La souffrance (4/X)
(En supplément à la présente chronique sur la souffrance, vous pourriez tirer avantage à lire ou même à relire les trois précédentes sur le même thème – janvier, février et mars 2019).
• « Il est possible de se rendre compte que ce qui crée la souffrance, c’est la pensée et l’imaginaire » (Éric Baret).
• « Du point de vue de l’ignorance, la souffrance est un mal. Du point de vue de la sagesse, elle est un bien car elle est le moteur qui nous fait progresser vers cette sagesse » (Francis Lucille).
• « Quand on s’abandonne, on ne souffre pas ; quand on s’abandonne même à la tristesse, on ne souffre plus » (Antoine de Saint-Exupéry).
• La libération de la souffrance, qui est surtout un détachement, passe justement, entre autres, par la compréhension que l’on y est très attaché ! (RG)
Dès lors que nous serions authentiquement à même d’être avec ce qui est, ici et maintenant, qu’il s’agisse de toute circonstance présente ou de ce qui est ressenti, de le reconnaître sans rien en penser, nous pourrions probablement faire l’économie de toute lecture, de toute démarche introspective. Je parle d’une reconnaissance pure, globale, lumineuse. En attendant, il serait absurde de nous priver de ce qui peut nous éclairer… Or, magnifique et idéale, l’option spirituelle ne doit pas être utilisée pour perpétuer le déni du douloureux tapi en soi.
Afin de continuer d’explorer le thème de la souffrance, j’utilise dans ce nouveau texte la formule « dialogue imaginaire » entre un lecteur et son serviteur. Voyez si vous ne seriez pas ce lecteur de temps à autre ! Et si vous êtes davantage le serviteur, appréciez-le ! En fait, selon les moments, nous manifestons, tantôt l’un, tantôt l’autre. Du reste, c’est ce qui me permet ici de jouer les deux rôles. Nous sommes tous capables de jouer celui de l’avocat du diable, parce que nous avons tous en nous une petite dose (au moins) de rébellion, de prétention et d’impertinence.
• Serviteur – Souffrir, c’est être conditionné et se vivre comme la victime ou le personnage de son conditionnement (non identifié ou insuffisamment considéré). Souffrir, c’est s’emparer (mentalement) de toute circonstance propice, laquelle peut aussi être un vieux souvenir ou une situation anticipée. Souffrir, c’est être et rester convaincu que la cause de ce que l’on éprouve est à l’extérieur de soi. Souffrir, c’est mentaliser du douloureux jamais reconnu comme tel. Souffrir, c’est penser comme on pense, laisser libre cours à ses pensées incongrues, tenir fort à ce que l’on pense, y trouver un grand intérêt, un bénéfice illusoire. Souffrir, c’est se dire ce que l’on se dit et se répète, dans l’incapacité même de concevoir qu’il puisse en être autrement. Souffrir, c’est éprouver les effets de ses postures mentales chroniques (y compris en l’absence passagère du penser correspondant).
Souffrir, c’est vouloir autre chose que ce qui est, en fait se laisser y croire. Souffrir, c’est tout simplement « VOULOIR » (qu’importe quoi). Souffrir, c’est résister à ce qui est, lutter en permanence. Souffrir, c’est dédaigner toujours le douloureux qui tente si souvent de se faire connaître. Souffrir, c’est s’occuper mentalement, compensatoirement, de façon facultative et obsessionnelle. Souffrir, c’est IGNORER que tout schéma psychique en cause est à l’œuvre ici et maintenant. Souffrir, c’est rester endormi, croire au rêve ; c’est cauchemarder. Souffrir, c’est se prendre pour ce que l’on n’est pas. Souffrir, c’est rester coincé, sans amour et dans l’obscurité. Souffrir, c’est inconsciemment demeurer séparé et continuer de se séparer. Souffrir, c’est ignorer tout cela ou le savoir et n’en tenir aucun compte…
• Lecteur – Oui, d’accord, mais pourquoi ou comment souffrir toujours ? Comment souffrir tant est-il donc possible, facile, concevable, réalisable, accessible, voire nécessaire et obligatoire ? Dépendrions-nous de la souffrance ? Souffrir est d’une évidence incontestée, y a-t-il autre chose qui le soit tout autant ? La possibilité de ne pas souffrir ne semble pas aussi évidente que celle de souffrir. Qu’est-ce qui pourrait encore favoriser la souffrance, outre ce qui a été présenté et suggéré dans les trois textes précédents qui lui ont été consacrés ?
