195 – Le vrai partage
Il pourra être utile de lire ou de relire la chronique du mois dernier, laquelle aborde spécifiquement le décalage que nous pouvons éprouver à tous les niveaux, parce qu’en fait, nous allons ici poursuivre sur ce même thème. Tant que nous nous sentons décalés, tant que nous sommes en décalage, même si nous ne le reconnaissons pas, nous méconnaissons l’expérience du vrai partage, lequel est pourtant l’un de nos besoins essentiels. Nous ne nous éveillons pas seuls, nous avons besoin les uns des autres, dans l’union cordiale qui fonde le vrai partage. Et le vrai partage vécu est une expression tangible de ce que nous sommes en vérité.
Il est essentiel de reconnaître ce qu’est notre propre expérience du vrai partage, de reconnaître son absence éventuelle, de reconnaître notre difficulté à vivre de vrais partages… Peu importe qui donne ou reçoit en apparence, partager véritablement, c’est à la fois échanger, communiquer, écouter, dire, donner, recevoir, apprécier… Dans un partage véritable à deux, que chacun donne ou reçoive en apparence, les deux donnent et reçoivent simultanément. Face à quelqu’un qui reçoit véritablement, nous ne restons pas insensibles, en principe ; nous-mêmes recevons beaucoup, simultanément !
Une communication vraie est un partage, non pas un échange d’opinions ou de jugements, et elle dépend donc de l’expérience ordinaire que nous avons du partage. Cette communication implique le cœur. On peut faire partager ses opinions, bien sûr, mais ce qui cause ou nourrit le vrai partage à deux n’est évidemment pas d’ordre mental. Même des opinions peuvent être partagées, de façon cordiale, mais le vouloir convaincre ou le souci d’avoir raison est alors absent. Si nous n’avons pas (encore) l’expérience des vrais partages, nous pouvons difficilement communiquer de façon aimante et féconde.
Alors, quelle expérience du partage, d’abord du « partage à deux » avons-nous eue dans notre prime enfance, en tant que bébé et petit enfant, essentiellement avec notre mère ? Cette expérience explique au besoin la façon dont nous vivons aujourd’hui le partage ou la qualité de toute interaction relationnelle. En outre, si nous n’avons pas, enfants, connu l’expérience de partager des jeux, de prêter nos jouets, nous aurons longtemps du mal à « prêter notre attention » de façon généreuse (l’exemple n’est pas que symbolique). Dans un vrai partage, l’attention est forcément accordée, partagée. Sans l’expérience du vrai « partage à deux », on ne peut pas se sentir vraiment à l’aise dans toute interaction relationnelle, ni à deux, ni en groupe. Et l’on n’est pas non plus en paix avec soi-même.
Nous avons pu finir par nous accommoder du non-partage éprouvé, mais quand les décalages relationnels grandissent, le malaise latent s’intensifie et nous submerge alors. Ce malaise sera constitué notamment de honte, profonde ou superficielle, du ressenti « culpabilité », voire du sentiment d’injustice. Comme bien d’autres, ces douleurs nous encombrent, conditionnent toute notre existence. Le douloureux ordinairement ignoré est extrêmement plus important que n’importe laquelle des circonstances extérieures que nous déplorons. Soyez-en sûr, l’ami cher qui vous quitte ou qui vous déçoit, par exemple, représente un vécu secondaire par rapport à la douleur alors rappelée, en vous quoi qu’il en soit et dont vous pourriez désormais vous libérer.
