203 – L’abominable jamais considéré (suite)
Via un dialogue imaginaire, pour compléter la chronique précédente, peut-être quelque peu « décoiffante », je me fais ici « l’avocat du diable » en laissant « l’inspiration » lui répondre.
AD – Le texte sur L’abominable jamais considéré m’a beaucoup heurté, d’abord parce que j’ai toujours considéré que mes parents avaient fait du mieux qu’ils pouvaient, même si mes frères, sœurs et moi-même auraient sans doute préféré qu’ils se montrent parfois différents. Et quoi qu’il en soit, je ne veux pas les accuser !
INSP – Ils ont fait du mieux qu’ils pouvaient, tu fais du mieux que tu peux et « je » fais, moi aussi, de mon mieux. Or, quand ce mieux fait mal, quand je fais du mal, j’ai à cœur de le voir, de le reconnaître, ce qui a pour effet d’accroître le « mieux ». Et si ce que tu dis ou fais devait me faire mal, sans oublier que tu fais de ton mieux, je préférerais reconnaître que j’ai mal, pour accueillir enfin cette douleur. Tu ne l’aurais pas créée, elle serait en moi. Et si, pour ne pas risquer de te mettre en cause, passant outre l’effet douloureux, je m’attirerai une autre circonstance et mille autres, jusqu’à ce que j’honore enfin la douleur qui ne demande qu’à être libérée. Serais-tu vraiment sûr de ne pas pouvoir comprendre cela ?
Même de nature spirituelle, une compréhension est stérile si elle favorise le déni. Nous reconnaissons la façon dont nous nous sentons traités par qui que ce soit, ainsi que les ressentis douloureux retrouvés avec nos proches, non pas pour nous en tenir à des accusations, mais pour favoriser l’accès libérateur aux vieilles douleurs qui croupissent en nous depuis toujours. Il n’est question que de conscience, de conscientisation, de vérité, de libération et de rien d’autre…
Le bébé qui manque terriblement d’affection, pour ne prendre que ce simple exemple, vit un drame abominable et même si c’est à soixante ans, il sera bon qu’il puisse un jour pleurer, en fait libérer la douleur qui est restée en lui. Tu ne le lui permettras pas, tu ne l’amèneras pas là si, alors que tu l’aides, tu exclus directement ou indirectement son vécu avec ses parents. Cela te sera d’autant plus facile quand il te confiera lui-même tout le bien qu’il pense de ses parents (malgré les souvenirs atroces qu’il aura pu évoquer avec désinvolture). Et il te restera à envisager divers trucs pour faire avec son malaise existentiel. Tous seront vains, même quand certains permettront un soulagement immédiat et éphémère !
À vérifier d’ailleurs s’il ne t’arrive jamais de le faire, tu n’as nul besoin d’accuser tes parents, d’autant moins que les accuser, c’est réagir et toute forme de réaction n’est rien d’autre qu’un couvercle sur du douloureux tapi en soi. En revanche, selon ce que tu me racontes, ce que j’entends et perçois, il se peut que, pour toi, je me permette en quelque sorte « d’insulter » tes parents, en fait de qualifier leur attitude envers toi, juste pour te réveiller, juste pour te sortir du déni, juste pour que tu puisses enfin « pleurer » le douloureux en toi qui continue de faire ton mal de vivre.
AD – Il reste que ces insultes ou qualificatifs sont des jugements, donc du mental, de la réaction !
INSP – Juger est toujours préjudiciable, mais embellir trompeusement quoi que ce soit l’est tout autant. Quand, par exemple, une personne continue de parler de Maman, de Maman Chérie, juste après avoir relaté, parmi d’autres, la punition infligée par sa douce mère et qui l’avait laissée à cinq ans toute nue dehors sous la pluie et dans le noir, pendant une petite heure (pour un pipi culotte), on peut entendre ce que l’on peut aussi apparenter à des « jugements » qu’il est urgent de relativiser. Quand il s’avère qu’une personne chérit une fausse image, il peut être très utile de forcer un moment le trait de l’image plus réaliste. On n’est jamais dans l’amour quand on se raconte des histoires !
• Jusqu’à mes douze ans, je me disais avoir la meilleure mère au monde, une mère qui ne me regardait JAMAIS ! Ensuite, pour quelques années, j’ai basculé dans une forme de haine, mais je ne suis pas sûr que ce fut pire ! En fait, en vouloir sciemment à ses parents, à qui que ce soit, ou nier la façon dont on se sent traité est pareillement dommageable, autodestructeur.