• S. – Rappelons tout d’abord, pour ne pas sous-estimer la prépondérance de la souffrance, que toute forme de réaction est de la souffrance, son révélateur ou son fabricant. La souffrance a besoin de l’ignorance et sinon de l’oubli. Et l’ignorance ou l’oubli caractérisent la psyché, ne font jamais défaut. Outre l’ignorance et l’oubli, on peut aussi évoquer ce que l’on « sait », ce que l’on est trompeusement porté à vivre comme vérité incontestable, mais c’est à mettre au chapitre de l’ignorance : on ignore ou dédaigne la simple possibilité d’être et de rester dans l’erreur, de fonctionner psychiquement en aveugle, en noctambule, en zombie ou en perroquet. Il y a alors l’impossibilité de se remettre en question, de remettre en question ses postures conditionnées, de les reconnaître, sinon la difficulté à le faire véritablement.
Il est fort probable que nous « sachions » – bien sûr erronément – que le bonheur est pour plus tard, pour après, voire pour une autre existence. Si le bonheur est à venir, la souffrance est forcément ce qu’il reste. Que ne sait-on pas encore, de cette même façon trompeuse et extrêmement limitative ? Par exemple, on « sait » ce qu’est la vie, ce que sont les gens, pourquoi ils font ce qu’ils font, ce que sont ses propres problèmes, qu’il faut faire avec ce que l’on a, que l’on a surtout raison par rapport à mille choses, que ce que l’on nous dit est forcément vrai… Redisons-le, c’est alors et en définitive de l’ignorance qui est là révélée.
D’ailleurs, l’ignorance est généralement problématique en ce sens qu’elle laisse la place à un « savoir » prétendu, à des croyances non reconnues, à des complications inutiles et donc à la souffrance. On ignore surtout à quel point on se prend pour ce que l’on n’est pas. Cela seul fait très mal, ce que l’on ignore tout autant ! Et pour que puisse subsister le « moi pensant », l’ego, il faut absolument OUBLIER ce que l’on a déjà vu, reconnu, parce que l’avoir à l’esprit écarte le « moi pensant », l’ego…
Prenons un exemple d’oubli très déterminant. Quand on souffre, quand on est mal, on est positionné comme si l’on était une chose très limitée, un « tas plus ou moins gros de détritus émotionnels » ou encore un « subisseur démuni », voire une « pauvre victime ». Oh, en souffrant, on ne plaquera sur soi aucune de ces formules, mais on devrait pouvoir au moins reconnaître que l’on est bien alors positionné comme si l’on subissait son sort du moment. À part l’habitude, a-t-on pour cela une bonne raison, une raison vérifiable ? Précisons au besoin que les effets de notre positionnement ne constituent pas une raison pour le justifier, ce qui serait d’ailleurs absurde !
Or, il n’est pourtant pas exclu que l’on ait déjà vécu le contraire de ce vécu souffrant ou qu’il ait été complètement absent. Il s’agit d’une autre réalité : ce que nous sommes est vaste, immense, en fait illimité, d’une puissance incroyable. C’est quelque chose à ressentir et donc à reconnaître sans conditions. On ne met aucune condition pour se vivre comme « subisseur », ce que l’on fait certes depuis toujours. Et si l’on a effectivement déjà manifesté cette présence immense et puissante, c’est ce que l’on oublie pour faire place à l’ego, au « moi séparé et subisseur ».
De même que l’on résiste à envisager le meilleur, envisageant le pire sans vergogne, de même on résiste à se reconnaître comme immense et puissant tout en s’éprouvant sans questions comme limité et même parfois comme moins que rien. Pourtant, on a déjà connu ces deux réalités. Et même si on les a également reconnues, c’est ce que l’on s’empresse d’oublier, histoire de permettre la souffrance ou les délectations moroses du « moi séparé », de la « petite unité personnelle ».