Le non-exprimé émotionnel, ce qui est retenu, témoigne précisément du partage non vécu, d’une forme d’isolement habituel. Ainsi, un non-partage éprouvé rappelle un non-accueil ou une non-invitation, une vraie rencontre qui n’a pas lieu, qui ne se fait pas. Nous sommes plus sûrement dans le partage quand nous exprimons des ressentis (impressions, sentiments, émotions), s’ils sont accueillis, et le silence partagé peut lui-même être très puissant, quand il n’est plus l’effet de la retenue. Quand notre expression est principalement une litanie de jugements, de considérations mentales, nous ne sommes pas à l’endroit du partage. Au lieu de l’ignorer, nous pourrions le comprendre, nous comprendre. Les considérations mentales « partagées » recouvrent souvent et notamment une vieille colère, jamais partagée celle-là…
La colère réprimée donne lieu au vouloir, puis (dans certains cas) au renoncement. Qu’il soit désir, envie ou espoir, par exemple, le vouloir ordinaire est une tentative vaine et inconsciente de vivre du partage, de démentir l’expérience du non-partage. Or, il est possible de se disposer au vrai partage, de se sentir d’accord pour le préférer à tout autre mode de communication, sans même se soucier du « comment faire ». Dans un vrai partage, chacun « se laisse prendre », cordialement, par qui ou quoi que ce soit qui se présente à lui, et il en résulte une fusion. Donc, ici, l’un se laisse prendre par qui se laisse prendre de même.
Nous pouvons être relativement insensibles à la possibilité de vivre des instants d’union, mais seulement quand nous méconnaissons ce que sont les vrais partages. Comme nous l’avons dit, nous pouvons nous sentir disposés au partage, y compris face à qui reste prisonnier de lui-même, en faisant nous-mêmes alors en sorte de demeurer dans la disposition partageuse, notamment en nous rappelant que nous « partageons » l’égale présence quoi qu’il en soit. En vérité, nous ne pouvons pas ne pas partager l’Essentiel ! Il n’est pas vain de nous rappeler ou d’envisager que nous partageons déjà tous la même réalité profonde. C’est au moins un partage potentiel. Il peut être manifester à tout moment.
Ce qui peut sembler être à l’origine d’un vrai partage particulièrement touchant est anecdotique par rapport à l’expérience que cela permet. Potentiellement, les pires drames, « anecdotiques », aboutissent toujours à une sorte d’éveil dont les vrais partages peuvent en être un témoignage. Par exemple, j’ai vécu un premier éveil d’importance à 10 ans et demi, cinq jours après être devenu aveugle et alors que je venais d’être laissé à l’hôpital, noyé dans un profond désespoir jamais connu jusque-là.
Ce fut lors d’un instant de partage impromptu : on avait fait venir auprès de moi un enfant qui (pour faire court) se révèla être un sage : il dit quelques mots, mit sa main sur la mienne, ne me demanda rien, restant alors silencieux, sans attente, juste pleinement présent et débordant d’amour… Je fis l’expérience d’être littéralement arraché aux affres du désespoir. Le vrai partage est toujours inattendu, extraordinairement puissant ; il dégage une puissance prodigieuse, celle de l’Amour.
La crise actuelle éveille ou va éveiller un grand nombre d’entre nous, juste ceux qui s’y disposent. Offert à tous, l’éveil est reçu ou non, aujourd’hui ou demain… Selon notre conditionnement, nous avons encore à éprouver le non-partage. Et ne vous attendez pas à vivre un vrai partage avec quelqu’un que vous étiquetteriez, en restant alors vous-même pris dans le passé. Le non-dit au premier-plan exclut tout vrai partage. La vraie communication et donc le vrai partage requièrent forcément une qualité de grande présence, ce qui s’appelle aussi l’amour, ce qui parle de sensibilité. Les « insensibles » ignorent qu’ils sont insensibles et méconnaissent l’expérience du vrai partage.
« …Mais pour vivre un vrai partage », insisterez-vous, « il faut être au moins deux ! » En réalité, l’essentiel est la disposition au partage, laquelle méconnaît l’attente et l’exigence. Avec bonheur, par exemple, je fais (comme ici même) le partage de nombreuses perceptions, compréhensions, propositions…, et chacun les reçoit ou non, en fait ce qu’il veut ou ce qu’il peut. Quoi qu’il en soit, je demeure dans le partage. Or, si nous avons à déplorer un partage « impossible », seul un revécu personnel est à considérer. Ainsi, reconnaissons et accueillons ce revécu, et nous nous en libérerons.