Précisons-le, alors qu’il s’agit d’apporter de l’aide, on ne peut ou ne doit pas être dans le jugement ; on restitue seulement ce qui a besoin d’être entendu, formulé selon l’inspiration du moment, avec des mots qui peuvent faire mouche. Pour contrebalancer une histoire doucereuse, au service du déni, il faut parfois des mots forts, directs. Et l’on est dans l’amour, dans la conscience et avec la disposition prioritaire à contribuer à la libération d’un cœur emprisonné.
Oui, ne pas accuser tes parents, « c’est » tout à ton honneur, c’est glorieux, c’est « spirituel » (pourrait l’être) ! Mais ce n’est pas si sûr quand tu restes plus ou moins mal, car c’est juste parce que tu t’accuses toi-même que tu ne veux surtout pas accuser tes parents ! Ce qui veut surtout dire que tu prends pour de l’accusation ce qui n’en serait pas. Et alors que tu ne voudrais surtout pas être dans l’accusation, tu n’arrêtes pas de t’accuser toi-même. Cela est-il spirituel ?
Certains s’empêchent de s’exprimer pour ne pas être dans la plainte : dire enfin « je me sens très mal », par exemple, ne peut pas être une plainte. Et comme nous l’avons vu, il est inconcevable pour l’enfant que ses parents puissent lui faire du mal, ce que le monde l’encouragera à croire. En faveur d’une décharge émotionnelle (nécessaire), il ne s’agit toujours que de reconnaître ce qui est, souvent ce qui a été.
AD – OK, peut-être, mais quel est le rapport entre ma maladie ou le conflit que je vis avec mes voisins et ce que je n’aurais pas libéré de ma prime enfance ?
INSP – L’éprouvé actuel que tu nommes, que tu finis par reconnaître, t’est familier et tu pourrais vérifier toi-même qu’il débute dans ton enfance. Tout le monde n’utilise pas les mêmes mots pour témoigner de ce qui est éprouvé, même quand il s’agit d’une même épreuve, et c’est une blessure bien distincte qui est révélée, confirmée par ces mots. Pour ne prendre qu’un petit exemple possible, s’agissant de ta maladie, si tu devais dire tout de go que tu la vis avec un sentiment d’injustice très fort, on pourrait ne pas avoir trop de mal à te faire revisiter les « injustices » que tu as éprouvées dans ton enfance. Ce n’est bien sûr qu’un aspect et l’exploration se fait en direct, de cœur à cœur. (Il s’agirait là de la blessure de maltraitance).
Pour me décrire son symptôme physique (gorge) pour lequel une personne me consultait, répondant à mes questions, elle me dit innocemment : « Quelque chose est coincé, comme s’il fallait que je me taise ». Lors d’une séance antérieure, elle avait reconnu combien toute expression n’était pas envisageable pour elle quand elle était enfant et elle se retrouvait « aujourd’hui » dans une circonstance où elle avait beaucoup à dire. Ce jour-là, pendant la séance, elle put dire beaucoup de ce qu’elle n’avait pas dit à sa mère et, cerise sur le gâteau, elle a raccroché le téléphone sans son mal de gorge.
AD – Eh bien, je ne suis pas non plus à l’aise quand je lis que quelque chose reste à dépasser avec nos parents dès lors que nous pouvons être mal dans notre peau !
INSP – Ce qui précède l’explique déjà, mais on peut insister un peu et apporter d’autres éléments. Plusieurs mères m’ont parlé de leur enfant (fille ou garçon) qui était trop souvent insupportable, colérique, capricieux… Je connais bien ces enfants-là, notamment pour les retrouver adultes face à moi en cabinet. Et, en effet, ils peuvent parler de leur enfance de façon élogieuse. Mais là, c’est leur mère qui me parle, des mères ouvertes, touchantes, authentiques, et qui, répondant à mes questions, me confirment qu’à la naissance et pendant un certain nombre de semaines ou de mois, elles ont bien « rejeté » leur enfant (parce qu’il n’avait pas le bon sexe, parce qu’il n’arrivait pas au bon moment… peu importe). Ici, laissons de côté leur sentiment de culpabilité et la libération possiblement occasionnée.
Rien de ce que nous vivons, adultes et même après 6 ou 7 ans, nous dit-on, en réalité plus sûrement après 4 ou 5 ans, n’a le pouvoir de nous causer une douleur émotionnelle qui ne serait pas déjà en nous. Tout ce que nous déplorons est tout bonnement « utilisé » pour attiser une vieille douleur ou pour la fuir encore. Donc, toute épreuve, toute contrariété, le ressenti « mal dans sa peau » est un rappel, du revécu. Ce qui est revécu, re-revécu, ce sont les réactions, les positionnements psychiques, les douleurs associées sous-jacentes et dédaignées encore et encore.