Notons une autre circonstance où se manifestent à la fois l’oubli et l’ignorance. Sur une voie libératrice digne de ce nom, on se désidentifie doucement du « moi pensant » et la souffrance se fait moins prenante, moins fréquente, et ses crises durent de moins en moins longtemps. Si l’on savait cela ou si l’on ne l’oubliait pas, la libération se ferait de façon encore plus forte, plus rapide, plus efficace. Par exemple, on peut déplorer de ne pas vivre une chose ou une autre, même si, en réalité, on la vit de plus en plus ou plus que jamais. Ne pas reconnaître le bon que l’on vit revient à le repousser ou à passer à côté.
• L. – Je peux voir et envisager tout ça, mais quoi qu’il en soit, je voudrais surtout ne plus souffrir, ne plus me voir réagir comme je réagis, ne plus démarrer au quart de tour ou ne plus rester insatisfait, ne pouvant jamais demeurer en paix de façon durable. Oh, je peux imaginer que la connaissance intégrée de tout ce qui a été dit jusque-là puisse doucement contribuer à une libération ! Mais n’y a-t-il pas un « truc » pour accélérer le processus ?
• S. – Ah, tu reconnais déjà ta tendance à réagir, tendance qui est communément la nôtre, mais que peu de gens sont à même de reconnaître ! Sache que c’est un excellent point de départ, si tu ne revendiques pas ta réaction ou si tu ne la considères pas comme une attitude tout à fait naturelle. Au lieu d’être positivement interpellés par le fait que beaucoup ne réagissent pas comme eux, certains les jugent comme naïfs, anormaux ou complètement « azimutés » ! Ceux-là méconnaissent bien sûr la projection.
D’abord, tu dis que tu voudrais ne plus souffrir. Permets-moi de te dire illico qu’à la fois, c’est vain et faux !
Vain, parce que vouloir une chose qui ne se réalise pas ou qui tarde à se réaliser implique de la résistance. Et persiste ce à quoi l’on résiste. De plus, comme le dit Éric Baret, « Tenter, vouloir quelque chose sépare. À l’inverse, être libre de toute démarche est accueil, disponibilité, non-séparation. ». Éric Baret ajoute : « Vouloir est un sacrilège ». Vouloir (quoi que ce soit) est toujours problématique.
• Faux, parce qu’en réalité, nous l’avons vu, nous sommes tous attachés à notre souffrance. Quand on « veut » quoi que ce soit de façon très réelle, on passe simultanément à l’action, d’une manière ou d’une autre. Ce n’est d’ailleurs pas qu’on le veut, on est d’accord pour le vivre, tout à fait disposer à agir dans ce sens…
Manifestement, tu n’as encore rien fait pour arrêter de souffrir : tu ne dis même pas que tu le veux, mais que tu le voudrais ! Au mieux, tu veux y penser, en rêver ; tu veux le vouloir, tu veux vouloir !
Sois très honnête envers toi-même (non pas envers moi) et reconnais bien, en effet, que tu n’as jamais rien fait, au moins de façon régulière, pour arrêter ou tenter d’arrêter de « souffrir », pour faire une différence appréciable dans ta vie. Or, tu me demandes aussi un premier « truc », alors je vais t’en proposer un et même de nombreux (tu auras l’embarras du choix !). À mesure que tu en utiliseras même un seul, la souffrance diminuera en proportion. N’envisage pas tous ces trucs comme des étapes à suivre. Selon les moments, les circonstances, l’un ou l’autre pourrait t’attirer ou te convenir davantage. Par ailleurs, ne te soucie pas de la redondance apparente, tu as mieux à faire ! Et il est bien des choses qui ne nous seront jamais suffisamment répétées.
J’ai dit que tu n’as rien fait pour arrêter de souffrir, mais ce n’est qu’une façon de parler, parce que pour arrêter de souffrir, il n’est rien que nous ayons à faire. Bien au contraire, il nous faudrait surtout arrêter de faire ce que nous faisons. Nous faisons mille choses qui contribuent à notre mal de vivre. Nous ne cessons de les faire que lorsque nous reconnaissons vraiment que nous les faisons. Ce que nous « faisons » à notre détriment se manifeste psychiquement à tous les instants de notre existence, donc même « ici et maintenant » !