Si vous avez tendance à vous résigner, à renoncer à ce qui vous tient à cœur ou à vous soumettre aux circonstances, aux autres, à toute forme d’autorité, vous ne connaissez pas le vrai partage. À l’inverse, si vous avez tendance à vous imposer, à vouloir contrôler le monde et les circonstances, le vrai partage n’est pas davantage votre expérience. Dès lors que nous fabriquons un décalage ou que nous nous y maintenons, nous ne pouvons pas vivre la paix, la joie, l’amour, la créativité ; nous ne pouvons pas partager l’essentiel, sinon célébrer mutuellement l’appréciation de ce que nous partageons. Le vrai partage est une célébration.
Si nous tentons de faire partager quelque chose qui nous touche à quelqu’un qui y reste insensible, nous pouvons une fois de plus faire l’expérience du non-partage. Si vous avez été touché par un animal blessé, par exemple, il peut arriver que vous ne vous sentiez pas du tout entendu par une personne à qui vous vous confiez. Dans ce cas, vous ne partagez pas la même sensibilité. Si, d’une manière générale, vous ne pouvez pas faire partager à quiconque ce que vous avez sur le cœur, vous n’avez d’abord pas pu le faire quand vous étiez enfant. C’est au moins à savoir ! Les relations épanouissantes infantiles prédisposent aux vrais partages.
Si nous ne pouvons pas tolérer qu’autrui ne partage pas l’une de nos attentes spécifiques, il est très probable que nous ne partagions pas non plus beaucoup des siennes (sinon par calcul ou soumission). Il est très naturel que nous n’ayons pas tous les mêmes intérêts, ce qui reste vrai y compris dans les relations amicales et même intimes. Il est beaucoup plus facile d’accepter qu’autrui ne partage pas l’une de nos attentes en considérant tout ce que nous pouvons partager par ailleurs. L’importance du partage implique l’expérience qu’il sous-tend et non pas ce qui est partagé. Tout n’a pas à être partagé ou ne peut pas l’être.
Un vrai partage laisse la place aux différences, parce qu’il est dépourvu du jugement et de toute attente. La réalité du vrai partage relationnel est révélée notamment par la disposition à laisser toute la place à l’autre, en cas de besoin, une vraie écoute étant alors offerte. Si nous restons outrageusement centrés sur nous-mêmes, nous ne pouvons pas offrir une vraie écoute, quand elle serait bienvenue, ni donc faire l’expérience du vrai partage. S’aligner sur ce qu’autrui vit et manifeste revient à le reconnaître, autrement dit à être avec lui sans le moindre jugement. Et c’est le vrai partage. S’aligner sur ce que vit et exprime à sa manière une personne permet le vrai partage (à deux) si généralement absent.
La personne qui partage ou tente de partager sa douleur a essentiellement besoin d’être écoutée, entendue, accueillie. On n’a pas besoin d’éprouver la même douleur ni le même intérêt qu’un autre pour faire avec lui l’expérience d’un vrai partage, la véritable écoute étant la seule disposition nécessaire. Un discours hâtif en réponse à un partage d’une douleur témoigne d’un décalage, d’un désalignement, d’une non-écoute. Quand vous ne pouvez pas offrir une écoute véritable, c’est seulement que les effets fâcheux de l’écoute que vous n’avez pas connue, du partage dont vous avez manqué vous rendent indisponible. Comprenez-vous !
Ainsi, si le vrai partage reste pour nous une expérience exceptionnelle, n’en soyons pas offensés et ouvrons-nous plutôt à la possibilité de voir ce qui y fait encore obstacle. Le vrai partage a lieu ou non, mais on ne peut pas le fabriquer. Cependant, reconnaître ce qui constitue les non-partages prédispose aussi aux vrais partages. Et il est des épreuves qui, au lieu de nous abattre ou de nous plonger dans la réaction, nous invitent tout à coup à plus de présence, nous ouvrent aux échanges cordiaux.