Que nos blessures s’engramment en nous avant 6-7 ans ou 4-5 ans, cela ne revêt pas la moindre importance, parce que nous arrivons au monde avec la « signature de notre contrat d’existence ». Ce n’est évidemment pas par hasard que nous nous retrouvons avec ces parents-là, dans cette famille-là, dans ce pays-là, avec tel handicap ou telle aptitude, ni donc que nous allons vivre ce que nous allons vivre. Et le tout à vivre a pour seul but de nous amener à nous rappeler ce que nous sommes, à retrouver la paix, la joie et l’amour. Alors, combien de temps, combien de vies nous faudra-t-il pour atteindre ce but ? Et résister au but équivaut à signer des contrats de plus en plus éprouvants.
AD – Je vais peut-être me contredire, mais toujours en te lisant, j’ai eu comme l’impression que tu pouvais aussi faire la part belle aux parents incontestablement maltraitants, ainsi qu’à d’autres « psychopathes ».
INSP – Eh bien, ce n’est tout bonnement pas mon sujet, ni ma « spécialité » ! Je ne fais pas de sociologie, je ne m’occupe pas des alcooliques, des parents maltraitants, des pervers narcissiques, par exemple, mais toute mon attention est vouée aux enfants et surtout aux ex-enfants. Or, par exemple, si c’est un « alcoolique » qui me sollicite, je l’accueille à bras ouvert, parce qu’il est forcément un ex-enfant et puisqu’il est en demande, il sera plutôt facile de l’aider à s’ouvrir, à se libérer lui aussi. Je dirais la même chose s’il s’agissait d’un violeur ou d’un assassin.
Je sais bien entendu qu’existent des parents horriblement maltraitants, ainsi que la folie, la cruauté, la dépravation humaines, ce que je ne me prive pas d’évoquer ici ou là, mais je m’adresse seulement à ceux qui ont l’ouverture suffisante pour envisager pour eux-mêmes un mieux-être, une libération, une décharge émotionnelle… Et rappelons ici que plus nous sommes nous-mêmes en paix et dans l’amour, plus nous contribuons à la paix et à l’amour autour de nous, dans le monde.
AD – Est-ce que tu suggères que personne n’est à dénoncer ?
INSP – Il n’y a aucune raison de laisser faire le mal quand on est en situation d’intervenir d’une manière ou d’une autre, de façon alors sage, cordiale. Reste justement à savoir ce qui nous anime, le bien ou la réaction ? Or, si vous consultez un « vrai guérisseur » ou un « vrai consolateur », vous n’êtes pas face à un juge, ni face à un policier. À chacun son art ou sa mission !
AD – J’ai en fait l’impression (contradictoire), je veux y revenir, que tu peux en général être dur avec les parents. J’ai des enfants et je ne nie pas que par peur, je puisse être souvent maladroit envers eux.
INSP – Eh bien, si tu me consultes, tu verras dès les premiers instants que je ne te manifeste pas la moindre dureté ! Et s’agissant de dureté, je te montrerai la tienne, d’abord et surtout la dureté envers toi-même. Ah, il se peut que pour te le montrer, tu m’incites à me montrer ferme, ce qu’un temps, tu pourras prendre pour de la dureté, avant, ému, de me remercier (comme les autres).
AD – Je me demande, par ailleurs, comment ou pourquoi ta technique qui consiste à restituer un vécu éprouvant que tu as perçu ou entendu peut avoir un effet positif.
INSP – D’abord, il s’agit, non pas d’une technique, mais d’une évidence : si tu vois quelqu’un engagé sur une mauvaise route, tout naturellement, tu le lui dis. Le douloureux qui demeure en nous n’a jamais pu être exprimé, n’a jamais été reconnu par personne, le vécu en cause ayant même été nié, banalisé ou normalisé. Quand, soudainement et dans un contexte approprié, on s’entend dire de façon claire et nette une réalité jusque-là tue, l’effet peut être puissant et libérateur.
Imagine que tu vois l’un de tes proches se laisser abuser par tout le monde, de façon éhontée, et que tu lui dises, avec à la fois fermeté et générosité (donc hors réaction) : « Ne t’est-il jamais venu de donner du poing sur la table ? » Soupçonne l’effet possible sur lui ! Nous n’avons pas tous eu un parent qui nous dise : « Défends-toi, mon fils ; ne te laisse pas faire, ma fille ! » Je parle ici d’un parent aimant, empathique… Et, d’une manière générale, avons-nous toujours pu pleurer nos peurs et nos chagrins ? N’avons-nous jamais manqué de bras réconfortants ?