• 1. LE CONTENU DE LA SOUFFRANCE-. Quand tu es dans une forme de réaction, avec un certain malaise, bref de la « souffrance », observe-le bien, divers « ingrédients » sont impliqués : un conditionnement à l’évidence, un souvenir ou une situation éventuelle, ce que tu en penses, beaucoup de pensées rebattues, le sentiment puissant d’être concerné, de la résistance et/ou de l’attachement, du vouloir et du non-vouloir, une impression forte de sérieux ou d’importance, une indisponibilité à l’observation, à une remise en question… À l’occasion, reconnais l’un ou l’autre de ces ingrédients et vois ce qui se passe !
• LE DÉNI, QUI N’EST PAS TOUJOURS TOTAL-. Il est évident que le déni du douloureux en soi suffit à perpétuer de la souffrance, d’où l’invitation réitérée à le reconnaître, à l’honorer. Or, nous ne méconnaissons pas forcément certains vécus éprouvants, mais il en est que nous pouvons à tort banaliser, minimiser, enjoliver, justifier, voire considérer comme étant la grâce de certaines dispositions parfois suspectes : « Oui, mes parents ont été très durs avec moi, mais cela m’a forgé le caractère ! » Quoi qu’il en soit, tu n’as nul besoin d’un caractère forgé… Nous retrouvons ici le besoin de nous détacher de notre conditionnement identificatoire : « Un caractère forgé est un caractère conditionné ».
• LES FAUX REMÈDES-. Au lieu de considérer attentivement ce qui cause ta souffrance, quand tu es mal, tu t’empresses au mieux de trouver un remède, une solution, en fait une compensation. Au passage, tu aurais déjà dû depuis longtemps te rendre compte qu’aucune de tes solutions n’était efficace, voire qu’elle ne faisait qu’empirer chaque circonstance concernée, en repousser des effets toujours plus gros. Ces textes consacrés à la souffrance te donnent amplement de quoi découvrir la « fabrique de souffrance ». À quel degré es-tu disposé à voir ce qui te fait mal, comment tu te fais mal ?
• LE PENSER CRÉDIBILISÉ-. Cesse de te laisser posséder par ton mental, par le penser incongru et intempestif. En fait, ne cherche pas (forcément) à ne plus penser, ni même à penser moins, mais permets-toi, le plus souvent possible, de juste observer les pensées qui passent ou renonce à leur accorder le crédit habituel. Ça pense comme ça pense, rien ne t’oblige à y croire ! Sans le crédit accordé aux pensées, la souffrance ne peut pas tenir longtemps, ne peut même pas tenir du tout.
• LE PENSER DÉCULPABILISATEUR-. Admets que ça t’arrange bien de penser ce que tu penses et que c’est pourquoi tu y tiens tant, y accordes autant crédit, ne pouvant pas, dès lors, envisager de le lâcher ! En principe, tu ne devrais même pas pouvoir admettre cela car tu t’en sentirais bien trop honteux et/ou coupable. Penser ce que tu penses t’arrange, parce que ça justifie quelque chose, parce que ça te fait précisément oublier ton sentiment effroyable de culpabilité. Il te reste à découvrir qu’il est à la base infondé, irrationnel. Il représente cependant une calamité.
• DES COMPORTEMENTS AUTODESTRUCTEURS-. Il n’est pas exclu que ton sentiment irrationnel de culpabilité te pousse à te comporter à l’occasion de façon dommageable. Dans ce cas, permets-toi de le reconnaître, toujours et encore sans rien en penser. Pour t’aider dans ce sens, sache que ce qui est… est, que personne n’y peut rien, que l’on fait toujours du mieux que l’on peut, toi y compris ! Tant que tu ne franchis pas ce cap, tu t’enfonces plus profondément dans la souffrance.
• LE « SE DIRE »-. Reconnais-le, on passe le plus clair de son temps à se dire des trucs, à avoir un commentaire d’abord silencieux sur tout et n’importe quoi. Une attention tranquille à ce que l’on se dit peut être très édifiante, mais on peut plus simplement reconnaître le seul « se dire », la compulsion à se dire, quoi que ce soit ! On peut considérer cette habitude indépendamment du fait que ce que l’on se dit fait mal en général. Ce point, la formule « se dire » permet de reconnaître mieux ou encore autrement notre penser en intrusion constante.