En effet, on a même pu goûter à une forme inattendue de vrai partage là où l’on ne l’aurait pas envisagé. Par exemple, la Présence partagée auprès d’un mourant est une expérience d’unité, de non-séparation, et témoigne précisément du vrai partage de façon idéale. On peut difficilement mieux « être avec », de façon non mentale, vivre l’expérience « être avec ». Ram Dass a dit : « Assis au chevet d’un mourant, je fais un avec lui, je meurs avec lui ; nous sommes au-delà de la forme ». Cette circonstance singulière illustre aussi que « l’état partageur » ne dépend aucunement de la forme, celle-ci pouvant n’être qu’un prétexte.
On peut faire un avec quiconque souffre, mais cela se fait sans pensées, sans quoi ce n’est pas de l’unité. S’unir à l’autre dans sa souffrance l’invite à la présence, libératrice, mais cela se produit sans calcul. Là où il y a contrôle, il n’y a pas partage. L’aptitude à la vraie communication, au vrai partage, est aussi l’aptitude à la vraie rencontre. Toutes nos rencontres ne sont pas censées rester superficielles !
Les vrais partages sont absolument essentiels, non pas seulement parce qu’ils sont bons à vivre, mais parce qu’ils permettent un enrichissement mutuel. Et ils rappellent l’unité, la non-séparation. À partir de l’impression atavique de séparation, nous ne pouvons qu’éprouver un décalage et dès lors, l’expérience ordinaire du vrai partage est bien difficile, sinon exceptionnelle. Dans un vrai partage, ce qui est partagé en réalité n’est pas le contenu ; c’est l’amour ou la présence qui le sous-tend. Le vrai partage dévoile l’amour, la présence. Au besoin, l’expression juste est « encouragée » dans un instant de vrai partage, alors que l’un est là pour ou avec l’autre et réciproquement.
Qu’il s’agisse d’une joie, d’une peine, d’une confidence ou même d’une opinion, la chose mise en avant est indépendante du vrai partage. Il s’agit précisément de savoir si cette chose, quelle qu’elle soit, peut être partagée ou non. Quelle que soit cette chose, comment est-elle donnée et comment est-elle reçue ? Si l’échange est « souillé » par de l’attente, une non-écoute, un manque de respect, le moindre jugement…, ce n’est évidemment pas un vrai partage.
La difficulté à vivre le vrai « partage à deux » dit d’abord la difficulté à être bien avec soi-même, à relâcher le penser incessant, intempestif. Le non-partage éprouvé peut contenir du contrôle, du déni, du mensonge, du non-exprimé, des attentes non considérées (les siennes ou celles d’autrui). Il peut à l’occasion être utile de nous demander ce que nous partageons ou ce que nous pourrions partager avec telle personne ou dans telle circonstance, et d’abord si nous sommes effectivement disposés au partage. Au besoin, questionnons-nous ainsi : « Là, avons-nous quelque chose dont faire le partage ou ce partage est-il envisageable ? Là, faisons-nous l’expérience du partage ? » Et si nous n’avons rien à partager, c’est d’abord que nous résistons à la seule possibilité de partager.
Dans une relation ou une circonstance qui nous anime, demandons-nous au besoin ce que nous en recevons et bien sûr aussi ce que nous apportons. Là encore, nous pourrions parfois nous demander ce que nous avons à partager, « ensemble », pour reconnaître et intensifier l’intention partageuse, la disposition à l’unité. Une relation peut contenir un partage plus ou moins subtil, mais elle peut aussi ne tenir parfois que sur des attentes, que sur des promesses. Nous pouvons nous maintenir dans des relations, avec des attentes ou par culpabilité, alors que nous ne partageons rien en réalité, sinon parfois un seul intérêt compensateur.