AD – Tu dis que nous sommes responsables à 100 % de ce qui se présente à notre conscience, mais si on l’envisage, est-ce vraiment possible de ne pas sombrer dans la culpabilité ?
INSP – Pour y sombrer, il faut qu’elle existe et elle existe bien entendu. Ni rien ni personne ne peut causer notre sentiment de culpabilité et chaque rappel de ce dernier n’est rien d’autre qu’une occasion de pardon à soi-même. Mais ne revenons pas sur cet aspect (traité dans d’autres chroniques). S’agissant de la responsabilité, pour un petit instant, mets-toi à la place d’un bébé dont l’un ou l’autre de ses parents vit sans cesse de la colère, reste de mauvaise humeur, dans l’angoisse ou un état dépressif. Là, il ne s’agit même plus de la façon dont le bébé est directement traité. Serait-ce si gênant ou atroce de suggérer que nous sommes responsables pour ce que nous faisons peser, d’autant plus quand les cibles sont des enfants ou des animaux, ceux qui sont sans la moindre défense ? Comme vous, je réagis encore, mais je préfère ou préférerais ne faire JAMAIS RIEN peser à PERSONNE !
AD – Un autre point me gêne terriblement : le lien que tu sembles faire entre une épreuve traumatisante d’un enfant qui a lieu hors de la famille et le contexte familial général. Je préférerais ne pas y croire !
INSP – Pour recevoir ma « lecture » d’un épisode particulier, un client me raconte que sa nièce de 9 ans a été blessée au sang par son institutrice (il y a bien longtemps). Il peut s’agir, lui dis-je, d’une histoire karmique, transgénérationnelle, mais même directement familiale, une répétition, sinon le rappel de la violence sous une forme ou sous une autre. Et le client de m’expliquer alors : « Ma nièce porte le prénom d’une sœur née et morte avant elle. D’un autre père, l’enfant était régulièrement battu par celui-ci (cause probable du décès). Peu après, le client ajouta : « Les coups infligés à ma nièce par son instit ont eu lieu le jour anniversaire du décès de sa sœur ». Et bien sûr, « tout ça n’est que du hasard ! » Ajoutons, en pareil vécu traumatisant, que les liens ne sont pas toujours extrêmes, aussi « violents ».
AD – Oui, mais…
INSP – Attends, laisse un moment de côté tes questions ! Je t’interromps délibérément, parce que je sais que le questionnement dubitatif est aussi une réaction et que toute réaction est sans issue tant qu’elle n’est pas reconnue comme telle. Ici, en te disant « attends », l’idée est, non pas de te mettre dans l’attente, mais de te proposer une pause, un arrêt. Autrement dit, lâche la tête, le penser, le mental, les questions ou plutôt les doutes, et prends doucement une grande respiration, une respiration pleinement consciente. (Ces mots, comme les autres, sont bien sûr pour le lecteur ou la lectrice).
Sois confortable, assieds-toi confortablement, et continue de respirer tranquillement. Un bref moment, juste sois tranquille ! Évoque la paix, la bonté, la douceur !
AD – Je ne peux pas, je ne le sens pas.
INSP – Ici, ton « je ne le sens pas » signifie « je ne veux pas l’évoquer ». Tu pourrais me demander d’évoquer en moi quoi que ce soit, y compris la haine ou la colère, je le pourrais, tout comme toi, comme tout un chacun. Or, il y a de la résistance, la résistance au meilleur, à la libération, et elle n’est pas vue, pas reconnue, pas assumée… Sans reconnaître ni assumer la résistance, notre positionnement réactionnel, rien ne peut nous hisser hors de notre vieux conditionnement.
En fait, notre résistance se manifeste à travers de nombreux positionnements psychiques qui sont les nôtres. Nous pouvons en revendiquer certains, à notre seul détriment, mais la plupart sont fidèlement maintenus sans conscience. « Ne jamais rien envisager d’autre que ce que l’on vit » est l’un de ces positionnements possibles. Ce point m’apparaissant comme essentiel, il fera l’objet d’une prochaine chronique (voire de plusieurs).
Pour l’heure, je te propose de vérifier si tu peux être disposé à faire tien l’un ou l’autre des positionnements suivant, ces derniers étant, non plus psychiques, mais cordiaux, généreux : « préférer l’observation à la réaction, l’amour au jugement ; « m’ouvrir à la possibilité de me délester de ce qui m’encombre psychiquement, donc aussi émotionnellement ; me rappeler, sinon ce que je suis en essence et à jamais, que je ne suis pas ce que je crois être, ce pour quoi je me prends, ce avec quoi je suis identifié…
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