• LE PENSER IDENTIFICATOIRE-. Cesse de te prendre pour le « penseur », pour celui qui pense ou, mieux encore, vois d’abord et simplement que c’est bien ce que tu fais, que c’est bien ainsi que tu fonctionnes. En réalité, il n’y a pas de penseur, il n’y a que des pensées. Perçois alors à quel point tu te sens concerné par les pensées pourtant indépendantes, ainsi que par ce qui se passe, s’est déjà passé et pourrait se passer dans ton existence : « C’est moi ; ça arrive à moi ; c’est grâce à moi ; c’est à cause de moi… Le détachement du « moi je » est corollairement celui du sentiment de honte et/ou de culpabilité. Le « moi imaginaire » est à la base le véhicule de la peur, de la honte et/ou de la culpabilité.
• LES BLESSURES DE L’ÂME-. Reconnais ton conditionnement, ta blessure principale, si tu as déjà reconnu à quel point tu es effectivement conditionné. Il est plus facile de se délester de ses vieux bagages quand on les voit en pleine lumière, quand on les extrait des combles. Et là, il est question de regarder, d’être à l’écoute, de sentir, et non pas de faire dérouler des histoires de façon exclusive et continue (ce que tout le monde fait longtemps). Pour t’aider dans ce sens, considère justement les deux « trucs » suivants.
• LE RESSENTI DOULOUREUX HONORÉ-. Remplace le penser obsédant et toute autre réaction qui surgit par l’observation pure et simple de ce que tu ressens. Tout au moins, sache cela comme une possibilité : « Ah, ça pense à nouveau ! Ah, je suis là dans la réaction ! Mais qu’est-ce que je ressens, qu’est-ce que j’éprouve ? Comment est-ce que je me sens ? » Il s’agit d’un ressenti douloureux, puisque tu es parti de la souffrance, et permets-le alors, reste un peu avec ! Ne le repousse plus, ni ne le retiens ! Laisse-le évoluer librement, sans autre intention ni attente ! N’en pense rien !
• LE DOULOUREUX SANS TUEURS-. Prends une douleur déjà identifiée ou sinon une réaction et retire-lui ses deux « tuteurs » (qui sont aussi deux « tueurs » comme me l’a suggéré la faute de frappe que je n’ai pas corrigée) : l’un d’eux à une extrémité est le « parce que », la cause que tu donnes, l’histoire que tu te racontes ; à l’autre extrémité, c’est le « je souffrant », le « je imaginaire ». Alors, tu vois la douleur ou la réaction qui flotte dans l’air, dans la conscience, sans plus rien qui puisse la retenir. C’est juste une vague ou un nuage qui passe… Un ressenti n’a pas d’histoire, sauf celle qu’on lui donne.
• LES SENSATIONS CORPORELLES-. Si tu peux associer un ressenti douloureux à des sensations corporelles suffisamment prononcées, laisse-les être dans une pleine écoute ; offre-leur un senti non intrusif, un regard qui ne projette rien ; laisse-les évoluer sans « intervention » ni attente. En toute circonstance, il est mieux d’être présent à ce qui est, plutôt que de faire comme si ça n’était pas, et si c’est une douleur morale ou une tension corporelle, la présence aimante opère toujours de façon salvatrice.
• LE VOULOIR ET LE NON-VOULOIR-. Quand tu souffres, de quelque façon que ce soit, quand tu es dans la réaction, observe-le bien, il y a toujours quelque chose que tu veux ou que tu ne veux pas, de façon très prononcée. Quand on ne souffre pas, on veut encore, on reste dans le vouloir, mais c’est déjà de la souffrance, de la souffrance ignorée ou plus légère. Je ne pense pas qu’il puisse t’être difficile de reconnaître que vouloir ce qui n’est pas et ne pas vouloir ce qui est, fait forcément mal. Pose-toi alors tranquillement cette question : « Comment me sentirais-je, ici et maintenant, s’il n’y avait strictement rien que je veuille, ni ne veuille pas ? Que se passe-t-il si j’élimine – juste quelques instants – tout vouloir et tout non-vouloir ? »
Tu devrais pouvoir reconnaître une différence appréciable, même si elle est subtile ! Gangaji dit : « Si tu es disposé à voir ce qui cause ta souffrance, alors tu es disposé à tout changement ». On ne cesse pas d’agir quand on est libre du vouloir ; on fait quotidiennement mille choses qui ne sont pas précédées du vouloir obsédant. Tu peux remplacer le mot « vouloir » par désirer, envier, exiger, revendiquer, espérer, fantasmer, attendre… Vouloir est toujours vain, une tension, la perpétuation de l’insatisfaction.