Nous pouvons ou pourrions être amenés à nous rendre compte, notamment en lisant ces paragraphes, que dans telle ou telle circonstance, nous ne sommes absolument pas dans le partage. Et alors ? En fait, c’est excellent puisqu’il s’agit d’une prise de conscience, forcément libératrice ! Bien entendu, l’aspect libérateur serait perdu si nous devions faire de la prise de conscience un auto-reproche. À un moment ou à un autre, nous allons pouvoir mettre à jour l’un de nos vieux schémas dysfonctionnels et il serait bien dommage d’en être troubler, offensé, d’en faire un problème. Voir et donc reconnaître nos diverses limites est en vérité hautement appréciable ! Ainsi, non seulement acceptez véritablement de reconnaître vos « failles », mais appréciez-le !
Profitons-en pour souligner que l’appréciation témoigne d’un vrai partage vécu, et que l’ingratitude confirme la non-disposition au partage. En effet, la gratitude exprimée et possiblement reçue montre un vrai partage. Si vous n’êtes pas enclin à faire mention du bon que vous vivez ou recevez, peut-être est-ce parce que vous ne pouvez pas l’apprécier véritablement ou que vous n’osez pas vous exprimer, vous manifester. Le bon est censé être célébré !
Observez bien ce que vous ressentez après avoir vécu un vrai partage : le vrai partage est une extension. Ce qui est partagé est, non pas perdu, mais accru. Si vous taisez généralement ce que vous appréciez, n’en doutez pas, votre appréciation reste très limitée et vous découragez alors le « bon ». La pleine appréciation l’invite. Et ne confondez pas l’appréciation véritable avec la tendance à profiter d’une chose, égoïstement.
Le non-partage général et habituel est en soi une douleur, mais du non-partagé spécifique non assumé causera aussi du malaise ou de la confusion dans les relations impliquées. Dans nos diverses relations, nous pouvons être celui, tantôt qui occasionne un décalage, tantôt qui est confronté à un décalage, en revivant dans les deux cas seulement un morceau de notre propre histoire. Les rejetés et les dévalorisés types occasionnent des décalages et les trahis et les abandonnés types s’y trouvent confrontés. En tant que trahis ou abandonnés, vous endurez du non-partage, ce qui ne vous empêche pas d’en causer également, notamment parce que du rejet ou de la dévalorisation peut aussi se nicher en vous.
Nous ne pouvons que nous sentir en décalage, donc dans le non-partage, quand il nous semble que l’attention reste sur des aspects secondaires ou même superficiels, ce qui est important étant alors occulté, ignoré, dédaigné… Quand nous nous voyons pris mentalement, nous pourrions nous demander si notre attention est sur ce qui est pour nous le plus important dans l’instant et vérifier alors qu’il n’en est rien. Si nous n’accordons pas d’attention à ce qui est pour nous essentiel, nous ne pourrons que déplorer l’absence ordinaire des vrais partages. Un vrai partage laisse forcément la place à l’urgence, à l’essentiel, à ce qui est prioritaire, sans quoi, on se retrouve en décalage.
D’après vous, le plus important est-il ce que vous pensez ou ce que vous ressentez ? (question fondamentale). Alors, observez qu’en général, nous ne tenons pas compte prioritairement de ce qui est le plus important. Vivre une relation très harmonieuse n’implique pas que nous partagions tout en tous domaines et reste à savoir si le non-partagé est assumé, reconnu, éventuellement évoqué (même maladroitement) ou s’il est cause d’attente, de frustration, voire de ressentiments.
Nous pouvons croire, à tort, que d’autres partagent nos préférences ou priorités, peut-être parce qu’ils ont eu intérêt à nous le laisser croire. Alors, ouvrons les yeux ! Ainsi, dans diverses relations, nous risquons fort de devenir « lourds » si nous ignorons ou faisons fi de ce qu’autrui ne partage pas avec nous. Et nos positions ordinaires parlent seulement de nos blessures, au moins de notre blessure principale :
L’abandonné ne fait pas l’expérience du vrai partage, parce qu’il ne s’attend pas à recevoir, parce qu’il s’attend à ne rien recevoir.
