejeté évacue son sentiment de culpabilité autant que le trahi recouvre sa honte d’un voile pudique, lequel est une forme de déni.
Le honteux superficiel conscientise sa honte, s’en libérant par-là même peu à peu, en relevant ce qui est auto-dévalorisant dans ses pensées, paroles et actions. Il n’a pas fini ! Par ses notions de bien et de mal, par sa honte à ne pas « toujours » les honorer, il s’inflige une existence de mal-être persistant et de grosses frustrations. Il ne peut pas maintenir en lui l’idée obsédante de l’interdit sans croiser sa honte à tout bout de champ, d’autant plus qu’il lui faut braver cet interdit en permanence. Il évolue avec une image de lui-même complètement fausse, très généralement démentie par son entourage, et cela fait le drame qu’il tarde à dépasser.
Le profond honteux a du mal à reconnaître sa honte viscérale puisqu’il est positionné de telle sorte à ne pas l’éprouver, il est en retrait. Il se cache ! Il lui faut retirer son « voile pudique », sortir du déni et de sa tour d’ivoire, reconnaître qu’il s’est souvent (toujours) senti méprisé, qu’il fut confronté aux privations, surtout « publiques », qu’il en a conçu une honte abyssale et que, longtemps, trop longtemps, rien n’est venu démentir son non-droit personnel à l’existence… On ne peut pas être publiquement privé sans se sentir simultanément honni, recouvert de honte ! Forcément difficile à identifier, la profonde honte est « niée » du seul fait qu’elle est devenue le « moi pensant » lui-même : relâcher cette honte, c’est littéralement « abandonner le moi pensant, historique ».
Quand il s’agit de nudité ou de sexualité, où il faut (faudrait) se montrer, la pudeur n’est rien d’autre que la honte (généralement profonde) qui est autrement niée, cachée. La sexualité n’est qu’un catalyseur extraordinaire de nos vieux schémas conditionnés, la honte via la pudeur, par exemple, y trouvant une place de prédilection. En effet, la sexualité est un domaine privilégié où rencontrer assurément sa honte, profonde ou superficielle, mais le manque d’argent ou simplement de pouvoir lui laisse également une place de choix.
S’agissant de la pudeur et donc de la honte, la sexualité après la puberté revisite beaucoup de ce qui a été vécu autour de la « propreté » du petit enfant. Étroitement liées, sexualité et propreté ne sont toujours que des vecteurs privilégiés. Tout le monde est passé par l’apprentissage de la « propreté », par la découverte de son corps, et la façon dont cela fut vécu a reflété un contexte général indépendant de la nudité. On n’est pas devenu « honteux », parce que l’apprentissage de la propreté s’est mal passé, par exemple, mais il « s’est mal passé, parce que l’on était inscrit dans une mémoire de honte (de déshonneur public ou de condamnation).
Pour m’y être arrêté sur une période prolongée, j’ai de la matière pour faire de la honte un « gros livre » et je n’en ai présenté ici que quelques allusions potentiellement évocatrices. S’il y a demande, intérêt, nous pourrons y revenir, sachant en outre que toutes les questions reçoivent toujours des réponses. Terminons pour l’heure avec une série d’énoncés extraits (rapidement) de ma boîte à idées (qui en compte plus de 1500 sur le sujet).
– Pour être éprouvée, toute forme de honte a besoin au moins d’un tiers ou de regards multiples, même si l’on peut encore redouter un regard censeur alors que l’on est seul.
– Les enfants bâtards, illégitimes, handicapés, de couleur, surdoués (à part d’une manière ou d’une autre), risquent fort d’avoir à dépasser une histoire de honte.
– Il n’y a pas d’intérêt à maintenir son attention sur les circonstances extérieures qui nous reconfrontent à la honte, par exemple, car c’est cette seule honte qui réclame notre « attention libératrice ».
– Si vous pouvez avoir accès à l’ambiance « honte » ou « culpabilité » par exemple, qui demeure en vous, sans rien en penser, vous vivez une libération.
– On peut dire que la prison dans laquelle nous pouvons parfois avoir l’impression d’être enfermés est constituée de « murs de la honte » puisque ses murs disent la honte qui en a bâti bien d’autres.
– « Pleurez », non pas parce que l’on vous fait honte, vous humilie, ni abuse de vous, ni vous paie d’ingratitude, par exemple, mais parce que vous ne vous êtes donc pas encore libéré de ce qui en vous attire ces circonstances.
– Si l’on se cache du monde, du fait de sa profonde honte, on se cache aussi de la conscience, de la présence, « du Divin, de Dieu », de soi-même en son essence.
– Le sentiment de culpabilité résulte d’une transgression, réelle ou imaginaire, d’une action défendue, et la honte de notre seule existence, des effets de nos tentatives (échecs). Le coupable « a agi » (forcément) et le honteux « s’est exposé » (de fait).
– Si vous éprouvez que l’on vous fait honte, vous a fait honte, pourrait vous faire honte, vous êtes ainsi informé de la honte en vous-même : personne ne peut faire honte à quiconque ne serait en rien concerné par la honte.
– Le coupable (celui qui se sent coupable) craint la sentence, la punition, la condamnation, le honteux superficiel la vit, l’éprouve épisodiquement, et le honteux profond l’endure en permanence (il est damné).
– Le « coupable » est mal de ce qu’il fait, a fait, croit avoir fait, aimerait faire, le « honteux superficiel » de ce qu’il montre, « expose », de ce qu’il se permet, et le « profond honteux » de ce qu’il est, de ce qu’il aime, de ce qu’il ressent, de ce qu’il pense…
– La culpabilité est le carburant de toute peur et la honte est une auto-condamnation, une sorte de suicide, un suicide psychique (qui pourrait bien expliquer un grand nombre des passages à l’acte).
– La profonde honte renvoie à ce qui ne doit pas être vu, à ce qui doit être caché, laissé dans l’obscurité, « loin des yeux et loin du cœur », loin de la lumière…
– Comme la culpabilité, la profonde honte constitue forcément une sorte d’opacifiant de l’amour que l’on est et vibre, d’éteignoir de la bonté, de la douceur.
– Selon la façon dont est accueillie la spontanéité d’un enfant, avec du jugement exprimé, de la moquerie ou de l’indifférence, voire du mépris, il pourra en conserver une honte profonde ou superficielle.
– Nos épreuves les plus incompréhensibles sont parfois celles qui peuvent nous montrer » notre profonde honte, des épreuves qui la rappellent.
– Il n’est pas nécessaire de chercher sa honte dans le passé, ni son origine, car elle est à reconnaître et à libérer ici et maintenant.
– Tout se recoupe, bien sûr, mais spécifiquement, la peur requiert l’amour, la culpabilité l’innocence ou la pureté et la honte la lumière.
– « Par définition, la clarté défait la confusion ; et de regarder les ténèbres à la lumière doit les dissiper » (Un cours en miracles). La honte crée toujours de la confusion.
– Reconnaissons comme jamais « nos » peur, honte, culpabilité et conditionnement général, avec la compréhension qu’ils sont d’abord ceux d’une vieille histoire et que nous demeurons paix, amour et lumière… Oui, oui !
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