• L’AUTOFLAGELLATION- Ouvre-toi totalement à cette autre réalité : sache ou rappelle-toi que quand tu es mal, c’est du mal que tu te fais. De même que si TU TE suicides, c’est ce que TU T’infliges, de même quand TU TE résignes, quand TU TE révoltes, quand TU TE morfonds, c’est ce que TU TE fais. Que TU TE ronges les sangs ou les ongles, c’est TOI qui TE le fais. Cela est juste un constat à faire, non pas un reproche à te faire. D’ailleurs, quand TU TE laisses affecter par quelque circonstance que ce soit, c’est comme un cadeau que TU TE fais pour te permettre tôt ou tard de reconnaître ce que tu nies ou le douloureux qui se niche encore en toi. N’en pense rien, regarde, écoute, sent ! (Nous serons amenés à revenir sur ce point. Il est primordial.)
• L’ATTACHEMENT À LA SOUFFRANCE-. Une chose que tu dois savoir absolument et/ou te rappeler : la souffrance (éventuelle) qui est là dans l’instant n’est pas plus réelle que celle que tu as déjà éprouvée et dont tu ne pourrais même pas te souvenir. Le seul rajout est… l’attachement ! Laissons ce qui l’explique, mais tu es attaché à la souffrance quand tu souffres. Quand tu peux reconnaître cet attachement, le sentir vraiment, tu as déjà commencé à le relâcher en réalité. Permets cela ! « Veux-tu que je t’aide à voir ce qui se cache derrière tout ça ? », disais-je un jour à un proche en souffrance, et lui de me répondre alors spontanément : « Non, je veux juste me plaindre ! »
• LA CULPABILITÉ REFOULÉE-. Sois honnête envers toi-même ! Ne résiste pas à voir tes comportements dont, en ton fort intérieur, tu n’es pas fier ! Ils sont l’effet de ta culpabilité projetée et, sans reconnaître ces attitudes déviantes, tu ne fais que l’alimenter, que l’empirer. Tu voudrais ne plus souffrir, tu ne peux donc pas faire l’économie de cette mise en lumière. Pardonne-toi et l’attitude plus appropriée te viendra d’elle-même. Comme l’ignorance, une attitude indigne ou non responsable peut être le dernier obstacle au bien-être. Tu te contraindras un jour à retrouver ton intégrité, pour ton bien-être, que cela soit maintenant !
• L’AMOUR QUE NOUS SOMMES-. Rappelle-toi l’amour, que l’amour est forcément en toi puisque tu es amour. Sache-le sans rien forcer, sans rien vouloir. Vois juste au besoin et au passage que tu ne t’aimes pas, sans le revendiquer. Écoute ce que nous dit Éric Baret : « Aimer guérit, mais tant que je nie l’amour en moi, les blessures ne peuvent pas cicatriser. ». C’est en sachant l’amour que je te parle de souffrance et que j’accueille la mienne.
• LE MOI ATTACHÉ ET FORCÉMENT SÉPARATEUR-. Vois comment et combien tu te prends pour ce que tu n’es pas, tu restes identifié au personnage de ton histoire existentielle. Si tu vois que tu y es attaché, ça le fait ! L’identification est un attachement qui est aussi une séparation. Vois que cette identification est puissante, que personne ne la considère, ni même toi, et qu’elle peut donc faire ta souffrance « en toute impunité ». Vois cela et le reste en t’en amusant si possible, en tout cas sans rien en penser !
• LA RÉALITÉ AIMANTE ET ILLIMITÉE QUE NOUS SOMMES-. Puisqu’une forme de souffrance est là, plus ou moins virulente, soit tu ignores encore, soit tu as de nouveau oublié que tu es la Présence en quoi elle apparaît, va aussi disparaître, et que cette Présence est « incroyablement immense et puissante », qu’elle est bonté et douceur, qu’elle est paix et amour. Il est des instants où ce rappel est lui-même très puissant, ce qui peut ne pas être le cas pour toi dans l’instant. Un des autres « trucs » exploré t’y disposera.