Le dévalorisé ne se prête pas au partage, parce qu’il reste pris par le souci de protéger ce qu’il vit, ce qu’il obtient.
Ne voulant ou ne pouvant que recevoir, le maltraité continue de méconnaître le vrai partage. Il ne l’a jamais connu.
Tant que le rejeté veut garder le contrôle, même quand son intention est généreuse, il ne peut pas faire l’expérience du vrai partage.
Du fait de sa profonde honte, le trahi ne peut pas se laisser aller au plein partage quand il y aurait enfin accès.
Quand les autres partagent nos intérêts, c’est bien sûr appréciable. L’apprécions-nous suffisamment ? Or, nous pouvons (à tort) déplorer qu’un autre ne partage pas ce qui nous tient à cœur alors que bien de ses propres intérêts nous indiffèrent. Par ailleurs, nous pouvons ignorer que certaines demandes, celles que nous retenons, pourraient être l’occasion de vrais partages. Un cours en miracles dit : « Quand tu refuses de demander, c’est parce que tu crois que demander revient à prendre plutôt qu’à partager ».
Le sérieux implique le jugement ou vice versa, ce qui n’est pas propice au vrai partage, lequel est notamment légèreté. Il est possible de sentir que la légèreté est plus puissante que le sérieux. Pouvez-vous le sentir ? Imaginez-vous face à deux personnes en pleine conversation très grave, puis face à deux autres dans la légèreté, le vrai partage. Où percevez-vous la puissance ? Une conversation peut être relativement sérieuse, mais en la tenant, nous n’avons pas besoin de nous prendre au sérieux. Quand a lieu un vrai partage, personne ne se prend au sérieux, indépendamment du contenu partagé.
Dans un vrai partage à deux, l’expérience de celui qui accueille momentanément, qui « ouvre l’espace », favorise un enrichissement mutuel. Un vrai partage à deux peut être basé sur la douleur momentanée de l’un, mais il est alors permis par la présence de l’autre. Quoi qu’il se passe dans un vrai partage à deux, les deux ont abandonné toute identification, tout intérêt identificatoire. Ils n’ont « rien à vendre » ! Kenneth Wapnick nous explique : « Même au niveau de la rencontre la plus occasionnelle, il est possible que deux personnes perdent de vue leurs intérêts séparés, ne serait-ce qu’un moment ». Le vrai partage est ainsi possible.
Tout comme nous pouvons partager la chaleur du soleil, nous pouvons partager la paix et l’amour, et il s’agit même de notre besoin profond. Même seuls, à chaque fois que nous ressentons la paix et l’amour, que nous dévoilons alors, nous les partageons déjà, nous les propageons. Déjà, nous partageons le même air, le même espace, le même instant présent, même si nous nous vivons comme circonscrits, et nous pouvons sciemment partager aussi la même paix, le même amour. N’y a-t-il pas de la douceur à nous rappeler que nous partageons tous le même instant présent, la même présence ? Alors, pouvons-nous favoriser le vrai partage ? Se disposer au vrai partage, c’est se disposer à être en paix, à être dans l’amour, à être heureux.
Indépendamment de son développement rédactionnel, ce texte contient largement de quoi nous faire sentir ce qu’est le vrai partage. Il est à considérer, comme toujours, sans y voir de quoi nous fustiger. Et s’agissant de ce même texte, pourrions-nous aimer l’idée de le « faire partager » à quelques amis ? Quand nous avons fini de vouloir imposer aux autres la moindre chose qui nous intéresse, le cas échéant, n’oublions pas le vrai partage. « Ne rien imposer » ne veut pas dire « ne rien partager ». Et nous ne pouvons connaître le vrai partage qu’en étant à même, non seulement de donner, mais souvent aussi ou surtout de recevoir. Et si vous recevez ces mots ou l’ensemble du texte, plus à travers des impressions que des pensées, vous êtes probablement prêt pour le vrai partage !
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