• UNE REFORMULATION PERSONNELLE-. Prends le paragraphe qui te plaît, t’attire le plus, et reformule-le (réécris-le) à ta manière, non pas pour y placer ce que tu en penses, que ce soit pertinent ou non, mais pour y ajouter ce que tu vois et qui n’est pas dit ici. Chaque invitation est censée t’amener bien plus loin que les mots. Il s’agit de ton expérience, de ton exploration, de ta liberté, de ta vision… Chéris toute percée, apprécie-la, même si elle est subtile. Ce qui est aimé croît.
• LA VULNÉRABILITÉ PERMISE-. Arrête-toi sur le paragraphe qui pourrait te « perturber » ou te déplaire le plus. Là encore, ne te laisse pas prendre par ce que tu en penses, mais reconnais ce que tu ressens. Il n’est pas de ressenti présent, accueilli dans une écoute gratuite, qui ne cause pas un effet libérateur. Une résistance pourrait être concernée. Qu’elle soit alors reconnue ! C’est un art, un bel art, que de préférer son ressenti à son penser, et il est plus accessible que d’aucuns le croient.
• L’ABANDON TOTAL À CE QUI EST-. Offre-toi un (nouveau) bref moment d’être sans intention, sans attente, sans demande, sans résistance, dans le total « laisser-être » de ce qui est, y compris un mal-être. Juste une fois ou une nouvelle fois, abandonne-toi à la possibilité de juste être, de manifester exclusivement ta vraie et profonde nature. Éric Baret dit : « Être un instant sans demande, sans attente, est la chose la plus simple qui soit. Cela vous lie avec tous les êtres, tous les mondes. Là, il y a symbiose ». Ne discute pas les mots, invite-toi à l’expérience !…
• LES ÉLANS DÉDAIGNÉS-. En lien à ce que tu déplores, vois s’il n’y aurait pas quelque chose que tu pourrais faire et que tu ne fais pas, une décision que tu ne prends pas, une attitude pour toi ajustée que tu n’adoptes pas. Accepter véritablement ce qui est, c’est accepter de même un élan qui pourrait bien te disposer à faire un choix auquel tu résistes sans même y prêter attention. Pour arrêter de souffrir, la résistance et la non-écoute de ses élans sont des attitudes à abandonner (ce qu’il faut cesser de faire).
• LA DEMANDE D’AIDE-. Le dernier truc : j’aurais du mal à croire qu’aucun de ces paragraphes ne contienne quelque chose qui puisse représenter pour toi une aide. Or, à propos d’aide, n’ignore ou ne néglige pas qu’elle peut se demander. Vois les dépenses que tu fais, pour rien, et ce que tu ne fais pas, pour toi ! Cela peut faire aussi l’objet d’une prière, si la prière t’est familière. La vraie prière n’est pas une demande ordinaire, égoïste, mais le rappel conscient, pleinement ressenti, qu’il n’y a pas de séparation, que l’amour transforme, libère, guérit, et à quoi tu peux simplement t’en remettre. Et tu peux donner le nom que tu veux à cet Amour invoqué et qui est aussi ce que tu es.
Le mois prochain, nous verrons ce que le « lecteur » fait ou peut faire de tout cela. Il a pu se sentir submergé, je compatis ! Vous avez un mois pour trouver dans ces pages et dans celles qui les ont précédées depuis le 1er janvier de quoi en faire une autoinvitation et pour la suivre alors, afin que votre propre expérience devienne votre chemin. Ne croyez rien de ce que je vous raconte, allez voir par vous-même ! (À suivre)
• Notre regard maintenu sur la souffrance est une occasion supplémentaire d’être « sciemment » ce qui ne souffre pas, ce que nous sommes en essence, ce que nous sommes maintenant, ce que nous ne pouvons pas ne pas être…
(Contrairement à ce que j’ai annoncé sur Facebook et Twitter, c’est la chronique du mois de juin qui montrera beaucoup plus nettement que l’on s’inflige soi-même ce que l’on déplore, même si c’est déjà suggéré ici ou là dans ces textes dédiés à la souffrance…)
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